rediffusion du dimanche
30 septembre 2012.
Chronique
du temps exigu (28)
Pour
plusieurs raisons, cette vingt-huitième chronique sera consacrée à l’amiral cap
dont je vous ai déjà parlé le seize août. La première raison, et la plus
importante, est que le chiffre huit est son chiffre de prédilection. J’ignore
pourquoi mais c’est ainsi. La deuxième, et non des moindres, est que mon ami
l’amiral souffre de voir sa notoriété éclipsée par celle de son ancêtre, à
l’instar d’Emile Zola qui se morfondait de voir que l’on faisait tout un
fromage à propos de sa sœur Gorgone. La troisième, last but not least,
est que ma relation de nos mésaventures du quinze août a suscité quelques moues
sur les claviers.
Il serait
regrettable que l’amiral cap passât à vos yeux pour un ivrogne. S’il a un goût
immodéré pour les alcools en mélange, il le tient, certes, de son glorieux
ancêtre mais aussi de son enfance difficile à bord de la marine marchande. Il
n’était encore qu’un moussaillon alors qu’il embarqua sur un super-tanker,
un de ces pétroliers géants qui sillonnent nos mers et nos océans. Au nombre
des tâches humiliantes et dégradantes qui lui étaient réservées en tant que
benjamin de l’équipage, il avait le rôle de taste-mazout. En clair, il
devait goûter la marchandise transportée, la déguster et en déterminer les
qualités et le millésime. Bien sur, comme tout dégustateur avisé, il recrachait
les liquides de dégustation après usage. Avez-vous, vous-mêmes, déjà bu et
recraché des produits pétroliers ? Si oui, reconnaissez que cela provoque
un désir immodéré de se rincer la bouche. D’où la pépie chronique de mon vieil
ami. Celui-ci était dur au labeur et ne s’est pas laissé rebuter mais il fut
débarqué un beau jour à Aden après avoir remis un rapport comminatoire à son
commandant. Dans ce rapport, il relatait avoir tasté les produits de
dégazage et constaté que, malgré leur belle couleur rubis nocturne et leur
cuisse ample, ces produits ne convenaient en aucun cas à l’usage qui en était
fait. En conséquence, le moussaillon cap demandait avec une rare fermeté que
l’on transportât du rouge pour les oiseaux et du blanc pour les poissons et que
l’on dégazât sélectivement. Si on devait empoisonner les habitants de la mer,
autant que cela se fît dans le respect des arts de la table. Fuel pour les uns,
gas-oil pour les autres. Cela ne fut pas du goût du pacha qui le raya du rôle.
Prévoyant
malgré son jeune âge, mon ami avait emporté dans ses poches quelques
verroteries dont un œil de verre, toujours prisées par les étrangers des
contrées sauvages. Il les échangea contre un boutre que lui céda le roi d’une
tribu de bédouins belges fixés dans un club de vacances. Après avoir chaudement
remercié le roi bédouin, il monta à bord de son embarcation et, après un voyage
mouvementé dont je narrerai peut-être un jour les épisodes, il fit sa joyeuse
entrée dans Paris non sans avoir soigneusement briqué son navire au quai de
Javel. Il était fort essoufflé car il avait brisé son mât sous le pont de Garigliano
et avait du en hâte confectionner un système de galère à pédalier pour
continuer à remonter le courant. Ayant constaté que la Seine coule en effet
sous le pont Mirabeau, il cingla ensuite jusqu’au quai de Bercy où il s’amarra.
Il arriva ce qui devait arriver en ce temps-là et notre ami attrapa la fièvre éponyme,
la fièvre de Bercy. Il était vacciné contre toutes les fièvres tropicales, pas
contre les fièvres tropicrates. Depuis ce jour mémorable,
l’administration a jugé utile d’y installer le Ministère des Finances.
Remis de ses
émotions, il reprit le cours de la Seine et de ses aventures, se laissant
porter par le courant. Il ralentit à la hauteur d’Honfleur pour saluer la
mémoire de son glorieux ancêtre puis, prenant son élan à grands coups de
pédales, il accosta à Douvres. Un britannique émerveillé voulut lui acheter son
bateau et notre moussaillon, qui pratiquait avec peine la langue de cet
insulaire, fixa le prix à une brique (notre franc avait encore cours
comme vous l’avez compris). Le sujet de Sa Gracieuse Majesté accepta avec
enthousiasme et fit monter cap sur un splendide brick. L’affaire fut
conclue séance tenante autour d’un apple-pie. Ils prirent la mer de
conserve, chacun sur son nouveau bateau et c’est ce jour-là que le moussaillon
se mit à son propre compte et acquit son titre d’amiral. L’anglais, peu habitué
à la navigation à pédales, perdit le cap assez rapidement car ce dernier était
poussé par le vent.
Toujours
ingénieux, l’amiral réfléchissait à une possibilité de naviguer sans peine mais
sans toutefois utiliser de moteurs dont la source d’énergie serait pétrolière.
Il s’était fait trop d’amis parmi la faune des océans. Il essaya tout, l’eau de
mer, la méthanisation de ses effluents, la traction baleinière, que sais-je
encore… Il ne trouvait aucune solution satisfaisante. Le déclic lui vint un
jour de grève, il découvrit l’énergie scolaire ! Il suffisait de récupérer
toute l’énergie inemployée par les enseignants pour mouvoir avec puissance le
plus frêle esquif comme le plus lourd croiseur. Le gisement est inépuisable.
Bien sur, je ne dévoilerai pas le procédé technique car il est encore protégé
par un brevet.
On voit par-là que pour un boutre à l’œil on peut avoir le pie du voisin et son brick.
De nos jours pour une brique on a encore quelque chose.
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