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dimanche 19 août 2018

Chroniques de l'été 2018 (6)


rediffusion du dimanche 30 septembre 2012.
Chronique du temps exigu (28)

Pour plusieurs raisons, cette vingt-huitième chronique sera consacrée à l’amiral cap dont je vous ai déjà parlé le seize août. La première raison, et la plus importante, est que le chiffre huit est son chiffre de prédilection. J’ignore pourquoi mais c’est ainsi. La deuxième, et non des moindres, est que mon ami l’amiral souffre de voir sa notoriété éclipsée par celle de son ancêtre, à l’instar d’Emile Zola qui se morfondait de voir que l’on faisait tout un fromage à propos de sa sœur Gorgone. La troisième, last but not least, est que ma relation de nos mésaventures du quinze août a suscité quelques moues sur les claviers.
Il serait regrettable que l’amiral cap passât à vos yeux pour un ivrogne. S’il a un goût immodéré pour les alcools en mélange, il le tient, certes, de son glorieux ancêtre mais aussi de son enfance difficile à bord de la marine marchande. Il n’était encore qu’un moussaillon alors qu’il embarqua sur un super-tanker, un de ces pétroliers géants qui sillonnent nos mers et nos océans. Au nombre des tâches humiliantes et dégradantes qui lui étaient réservées en tant que benjamin de l’équipage, il avait le rôle de taste-mazout. En clair, il devait goûter la marchandise transportée, la déguster et en déterminer les qualités et le millésime. Bien sur, comme tout dégustateur avisé, il recrachait les liquides de dégustation après usage. Avez-vous, vous-mêmes, déjà bu et recraché des produits pétroliers ? Si oui, reconnaissez que cela provoque un désir immodéré de se rincer la bouche. D’où la pépie chronique de mon vieil ami. Celui-ci était dur au labeur et ne s’est pas laissé rebuter mais il fut débarqué un beau jour à Aden après avoir remis un rapport comminatoire à son commandant. Dans ce rapport, il relatait avoir tasté les produits de dégazage et constaté que, malgré leur belle couleur rubis nocturne et leur cuisse ample, ces produits ne convenaient en aucun cas à l’usage qui en était fait. En conséquence, le moussaillon cap demandait avec une rare fermeté que l’on transportât du rouge pour les oiseaux et du blanc pour les poissons et que l’on dégazât sélectivement. Si on devait empoisonner les habitants de la mer, autant que cela se fît dans le respect des arts de la table. Fuel pour les uns, gas-oil pour les autres. Cela ne fut pas du goût du pacha qui le raya du rôle.
Prévoyant malgré son jeune âge, mon ami avait emporté dans ses poches quelques verroteries dont un œil de verre, toujours prisées par les étrangers des contrées sauvages. Il les échangea contre un boutre que lui céda le roi d’une tribu de bédouins belges fixés dans un club de vacances. Après avoir chaudement remercié le roi bédouin, il monta à bord de son embarcation et, après un voyage mouvementé dont je narrerai peut-être un jour les épisodes, il fit sa joyeuse entrée dans Paris non sans avoir soigneusement briqué son navire au quai de Javel. Il était fort essoufflé car il avait brisé son mât sous le pont de Garigliano et avait du en hâte confectionner un système de galère à pédalier pour continuer à remonter le courant. Ayant constaté que la Seine coule en effet sous le pont Mirabeau, il cingla ensuite jusqu’au quai de Bercy où il s’amarra. Il arriva ce qui devait arriver en ce temps-là et notre ami attrapa la fièvre éponyme, la fièvre de Bercy. Il était vacciné contre toutes les fièvres tropicales, pas contre les fièvres tropicrates. Depuis ce jour mémorable, l’administration a jugé utile d’y installer le Ministère des Finances.
Remis de ses émotions, il reprit le cours de la Seine et de ses aventures, se laissant porter par le courant. Il ralentit à la hauteur d’Honfleur pour saluer la mémoire de son glorieux ancêtre puis, prenant son élan à grands coups de pédales, il accosta à Douvres. Un britannique émerveillé voulut lui acheter son bateau et notre moussaillon, qui pratiquait avec peine la langue de cet insulaire, fixa le prix à une brique (notre franc avait encore cours comme vous l’avez compris). Le sujet de Sa Gracieuse Majesté accepta avec enthousiasme et fit monter cap sur un splendide brick. L’affaire fut conclue séance tenante autour d’un apple-pie. Ils prirent la mer de conserve, chacun sur son nouveau bateau et c’est ce jour-là que le moussaillon se mit à son propre compte et acquit son titre d’amiral. L’anglais, peu habitué à la navigation à pédales, perdit le cap assez rapidement car ce dernier était poussé par le vent.
Toujours ingénieux, l’amiral réfléchissait à une possibilité de naviguer sans peine mais sans toutefois utiliser de moteurs dont la source d’énergie serait pétrolière. Il s’était fait trop d’amis parmi la faune des océans. Il essaya tout, l’eau de mer, la méthanisation de ses effluents, la traction baleinière, que sais-je encore… Il ne trouvait aucune solution satisfaisante. Le déclic lui vint un jour de grève, il découvrit l’énergie scolaire ! Il suffisait de récupérer toute l’énergie inemployée par les enseignants pour mouvoir avec puissance le plus frêle esquif comme le plus lourd croiseur. Le gisement est inépuisable. Bien sur, je ne dévoilerai pas le procédé technique car il est encore protégé par un brevet.

On voit par-là que pour un boutre à l’œil on peut avoir le pie du voisin et son brick. De nos jours pour une brique on a encore quelque chose.

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