-
Oui, il la vendit à Aimé Birgat, négociant
d’Agen. Quatre générations de Destel s’étaient succédées en près d’un siècle à
La Furetière et maintenant le domaine passait en d’autres mains. Etienne et
Diane s’installèrent non loin de Biarritz et y finirent leur vie.
-
Et ce sont les descendants de ce Birgat qui sont
encore propriétaires du domaine ? demanda Pijm.
-
Oh non, répondit Tin Quiète. Mais Aimé gardera
le domaine pendant plus de quarante ans. Célibataire, il passait sa vie entre
sa maison d’Agen et La Furetière. Passionné par la culture des orangers, il fit
construire une orangerie pour abriter ses arbres pendant l’hiver. La vie à La
Furetière fut bien plus calme que précédemment. Aimé aimait à inviter les
enfants du voisinage pour des goûters qu’il organisait l’été dans
l’orangerie. Devenu âgé, Aimé donna ses
biens en viager à un couple d’agenais qui s’occupèrent de lui. A son décès, ils
ne voulurent pas garder le domaine et le vendirent à un allemand qui cherchait
à s’installer dans le sud de la France dans la mouvance d’Otto Rahn, le
chercheur de Graal. Mais il prit peur en 39 et revendit rapidement le domaine
pour regagner l’Allemagne.
-
Et pourquoi a-t-il choisi La Furetière ?
s’enquit Pijm.
-
Ce serait trop long à raconter. Ce type était en
quelque sorte un illuminé pour qui La Furetière détenait un secret légendaire.
-
Et alors, à qui a-t-il vendu ?
-
A un financier qui garda le domaine pendant cinq
ans. Et là, mon petit Pijm, je vais te dire une chose. Je ne peux pas tout dire,
notre discussion se termine. Peut-être nous reverrons-nous, peut-être
continuerai-je à te raconter, ou peut-être plus jamais, jamais…
-
Mais alors, qui est propriétaire
maintenant ?
-
Tu n’as plus besoin de moi pour le savoir, tu
demanderas soit à Christian, soit aux gens de la région. Je t’ai dit ce que
personne ne sait, je ne te dirai pas ce que tout le monde sait. Sache seulement
que maintenant tu en sais plus que quiconque sur La Furetière et cela pèsera
lourd sur toi. Ne t’amuse pas à jouer les curieux gratuitement car il y a des
savoirs auxquels on se brûle si l’on n’y prend garde. Au revoir, peut-être, Pijm.
Maintenant, Pijm passe brutalement de la pénombre de la
petite église qui disparaît à la faible lumière matinale dans laquelle on
aperçoit le pan de mur en ruine. Il ne pleut plus mais le sol autour de lui est
détrempé. Il regarde sa montre, six heures dix. Il a passé toute la nuit à
écouter ce diable de petit homme. Ou a-t-il rêvé ? Non, il n’a pas rêvé… pourtant,
il n’y a plus d’église, plus de petit homme et lui, Pijm, est parfaitement sec
alors qu’il a plu toute une partie de la nuit. Il remonte le chemin, ses
chaussures se chargent de boue, le fossé déborde entraînant des cailloux et des
branches sur le chemin. Il glisse et manque tomber presqu’à chaque pas. Enfin
il arrive sur le chemin dans les bois, il lui semble se reconnaître. Dans le
chemin enherbé, l’herbe a été aplatie par le ruissellement de l’eau. Il arrive
à sa voiture, sort ses chaussures pleines de boues et se met au volant, enfin rassuré.
*
(à suivre...)
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