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jeudi 2 août 2018

Le temps de l'éternité (14)


Pijm, comme hypnotisé, répétait les paroles en même temps que le petit homme.

-          Aucun de celles et ceux qui étaient présents n’oubliera jamais cette heure magique, reprit Tin Quiète. Quand Juliette eut fini, il y eut un silence de quelques secondes, puis les applaudissements éclatèrent. L’assemblée se mit debout pour applaudir, à l’exception d’Emilienne, toujours impassible, et d’André sur le genou duquel elle avait posé sa main. Ce n’est que lorsque Juliette vint vers elle qu’elle se leva. Juliette la serra dans ses bras, puis la tenant par les épaules, la regarda et vit deux larmes couler sur les joues d’Emilienne qui lui murmura : « même lorsque le nuage le cache, le soleil reste au firmament… » . Après un bref sourire, elle se ressaisit et passa dans l’ombre des grands arbres avant de rentrer dans la maison pour regagner une chambre qui lui avait été préparée. René remercia les invités qui repartirent lentement dans la nuit avec leurs voitures à chevaux. Il fit rentrer Anna et André dans la maison, puis ressortit pour accompagner avec Juliette les musiciens vers leurs chambres. Emilienne repartit dès le lendemain, ignorant encore qu’elle reviendrait bientôt à La Furetière. Juliette resta encore deux ou trois jours puis repartit aussi. Elle ne savait pas qu’elle ne reviendrait jamais.
-          Elles ne se reverront donc pas ? Demande Pijm.
-          Non. Car Juliette mourra moins d’un an plus tard. Elle contractera une pneumonie sur le bateau qui la menait de Carthagène à Palerme. Elle fut débarquée à Tunis pour y entrer dans un hôpital, mais la maladie l’a emportée. Son corps sera ramené en France et elle sera inhumée à Toulouse.
-          Et Raymond ?
-          Pas si vite, il me faut encore parler de René et surtout d’Anna. Et du retour d’Emilienne. Cette soirée fut un moment culminant dans l’histoire de cette maison. André modifiera ultérieurement une partie de l’intérieur, fera agrandir les écuries et créera la gloriette, mais  la maison était terminée dans la forme où tu l’as vue. Le parc, car c’était vraiment un parc, entourait la maison. Le récital de Juliette a vraiment couronné cette période. Mais déjà, Anna avait commencé à être malade.
-          Elle aussi ? s’étonne Pijm.
-          Oh oui, mais c’est d’une maladie de l’esprit plus que du corps. J’ai déjà dit, je pense, qu’Anna devenait dépressive. Les périodes de dépression se succédèrent et, dans son isolement, elle devint aussi d’une jalousie maladive. Elle avait, pendant ses accès de jalousie, un comportement qui devenait excessif et violent. Pendant les périodes de dépression qui suivaient, elle avait tenté une fois de mettre fin à ses jours. René était souvent absent et les quelques domestiques de la maisonnée avaient bien du mal avec elle. La gouvernante qui avait été engagée pour s’occuper d’André demanda à ce qu’une garde-malade, ou une infirmière, soit auprès d’Anna. Mais Anna ne voulait pas en entendre parler et René dut interrompre un de ses voyages d’affaires pour revenir à La Furetière. Il ne pouvait rester indéfiniment, il lui fallait trouver une solution. Il écrivit à Emilienne pour la supplier de revenir à La Furetière s’occuper d’Anna. Emilienne revint. Elle prit tout en main. La petite fille à qui Anna avait arraché son enfant n’était plus. Anna sentit s’abattre sur elle la chape de plomb qu’elle avait naguère posée sur sa petite belle-sœur. Froide et taciturne, Emilienne devint maîtresse dans la maison. Anna fut assignée à résidence dans sa chambre la nuit et dans un fauteuil de la salle à manger la journée. En quelques mois, l’altière maîtresse de maison devint une petite vieille quasiment sénile, cette femme que tu as vue ce soir derrière la fenêtre. Plus de scènes, plus de crises, René pouvait être rassuré. Mais sa sœur commençait à lui faire peur. Il voulut l’écarter, la renvoyer à Nantes, mais il était trop tard. Emilienne régnait sur La Furetière, sur son frère et sa belle-sœur. Elle ne témoignait de tendresse qu’à André. A cette époque aussi, elle tenta d’écrire à Raymond, mais en l’absence de réponse, elle ne sut jamais si ses lettres étaient arrivées à destination.
-          Il était encore vivant ? Demande Pijm
(à suivre...)

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