Il démarre, passe la marche arrière et embraye doucement.
Malgré la prise sur les quatre roues, la voiture glisse sur le côté. Après s’y
être repris à plusieurs reprises, il dégage enfin son véhicule et part en
marche arrière sur le chemin rendu glissant par les eaux qui ont dévalé. En
cahotant, il remonte sur plus de cent mètres puis arrive à faire demi-tour sur
un terre-plein empierré. Il avance maintenant plus vite et sort enfin sur la
route goudronnée. Les fossés latéraux sont pleins d’eau et de grandes flaques
viennent parfois recouvrir le bitume. Il part en direction de Bourgnazan, le
soleil n’est pas encore levé, une pâle aube plane sur les champs. L’heure
fragile maintient l’impression fantomatique de la nuit, il entre dans
Bourgnazan qui dort encore. Il arrête sa voiture devant chez madame Latinian,
remet ses chaussures qu’il abandonne devant la porte d’entrée. Il entre
doucement dans la grande maison et monte l’escalier jusqu’à sa chambre où il se
dévêt rapidement
-
Ce kabouterman[1]
s’est moqué de moi, pense-t-il en se couchant.
Il s’endort rapidement.
*
A son réveil, il fait très chaud dans la chambre malgré les
volets fermés. Il est seul dans le lit. Il regarde l’heure, quatorze heures. Il
ne sait plus si l’on est jeudi ou vendredi, il a du mal à reprendre pied. Il se
lève et passe une bonne dizaine de minutes sous la douche, puis s’habille
lentement. Ce qu’il a vu et entendu cette nuit lui revient et tourne dans sa tête
sans qu’il puisse y mettre un peu d’ordre.
Il sort de la chambre et descend. Il entend un peu de bruit
en direction de la cuisine de Madame Latinian et il passe une tête par la porte
entrebâillée.
-
Monsieur Pijm ! Dit celle-ci en le voyant.
Eh bien, à voir vos chaussures, on dirait que vous avez traversé un lac de
boue. Votre femme m’a demandé de vous dire qu’elle est partie avec votre
voiture, elles sont à Luxignac, il parait que vous dormiez si
profondément ! Mais à quelle heure êtes-vous donc rentré ? Je n’ai
rien entendu avec cet orage et cette pluie. Au moins, j’espère que vous n’avez
pas pris froid ?
-
Tout va bien, Madame, répond Pijm, tout va bien,
excusez-moi, mais j’ai effectivement laissé mes chaussures devant la porte, je
vais les enlever…
-
Ne vous inquiétez pas, votre femme et vos filles
s’en sont emparées et les ont nettoyées, vous les trouverez au soleil, sur la
murette, elles doivent être sèches à l’heure qu’il est. Ce n’est peut-être pas
très bon pour le cuir de sécher ainsi au soleil mais aussi quelle idée d’aller
faire le godelureau par une telle nuit !
Pijm remercie, sort, met ses chaussures et part à pied dans
le village en pleine chaleur. Il va jusqu’au bar-restaurant et se commande un
grand café. Il obtient même de la patronne un solide sandwich, malgré l’heure
inhabituelle. Et quand l’appétit va, tout va…
Il sort du restaurant et, à l’ombre des arbres de la place,
appelle Lisa avec son portable. Il raconte qu’il a été retardé, qu’il a voulu
marcher un peu à pied et qu’il a été surpris par l’orage. Il sent bien que Lisa
n’est pas dupe de son baratin mais elle n’est pas du genre à poser des
questions. Du moment que tout va bien, que Pijm ne lui demande pas de revenir à
Bourgnazan en plein soleil et qu’on se retrouvera ce soir, elle ne va pas
chercher des embrouilles. Surtout pendant les vacances.
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