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jeudi 6 septembre 2018

Le temps de l'éternité (19)


Il démarre, passe la marche arrière et embraye doucement. Malgré la prise sur les quatre roues, la voiture glisse sur le côté. Après s’y être repris à plusieurs reprises, il dégage enfin son véhicule et part en marche arrière sur le chemin rendu glissant par les eaux qui ont dévalé. En cahotant, il remonte sur plus de cent mètres puis arrive à faire demi-tour sur un terre-plein empierré. Il avance maintenant plus vite et sort enfin sur la route goudronnée. Les fossés latéraux sont pleins d’eau et de grandes flaques viennent parfois recouvrir le bitume. Il part en direction de Bourgnazan, le soleil n’est pas encore levé, une pâle aube plane sur les champs. L’heure fragile maintient l’impression fantomatique de la nuit, il entre dans Bourgnazan qui dort encore. Il arrête sa voiture devant chez madame Latinian, remet ses chaussures qu’il abandonne devant la porte d’entrée. Il entre doucement dans la grande maison et monte l’escalier jusqu’à sa chambre où il se dévêt rapidement

-          Ce kabouterman[1] s’est moqué de moi, pense-t-il en se couchant.

Il s’endort rapidement.


*

A son réveil, il fait très chaud dans la chambre malgré les volets fermés. Il est seul dans le lit. Il regarde l’heure, quatorze heures. Il ne sait plus si l’on est jeudi ou vendredi, il a du mal à reprendre pied. Il se lève et passe une bonne dizaine de minutes sous la douche, puis s’habille lentement. Ce qu’il a vu et entendu cette nuit lui revient et tourne dans sa tête sans qu’il puisse y mettre un peu d’ordre.
Il sort de la chambre et descend. Il entend un peu de bruit en direction de la cuisine de Madame Latinian et il passe une tête par la porte entrebâillée.

-          Monsieur Pijm ! Dit celle-ci en le voyant. Eh bien, à voir vos chaussures, on dirait que vous avez traversé un lac de boue. Votre femme m’a demandé de vous dire qu’elle est partie avec votre voiture, elles sont à Luxignac, il parait que vous dormiez si profondément ! Mais à quelle heure êtes-vous donc rentré ? Je n’ai rien entendu avec cet orage et cette pluie. Au moins, j’espère que vous n’avez pas pris froid ?
-          Tout va bien, Madame, répond Pijm, tout va bien, excusez-moi, mais j’ai effectivement laissé mes chaussures devant la porte, je vais les enlever…
-          Ne vous inquiétez pas, votre femme et vos filles s’en sont emparées et les ont nettoyées, vous les trouverez au soleil, sur la murette, elles doivent être sèches à l’heure qu’il est. Ce n’est peut-être pas très bon pour le cuir de sécher ainsi au soleil mais aussi quelle idée d’aller faire le godelureau par une telle nuit !

Pijm remercie, sort, met ses chaussures et part à pied dans le village en pleine chaleur. Il va jusqu’au bar-restaurant et se commande un grand café. Il obtient même de la patronne un solide sandwich, malgré l’heure inhabituelle. Et quand l’appétit va, tout va…

Il sort du restaurant et, à l’ombre des arbres de la place, appelle Lisa avec son portable. Il raconte qu’il a été retardé, qu’il a voulu marcher un peu à pied et qu’il a été surpris par l’orage. Il sent bien que Lisa n’est pas dupe de son baratin mais elle n’est pas du genre à poser des questions. Du moment que tout va bien, que Pijm ne lui demande pas de revenir à Bourgnazan en plein soleil et qu’on se retrouvera ce soir, elle ne va pas chercher des embrouilles. Surtout pendant les vacances.

(à suivre...)

[1] Nain, petit homme

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