Auditrices et auditeurs qui m’écoutez,
bonjour. Nous arrivons au 11 novembre et moult commémorations battent leur
plein puisqu’il y a cent ans les belligérants de la première guerre mondiale
signaient un armistice qui mettait fin à quatre années de guerre.
Les officiels vont donc nous faire de la
commémoration à tour de bras même si l’actuel président n’a pas la même
dilection pour ces festivités que son prédécesseur. On sortira du placard des
militaires, des galonnés, des préfets et sous-préfets, des députés, sénateurs
et autres élus de toutes farines. Bien sûr, le poilu certifié manquera à
l’appel car un siècle après ils ont tous disparus de même que l’habituel
secrétaire d’Etat aux anciens combattants que l’on arborait pour ces occasions.
Tous les grossiums nous pondront du discours à tour de bras et je m’en voudrais
de piétiner leurs plates-bandes en rajoutant à leurs homélies. Et plutôt que de
faire dans le panégyrique ou dans l’hagiographie, je parlerai de ces obscurs et
sans-grades qui piétinaient dans la boue et sous les obus tandis qu’à l’arrière
on discourait déjà. Mon grand-père a fait cette guerre en tant que soldat et il
m’a laissé, outre son casque, deux ouvrages écrits dans les tranchées par d’anonymes
troufions. Le premier s’appelle « Au bruit du canon » édité en 1916
et le second « De la Somme à Verdun » édité en 1917 chez Lemerre à
Paris. Comme seul nom d’auteurs : « un groupe de poilus ».
Je cite un passage de ce dernier ouvrage
: « Voyez-vous, civil mon frère, l’héroïsme de cette guerre est bien
rarement cornélien, du moins dans ses manifestations verbales et
gesticulatoires. Les gens qui ont du cran
ne le font pas savoir en phrases définitives, en proverbes somptueusement
balancés. Mais s’ils manquent de ce panache romantique si propre à secouer
votre âme par ses brusques effets de théâtre, ils ont autre chose, je vous le
dis, qui exige une énergie constante, un courage de tous les instants. La
guerre avec les Boches, c’est un accident, un coup de collier de temps à autre ;
ce qui dure, c’est la lutte de chaque moment contre la misère collante, contre
la fatigue qui déprime, contre les défaillances de soi-même et des autres. »
Quand on lit cela, ces phrases écrites dans les tranchées, on comprend que tous
les discours sont vains et que les commémorations sont des théâtres d’ombres où
nous ne voyons que le pâle reflet de ce qu’ont vraiment vécu ces hommes.
Un autre passage de « Au bruit du
canon » où un nommé Tribout, transfuge des pays envahis, à savoir l’Aisne occupée,
se retrouve face à une batterie allemande installée dans sa propre ferme où il
a laissé sa femme et sa fille. Cette batterie cause des pertes énormes et
Tribout, avec sa connaissance du pays, part seul faire sauter la batterie. Le
spectacle qu’il voit dans sa ferme est atroce mais il fait sauter le canon et
perd un bras dans l’explosion. Une patrouille le ramena, tous ses cheveux
devenus blancs, hâve et méconnaissable si ce n’est par sa plaque de soldat. Son
épaule est fracassée, son bras en bouillie et il perd du sang en abondance. Il
mourra en disant : « Ah ah ! Quel beau feu d’artifice !
Quelles belles étincelles ! On en fera un pareil, n’est-ce pas, le jour de
la victoire, car moi je ne le verrai pas. J’ai voulu toucher à la Justice de
Dieu et j’en meurs. Puissé-je me faire pardonner, moi… qui… qui n’aurais pu… le
faire. Nous saluâmes, étrangement secoués, l’envol de l’âme douloureuse de cet
homme vers le calme du néant. Si par cas, plus tard, vous allez dans les
plaines naguère riantes de l’Aisne, n’oubliez pas l’offrande d’une poignée de
fleurs sauvages sur la tombe de ce héros mort au champ d’honneur, et en pensant
à lui et à son martyre pensez à d’autres. » C’est un certain François D.,
mitrailleur du IIème territorial qui signe cela dans le village de Soupir le 15
janvier 1916.
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