Quand il se réveille, il est près de dix heures du matin et il
pleut. Pijm se lève et se sent pris par le froid. Il fait chauffer de l’eau et
se prépare un café soluble dans lequel il trempe un croûton de pain. Il a un
peu la nausée, la tête comme embrumée de
son cauchemar. Son café terminé, il enfile une grosse veste et sort. Le parc
autour de la maison est lugubre sous la pluie, les arbres sont nus et les
allées boueuses.
Il décide de monter jusqu’à la maison du gardien. Thérèse
repasse du linge, elle lui propose un café, un vrai. Assis au chaud, il émerge de ses rêves, discutant de tout et
de rien avec Thérèse et au bout d’une heure il redescend à La Furetière, rentre
du bois et allume le feu dans la cheminée de la cuisine. La température ne
monte guère dans la pièce mais le feu, éclairant la pièce, met une ambiance
vivante.
Pijm installe la table et les chaises devant la cheminée et
commence à feuilleter les papiers d’Amédée Boriais. Il y a plusieurs dizaines
de feuillets avec des colonnes de chiffres en regard de noms de métayers,
apparemment de peu d’intérêt. D’autres feuillets concernent des locataires qui
ont loué le château de La Furetière dont Boriais père aurait géré la location
pour un nommé Schwarzbach, propriétaire de 1939 à 1944, puis pour Beylet de
1944 à 1952. De 1939 à 1942, le château a été loué à un certain Verquier,
docteur en médecine, puis de 1942 à 1952 aux œuvres sociales d’une grosse entreprise
de Chateaularbit comme colonie de vacances. Une lettre datant de 1942, envoyée
par Valmy Boriais, demande au propriétaire de rompre le contrat de location
avec ce Verquier en raison d’agissements qualifiés de douteux par Boriais. Il y
a une réponse de Schwarzbach qui donne laconiquement satisfaction à Boriais.
Puis il y a les comptes des locations à l’entreprise. Enfin, il y a quelques
feuillets manuscrits assemblés par un trombone rouillé, intitulés :
« Notes prises le 13 janvier 1952 chez monsieur Beylet,
banquier à Tulle et propriétaire du domaine de La Furetière. Ces notes
concernent ce qui a été déclaré ce jour par monsieur Beylet à Boriais Valmy,
adjudant-chef retraité ».
« En 1944, j’étais le fondé de pouvoir et l’homme de
confiance de monsieur Schwarzbach, propriétaire et directeur de la Banque
Laquiet. Je dois dire qu’étant véritablement ce que l’on appelle son bras
droit, je pensais tout savoir de ce qu’il se passait dans cette banque. Je
faisais erreur, la suite de mon histoire le prouvera. Un matin de juin,
monsieur Schwarzbach m’a demandé de venir dans son bureau. Il y avait un
notaire accompagné d’un clerc. Mon directeur m’a déclaré qu’il devait partir à
l’étranger pour une durée indéterminée et qu’il voulait me confier toutes les
responsabilités de la banque. Je tombais des nues mais les choses se sont
faites très rapidement. En moins de deux heures, j’étais en réalité devenu
propriétaire de la banque Laquiet, de la maison de monsieur Schwarzbach et d’un
château en Lot-et Garonne, ce château dont vous, monsieur Boriais, assurez la
gestion comme je l’appris ce matin-là. Toutefois, je signai sur un papier libre
un engagement de restituer tous ces biens à son ancien propriétaire, monsieur
Schwarzbach, lors de son retour. Tout cela était un peu étrange, mais c’était à
la guerre comme à la guerre et, à Tulle en particulier, les temps étaient
troublés. Il y avait une autre stipulation concernant le château, à
savoir que la personne à qui monsieur Schwarzbach avait acheté le château et
son domaine en 1939 était fondée à en réclamer la restitution, le cas échéant.
Ce papier n’avait probablement qu’une valeur d’engagement moral mais je l’ai
signé, un peu dans l’urgence. Je me suis donc retrouvé à la tête de la banque,
propriétaire d’une grosse maison ici à Tulle et d’un château en Lot-et-Garonne.
Je compris très vite que je ne connaissais pas toutes les activités de la
banque en prenant connaissance d’une comptabilité parallèle. Monsieur
Schwarzbach avait discrètement collaboré avec l’occupant allemand, réalisant
des transactions financières et servant d’intermédiaire pour des ventes de
matériel et de fournitures. A la Libération, la banque ne connut guère de
difficultés, monsieur Schwarzbach ayant disparu. La vie reprit son cours normal.
Je me demandais bien si j’aurais un jour à tenir mon engagement mais personne ne
vint jamais rien me demander et je suis toujours propriétaire de tout cela à ce
jour. Il est possible que mon directeur et son épouse aient péri dans un
bombardement, en Allemagne. C’est en tout cas le bruit qui a couru. Pour ce qui
est du propriétaire du château avant lui, il est lui aussi probablement décédé.
Il avait été mobilisé en 1940 et était en 41 probablement en Afrique (une note
de monsieur Schwarzbach à son sujet, remise à monsieur Beylet en 44 est annexée
à la présente).
En conclusion :
Monsieur Beylet a décidé de mettre en vente La Furetière car
il veut se retirer des affaires et ne plus avoir le souci de la gestion de ce
domaine. Il m’a aussi dit qu’il négociait avec une grande banque française la
vente de ses parts dans la banque Laquiet.
Moi, Boriais Valmy, demeurant à Lostaune, commune de
Bourgnazan-Lot-et-Gne, ai reçu pour mission de recevoir toute personne
intéressée par l’achat du domaine de La Furetière et de proposer le prix de
trois millions de francs pour l’ensemble, maisons et terres. Je suis mandaté,
dans le cadre de cette mission, à négocier ce prix sans toutefois être autorisé
à le diminuer de plus de dix pour cent, soit un prix de deux millions
sept-cent-mille francs minimum. »
(à suivre...)
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