André accepte et Pijm va lui chercher un
verre. Le personnage est un solide gaillard qui ne part que lorsqu’il voit que
la bouteille est vide. Pijm et Galipette n’ont donc plus d’autre choix que de
boire autant que lui afin de vider le flacon. C’est vers neuf heures que les
deux hommes partent et, après leur départ, Pijm va se coucher. Il n’a plus ni
faim ni soif.
Il se déshabille rapidement et tombe aussitôt
dans un lourd sommeil.
Il est réveillé vers minuit par une étrange
musique, il a du mal à la discerner et pense avoir oublié d’éteindre sa radio
dans la cuisine. Il a la tête lourde mais il arrive à se lever. Il enfile un
pantalon, un pull, des chaussures et se dirige vers la cuisine. Il veut allumer
la lampe du couloir mais il a beau essayer, rien ne fonctionne ni dans le
couloir ni dans la cuisine. Il arrive à se diriger dans le noir et à retrouver
sa lampe torche sur la table. La musique se fait plus distincte, comme si elle
venait à la fois de la cave et du grenier. Il allume la torche et voir sa radio
qui, bien sûr, est éteinte car apparemment sans courant. Il va vers le tableau
électrique et constate que ce n’est pas un problème de disjoncteur, ce serait
donc le réseau. Intrigué, il veut voir d’où vient cette aubade nocturne. Il se
rend dans la bibliothèque mais le bruit s’amoindrit, comme si un chœur musait
en douceur. Il redescend jusque dans la cave d’où il perçoit une mélopée, comme
un chœur glagolitique, une de ces musiques orthodoxes aux étonnantes voix de
basses. De l’ouverture qu’il a pratiquée cet après-midi vient un courant d’air
frais qui semble porter la mélodie. Il s’engage dans le couloir et cela lui
semble plus facile que dans l’après-midi, non que le passage ait été dégagé mais
parce qu’il se sent plus svelte, plus petit en quelque sorte. Il avance à la
lumière de sa torche, le couloir est dégagé maintenant, il lui semble voir des
silhouettes qui s’évanouissent devant lui. Il avance toujours précédé de ces
sortes d’ectoplasmes, le chant n’est pas plus perceptible à mesure qu’il
avance.
D’un coup, sa torche diminue d’intensité,
elle faiblit de plus en plus jusqu’à s’éteindre. Il a beau la secouer, rien n’y
fait. Mais il y a une clarté diffuse au bout du couloir, comme portée par les
ombres blanches en même temps que la cantate. Puis, les silhouettes
s’estompent, il se retrouve dans une douce lueur et il arrive dans la petite
église où devant lui se tient le petit bonhomme Tin Quiète.
-
Ah !
C’est toi, une fois de plus ! Tu m’aurais presque manqué, comment
t’appelles-tu encore ? Pyjama, il t’appelait, ton voisin, c’est bien, tu
seras Pyjama, t’es mignon comme ça ! Ainsi, tu es revenu dans cette
église, tu n’as jamais perdu l’envie de savoir la suite de ce que je t’ai raconté,
enfin, la suite… ou le début. Rappelle-toi ce que je t’avais dit : il y a
des savoirs auxquels on se brûle, tu risques d’avoir chaud aux fesses, très
chaud, mon petit Pyjama. Comment es-tu arrivé ici ?
-
Mais,
mais toi qui sait tout, tu devrais savoir…
-
Je ne
sais pas tout. Et puis, ce ne serait pas très amusant de tout savoir. Et puis,
et puis… je veux savoir quelle est ta vérité. Il y a tant de vérités de par le
monde, de par votre monde. Alors, tu ne veux pas me la dire, ta vérité ?
-
J’ai
entendu chanter pendant que je dormais, tu le sais bien, kabouter ! Et
j’ai suivi la musique…
-
Tu as
raison, je sais cela, je voulais te faire parler. Ecoute-moi bien : à
dater de maintenant Pijm, tu es, tu seras un autre. Tu as suivi jusqu’à ce jour
la voie simple dans ta vie. Comme tant d’autres parmi vous, tu as marché sur
les chemins de thalweg, le long des ruisseaux et des fleuves. D’autres suivent
les chemins de crête… depuis aujourd’hui tu es un autre, tu vivras l’altérité.
Certains te verront comme fou car tu auras pris les sentiers de traverse,
délaissant de te laisser couler au fond des vallées. Mais aussi, ils n’auront
pas tout à fait tort car tu es un sot, Pyjama : tu veux connaître le
passé. Seuls les faibles désirent savoir cela. Les forts, eux, veulent
connaître l’avenir sans s’encombrer du passé. Eux aussi sont des sots. Le sage
s’astreint à explorer le présent. Pour bref qu’il soit, le présent est d’une
infinie richesse. Le passé est mort et le futur est incertain, conditionnel. Il
n’y a de vérité que dans l’instant présent et dans une seule personne. Tout le
reste est néant. Celui qui vit l’instant présent vit infiniment. Toi, pauvre
mortel qui as accepté de mourir, tu connaîtras le passé, je te le dirai. Il n’y
a ni devoir de mémoire ni devoir de prévoir et ceux qui se vouent à ces devoirs
ont accepté de mourir sans avoir connu la vie. Aujourd’hui, tu connaîtras le
passé et demain tu mourras sans avoir vécu le présent. Ainsi soit-il, tu vas
entendre ce passé que tu désires tant connaître. Et tu vivras, brièvement, ton
futur. Si tu écoutes ce que j’ai à dire, tu mourras à La Furetière :
alors, veux-tu toujours que je t’en dise plus ? Je peux encore m’arrêter,
tu es face à ton destin. Beaucoup d’êtres humains, pendant leur vie, ne
choisissent pas leur destin. A de rares occasions, ils peuvent tout changer,
décider d’eux-mêmes, une ou deux fois dans leur vie, pas plus. Mais ils ne
discernent pas le moment. Toi, tu as cette chance : que décides-tu ?
(à suivre...)
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