Pijm approche une chaise, la tend au petit
homme et s’assied sur une autre. Tin Quiète se cale contre le dossier, croise
ses courtes jambes et reprend son histoire au dix-septième siècle.
-
Bien
loin de La Furetière, en Bavière, un jeune homme qui se faisait appeler
Eichhorn travaillait comme élève dans l’atelier d’un maître. Mais à l’époque,
une manière de parfaire son apprentissage était de faire un tour d’Europe et
notre apprenti peintre partit sur les routes avec quelques adresses. L’Italie
était pour lui l’étape la plus importante et il rejoignit Florence nanti d’une
recommandation. Mais il arrive trop tard car le maître chez lequel il avait été
envoyé venait de mourir. Il dut continuer son voyage et à Sienne, il put entrer
dans l’atelier de celui qui deviendra son mentor, un certain Orbacca.
Originaire de Florence, ce dernier avait dû quitter la ville en laissant des
dettes derrière lui. C’était bon peintre mais au tempérament mystique et
exalté. Tout ce que l’Italie comptait comme personnages étranges, mystiques,
alchimistes et occultistes faisait étape chez cet Orbacca. Un jour, un voyageur
venu du sud de la France raconta la légende de Fullin aux deux hommes. Peu de
temps après, Orbacca eut la vision de la décapitation de Fullin et il n’en
fallut pas plus pour qu’Orbacca envoyât son élève dans la petite communauté.
Orbacca s’était forgé la certitude que Fullin était en possession du Graal, le
calice dans lequel Joseph recueillit le sang du Christ et son élève se devait
d’aller sur place pour rencontrer les membres de la petite communauté et
s’imprégner de l’esprit des lieux. Après
quoi, il reviendrait à Sienne et ils réaliseraient le grand œuvre d’Orbacca.
Eichhorn prit la route, son voyage fut long et pénible car il eut un rude hiver
à traverser. Il était épuisé et malade en arrivant à La Furetière et c’est
Amery Raimun de Saltanié, dernier de sa lignée, qui l’accueillit et le logea.
Il était assez flatté par la présence d’un artiste venu de Bavière et de Sienne
et il était lui-même féru d’occultisme. Dès le premier jour de son arrivée, il
s’entretint longuement avec Eichhorn. Mais ce dernier fut pris par la maladie
et dut garder le lit pendant une dizaine de jours avec une forte fièvre qui le
plongea dans un délire où il eut lui-même plusieurs visions parmi lesquelles il
était question d’un souterrain qui rejoignait La Furetière à l’église. A peine
rétabli, il voulut voir les lieux : l’église, la clairière. Puis, il
demanda à Amery de lui faire voir le souterrain. Ils se disputèrent violemment,
Amery soutenant qu’il n’existait aucun souterrain. Il chassa Eichhorn de chez
lui et ce dernier dut se résoudre à regagner Sienne. Le voyage fut encore plus
long et il arriva à Sienne pour apprendre qu’Orbacca était mort dans des
conditions étranges. Peut-être s’était-il suicidé car il était soupçonné de
pratiquer la sorcellerie. Eichhorn dut s’éclipser rapidement et il reprit la
route. Il prit le nom de Squirrel, prétendant venir d’Angleterre mais il fut
assez vite démasqué alors qu’il était encore en Italie. Il regagna la France où
il se fit appeler Deschamps et, après une longue errance, il regagna sa Bavière
natale. Il eut la chance de se trouver un mécène qui lui fournit un atelier et
le fit travailler. Il fit des peintures de commande jusqu’au jour où il put
enfin réaliser le chef d’œuvre auquel il aspirait, le martyre de saint Fullin. Peu
importe ce que devint le peintre mais le tableau finit dans les collections de
la pinacothèque où Füllen le découvrit dans les années trente. Il se persuada
aussitôt que Fullin avait été en possession du Graal et que son tombeau
contenait, outre ses restes, le précieux vase, objet de tant de convoitises et
de fantasmes ! Comme tu le sais, Füllen a disparu sur le front de l’est et
ne profanera donc jamais la tombe du martyr.
-
Mais… y
avait-il un souterrain ? demanda Pijm.
-
Bien sûr,
mais Amery tenait à garder le secret. Ce souterrain avait été creusé sous les
ordres de Raimun et devait servir en cas d’attaque pour se replier vers la tour
si nécessaire. Tu devrais le savoir car c’est par là que tu es venu ce soir…
-
Mais, il
est à moitié bouché ?
(à suivre...)
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