-
Tu as
raison, Tin Quiète, répond Pijm.
Changer ma destinée, ce sera choisir de connaître le passé. Tu m’as déjà donné
mon futur et, dussé-je en mourir, dis-moi le passé car j’en ai fait maintenant
mon présent.
-
Bien, je
prends acte de ta décision car c’est moi qui assurerai ton futur. A partir de
maintenant, j’ai tout pouvoir sur toi.
-
Je suis
prêt, répond Pijm.
-
Donc,
mon petit Pyjama, tu vas enfin connaître le passé ; non pas le tien, celui
de La Furetière. Je commence : tant que le monde était monde, La Furetière
a existé bien sûr mais son passé, celui qui nous intéresse, remonte aux
premiers siècles de votre ère. C’est un temps où la vérité et la légende étaient
si proches que l’on ne peut plus faire le départ entre elles. Parfois la
légende permet de comprendre ce que la vérité peine à expliquer. A cette
époque-là, le pays était fort différent, les coteaux étaient couverts de forêts
épaisses et les vallées seules étaient accessibles et habitées. La petite
vallée de La Furetière, étroite et profondément encastrée dans le plateau,
était peu hospitalière et difficile d’accès. Une petite communauté de chrétiens
s’y était installée, fuyant les persécutions. C’était un groupe de fidèles qui
avaient suivi un prédicateur, un certain Fullin, parti de Provence pour porter
la bonne nouvelle aux confins de la Gaule Narbonnaise. Il prêchait mais il
avait aussi des dons de guérisseur, autant par sa connaissance des plantes que
par ses qualités de thaumaturge. Son charisme évident excita la jalousie des
chefs locaux. En butte à leur hostilité, il chercha à établir une communauté
chrétienne dans un endroit tranquille et sûr. Il remonta la vallée d’un petit
affluent de la Garonne, la Gégogne. Un groupe de soldats plus ou moins affiliés
aux légions romaines fut envoyé pour persécuter le groupe. Le chef de ces hommes,
un nommé Caparus, était plus un brigand qu’un soldat. Il savait que Fullin
disposait d’un magot provenant des dons des fidèles. De plus, Fullin était
réputé avoir en sa possession un vase, une sorte de calice précieux. Caparus
espérait faire d’une pierre deux coups, à savoir s’emparer du trésor de Fullin
et se faire payer par ceux qui voulaient supprimer Fullin. Ce dernier, se
voyant pourchassé, entraîna son groupe
toujours plus en avant le long de la Gégogne, puis ils bifurquèrent pour
remonter le cours d’une plus petite rivière car il pensait pouvoir plus
facilement tenir ses agresseurs à distance dans une vallée plus étroite. Mais
avec un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants, il était illusoire de résister
longtemps à des guerriers aguerris. Bientôt, à force de remonter le cours des rivières,
ils se retrouvèrent ici, dans ce minuscule vallon, acculés contre le bois et le
coteau. Ils s’installèrent pour passer la nuit et, au petit matin, les soldats
arrivèrent et eurent tôt fait de s’emparer de Fullin qui n’opposa du reste
aucune résistance. Ils firent reculer ses fidèles, obligèrent Fullin à se
mettre à genoux pour le décapiter dans cette clairière. Caparus en personne
descendit de son cheval pour donner le coup d’épée fatal. C’était un guerrier
impressionnant, réputé mesurer plus de six pieds de haut. Il s’approcha,
brandit lentement son épée à deux mains et l’abattit d’un geste puissant.
Malgré la force du coup, la tête ne se sépara pas du corps et il dut frapper
deux fois de plus avant que la tête ne roule au sol en poussant un râle épouvantable.
Caparus regardait, tétanisé, ce cou dont ne coulait aucun sang. Les hommes qui
tenaient Fullin lui lâchèrent les bras. Le corps, plutôt que de tomber, se
releva et, suivant la tradition des céphalophores, il prit sa tête entre ses
mains, l’éleva et la présenta à ses ennemis terrorisés. Un rayon de soleil
perça la brume, faisant briller la face de mille feux. Épouvantés, Caparus et
ses hommes prirent la fuite au grand galop. Ce fut seulement à ce moment que le
sang de Fullin se mit à couler. Le corps du supplicié se dirigea exactement à
l’endroit où tu te trouves où il s’écroula…
-
Mais,
ici ? dit Pijm. Ce n’est pas possible…
-
Homme de
peu de foi… allons, laisse-moi continuer ! Sous tes pieds, à quatre mètres
de profondeur, il y a un sarcophage de pierre, le cercueil de Fullin.
(à suivre...)
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