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jeudi 21 février 2019

Appelez-moi Fortunio (2)


Du mal qu'une amour ignorée
Nous fait souffrir,
J'en porte l'âme déchirée
Jusqu'à mourir.
(Alfred de Musset – La chanson de Fortunio)

I. La nuit de la Saint-Sylvestre
Les grandes douleurs sont muettes et, pour cette raison autant que parce qu’il est seul, fatigué, mal à l’aise dans sa Renault 4L, Albert trace sa route en silence dans un brouillard cotonneux. Il lui tarde d’arriver chez lui, dans sa petite maison. Il sait qu’après cinq mois d’absence les murs seront froids et l’humidité présente partout. Mais chez soi, c’est chez soi quand on revient de loin. De loin : moralement s’entend… Quatre-cents kilomètres, ce n’est pas le bout du monde mais il ne pouvait plus rester dans ces lieux où il avait rencontré un amour fou, trop fou pour être partagé. Allons, en un seul mot, il s’est pris un râteau. Et maintenant il connait la douleur de partir qui n’est peut-être pas pire que celle de rester.
Maintenant il revient sur ses terres retrouver son nid, son cocon, son terrier…
Bon, reprenons : Albert part faire un chantier loin de son Lot-et-Garonne. Il vient de démarrer sa petite entreprise de maçonnerie. Il est le patron, l’ouvrier, le manœuvre, trois en un et tout à la fois. Comme nul n’est prophète en son pays, il va ailleurs, voir si l’herbe est plus verte dans le pré d’à côté. Le voilà parti pour une année de chantier, il reste sur place, dépense peu et engrange. Et, cerise sur le gâteau, il rencontre l’amour. Alors, vous voudrez certainement savoir qui et comment. C’est là que vous ne saurez rien et vous comprendrez plus tard pourquoi vous ne savez rien et pourquoi vous ne saurez rien de plus.
La seule chose que vous pourrez savoir en dehors du reste, c’est qu’Albert n’a raconté cette histoire qu’à moi seul. Comme je vous l’ai dit, il a raconté dans ses trois livres d’autres histoires qui ont eu lieu ultérieurement, mais jamais celle-ci. Vous verrez par vous-mêmes si vous comprenez pourquoi mais aussi pour quelle raison il m’a demandé de le faire. Vous me pardonnerez si je me répète mais après m’avoir tout raconté pendant une longue soirée, il m’a autorisé à la mettre par écrit. Il voulait que je raconte cette histoire comme étant la mienne mais cela m’a paru impossible. Comme il n’a pas lu mon manuscrit, j’ai donc été libre de faire à ma guise.
Donc, nous retrouvons notre Albert sur la route de son chez soi. Là, vous pouvez savoir que son chez lui, c’est une petite maison qu’il loue. Une petite maison avec une grange qui lui sert de remise pour son matériel. Une petite maison du côté de Beauville, Lot-et-Garonne. Beauville, oui, beau comme vous et moi et ville comme une ville. Le plus petit canton du département et le plus charmant, en plein pays de Serres dont la particularité est cette alternance de pointes échancrant un plateau calcaire et dominant des combes où se promènent de charmants ruisseaux.
On est le 31 décembre, Albert n’aurait pas voulu passer un soir de fête là-bas, sur le lieu dee son chantier. Il a toujours aimé faire la fête mais aujourd’hui il n’a pas le cœur à cela. Depuis qu’il est en plein chagrin d’amour. Et il se demande, au volant de sa trapanelle, comment on peut survivre à un échec comme celui qu’il vit. De plus, il se sent mal, un peu fiévreux, comme s’il préparait une bonne crève. Il ne veut plus se poser de questions, il faut arrêter de penser. Serrer les dents et garder les yeux secs. On n’est pas des mauviettes quand même…

*
(à suivre...)

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