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dimanche 17 février 2019

Chronique de Serres et d’ailleurs IV (23)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. La démocratie n’est pas un vain mot, il faut le croire, car en ce moment on nous en sert gros comme le bras, démocratie par-ci, démocratie par-là, qu’elle soit directe, participative ou représentative. S’il s’agissait d’un plat cuisiné, nous en aurions bientôt soupé tant on nous en rebat les oreilles. Je ne vais donc pas parler des formes de la démocratie mais d’une certaine manière, assez répandue, de la pratiquer. Et, quand je parle de la pratiquer, je ferai mieux de préciser qu’il s’agit d’une certaine manière que certains ont de la pratiquer.
Je vais ce jour vous parler de ce que d’aucuns appellent le quart d’heure gascon et qu’à une autre époque j’avais eu l’heur d’entendre nommer quart d’heure académique ou quart d’heure de grâce. Précisons que le quart d’heure académique est un délai de quinze minutes entre l’heure prévue pour un cours ou un exposé, et l’heure à laquelle il débute. On ne sera nullement étonné de voir que ce sont généralement des enseignants qui pratiquent ce que je me permettrai d’appeler, avec élégance et rusticité, le quart d’heure de retard. No comment, comme diraient nos amis intimes les britanniques.
Revenons au quart d’heure gascon. Voici comment, suivant mes tristes constatations, il se pratique : on fixe une heure pour une réunion, un débat, un exposé ou quelque autre assemblée, disons par exemple vingt heures. Très rapidement et de bouche à oreille, cet horaire se transforme en vingt heures, vingt heures quinze. Mais ensuite, de malarticulants à malcomprenants, cela devient vingt heures, vingt heures trente. Puis, entre ceux qui sont pas pressés et ceux qui sont éternellement en retard, cela devient vingt heures quarante-cinq pour arriver réellement à vingt et une heures. Et, comme ce sont toujours les gens dits importants qui font partie des éternels retardataires-toujours à la bourre-et-submergés, pratiquement entre deux avions-, les organisateurs disent : « Untel n’est pas arrivé, il faut l’attendre… ». Entretemps, les organisateurs chuchotent entre eux et se congratulent. Tout cela pendant que le commun des mortels, vous et moi par exemple, patiente inutilement. Et voilà une assemblée qui démarrera avec une bonne heure de retard et, comme les organisateurs, tels des enfants qui sont tellement fatigués qu’on ne peut plus aller les coucher, auront du mal à conclure avant une heure du matin, histoire en outre de montrer qu’on n’est pas venu pour rien. Et ceux qui auraient aimé poser une question hésitent, vu l’heure, à la poser pour ne pas en rajouter. S’ils ont eu le courage de rester ou de ne pas s’endormir.
Vous aurez compris que, à propos de démocratie, c’est une manière adroite de confisquer le  débat au profit de ceux qui ont la parole et surtout tiennent à la garder. Car c’est déjà une bonne manière de dégouter un certain nombre de participants qui, sentant la défaillance organisatrice, abandonnent l’idée de participer à ce ventre mou du débat républicain et préfèrent s’adonner à un travail, sinon sérieux, tout au moins ordonné. C’est un peu comme si on les obligeait à pratiquer l’abstention car le manque de respect des engagements horaires les a poussés hors-jeu. Et, en définitive, ce quart d’heure que d’aucuns appellent gascon n’est ni plus ni moins que le quart d’heure de la paresse morale de ceux qui le pratiquent.
On voit par-là que le juste-à-temps permet de pratiquer la juste heure.

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