Auditrices et auditeurs qui m’écoutez,
bonjour. La démocratie n’est pas un vain mot, il faut le croire, car en ce
moment on nous en sert gros comme le bras, démocratie par-ci, démocratie
par-là, qu’elle soit directe, participative ou représentative. S’il s’agissait
d’un plat cuisiné, nous en aurions bientôt soupé tant on nous en rebat les
oreilles. Je ne vais donc pas parler des formes de la démocratie mais d’une
certaine manière, assez répandue, de la pratiquer. Et, quand je parle de la
pratiquer, je ferai mieux de préciser qu’il s’agit d’une certaine manière que
certains ont de la pratiquer.
Je vais ce jour vous parler de ce que
d’aucuns appellent le quart d’heure gascon et qu’à une autre époque j’avais eu
l’heur d’entendre nommer quart d’heure académique ou quart d’heure de grâce.
Précisons que le quart d’heure académique est un délai de quinze minutes entre
l’heure prévue pour un cours ou un exposé, et l’heure à laquelle il débute. On
ne sera nullement étonné de voir que ce sont généralement des enseignants qui
pratiquent ce que je me permettrai d’appeler, avec élégance et rusticité, le
quart d’heure de retard. No comment,
comme diraient nos amis intimes les britanniques.
Revenons au quart d’heure gascon. Voici
comment, suivant mes tristes constatations, il se pratique : on fixe une
heure pour une réunion, un débat, un exposé ou quelque autre assemblée, disons
par exemple vingt heures. Très rapidement et de bouche à oreille, cet horaire
se transforme en vingt heures, vingt heures quinze. Mais ensuite, de
malarticulants à malcomprenants, cela devient vingt heures, vingt heures
trente. Puis, entre ceux qui sont pas pressés et ceux qui sont éternellement en
retard, cela devient vingt heures quarante-cinq pour arriver réellement à vingt
et une heures. Et, comme ce sont toujours les gens dits importants qui font
partie des éternels retardataires-toujours à la bourre-et-submergés,
pratiquement entre deux avions-, les organisateurs disent : « Untel
n’est pas arrivé, il faut l’attendre… ». Entretemps, les organisateurs
chuchotent entre eux et se congratulent. Tout cela pendant que le commun des
mortels, vous et moi par exemple, patiente inutilement. Et voilà une assemblée
qui démarrera avec une bonne heure de retard et, comme les organisateurs, tels
des enfants qui sont tellement fatigués qu’on ne peut plus aller les coucher,
auront du mal à conclure avant une heure du matin, histoire en outre de montrer
qu’on n’est pas venu pour rien. Et ceux qui auraient aimé poser une question
hésitent, vu l’heure, à la poser pour ne pas en rajouter. S’ils ont eu le
courage de rester ou de ne pas s’endormir.
Vous aurez compris que, à propos de
démocratie, c’est une manière adroite de confisquer le débat au profit de ceux qui ont la parole et
surtout tiennent à la garder. Car c’est déjà une bonne manière de dégouter un certain
nombre de participants qui, sentant la défaillance organisatrice, abandonnent
l’idée de participer à ce ventre mou du débat républicain et préfèrent
s’adonner à un travail, sinon sérieux, tout au moins ordonné. C’est un peu
comme si on les obligeait à pratiquer l’abstention car le manque de respect des
engagements horaires les a poussés hors-jeu. Et, en définitive, ce quart
d’heure que d’aucuns appellent gascon n’est ni plus ni moins que le quart
d’heure de la paresse morale de ceux qui le pratiquent.
On voit par-là que le juste-à-temps permet
de pratiquer la juste heure.
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