Albert n’en était qu’à
ses débuts de la découverte d’un parc de locataires qui, pour la plupart,
occupaient leur appartement depuis plus de dix ans. Il eut ensuite à changer
des fenêtres et faire des travaux d’isolation chez un couple de personnes
âgées, d’anciens petits commerçants qui cumulaient plusieurs misères : une
très mince retraite, la dame pratiquement aveugle et le monsieur atteint de la
maladie de Parkinson. Leur loyer n’avait pas été revalorisé depuis près de dix
ans, ils le payaient régulièrement mais n’auraient pas pu supporter la moindre
hausse. Ils vivaient chichement, le mari allait faire les courses dans le
quartier aussi vite que possible dans les intervalles de temps que lui permettait
son traitement. Lorsque Albert se présenta chez eux, ils ne voulurent pas le
laisser entrer, ils craignaient trop que ce soit un intervenant des services
sociaux qui émettrait quelque rapport en leur défaveur. Il dut revenir avec
Christelle pour accéder dans l’appartement. Il fut impressionné par leur état
de dénuement et par l’état des lieux. Tout était propre mais aucuns travaux n’avaient
été réalisés depuis des lustres. Le bois des fenêtres était pourri, à tel point
que deux carreaux étaient tombés et remplacés par du carton, et la porte d’entrée
méritait des joints neufs. Et surtout, rien n’avait été repeint ni retapissé depuis
la guerre – on pouvait se demander laquelle. Si certains travaux relevaient de
l’intervention de la propriétaire, d’autres auraient dû incomber aux locataires
mais le logement devait être rénové au minimum et Christelle décida qu’elle
prendrait cela en charge. Le plus compliqué fut de réaliser les travaux avec le
minimum de gêne pour les occupants. Sans compter qu’il fallait accorder à ces
derniers un temps minimum d’écoute, ce qui se faisait en acceptant une
éprouvante tasse de café clair au malt, généralement tiède.
Autant il avait donné
dans le social avec ces retraités, autant il fallut qu’il raidisse sa conscience
lorsqu’il eut à s’occuper du logement Dastuge. Il s’agissait d’un couple, lui ouvrier
mécanicien et elle mère au foyer. Ils avaient pris le logement, qui venait d’être
rénové, huit ans plus tôt. Ils venaient d’avoir un enfant. Cet appartement
aurait convenu à une famille avec deux enfants au plus mais depuis ils en
avaient fait quatre autres. Tout était sale, mal entretenu, détérioré et ils se
plaignaient de tout. De surcroit, ils n’avaient plus payé le loyer depuis sept
mois et, à chaque relance, ils menaçaient de faire intervenir les services
sociaux pour leur faire constater l’insalubrité des lieux, ajoutant que c’était
une honte de faire vivre sept personnes dans ce petit appartement… Comme ils
réclamaient que des travaux soient faits, Albert accepta d’aller faire un
devis. En réalité, les locataires n’avaient rien contre le fait qu’Albert fasse
un devis. Mais pas les travaux car le nommé Dastuge, dès qu’Albert eu tourné
les talons, contacta Christelle pour lui dire qu’il ferait les travaux lui-même
si elle le rémunérait pour cela. En espèces sonnantes et trébuchantes et d’avance
bien sûr. Comme le gonzier faisait déjà de la mécanique au black dans les trois
garages de l’immeuble qu’il s’était approprié, Albert eut son idée. Toutefois, s’il
dit à Christelle qu’il allait le voir pour lui dire sa manière de penser en
tant qu’artisan, il monta une petite équipe avec deux collègues de sa
connaissance, un électricien et un autre maçon. Un soir que Dastuge bricolait
une voiture, ils entrèrent manu militari,
l’un prenant quelques photos et les deux autres bloquant le Dastuge dans un
coin de sa petite entreprise. « Dis-donc, ça s’rait pas le cabinet du
docteur schwarz, ici ? » demanda l’électricien d’un ton qui n’admettait
pas la réplique. En moins de temps qu’il n’en fallait à un faux garagiste pour
faire une fausse facture, ils lui expliquèrent qu’il allait déménager dans les
meilleurs délais, que ce n’était pas la peine de mettre ses garages au net car
ils fonctionnaient de préférence de gré à gré –bon ou mauvais- sans chercher à
jouer les délateurs. L’électricien avait de bien gros poings pour un homme qui
manie des petites vis et le Dastuge ne trouva rien à lui opposer –comme argument
s’entend-. D’autant plus qu’Albert lui donna une adresse à Colayrac où il
pourrait louer une maison avec dépendances. Il connaissait le propriétaire, pas
le genre à laisser les rênes sur le dos à un locataire ni à faire dans la
douceur. Dastuge traîna un peu des pieds, il fallut lui refaire une visite
domiciliaire mais il trouva autre chose ailleurs. Il voulut encore traîner les
pattes pour le déménagement mais Albert lui proposa un coup de main, sans lui
laisser le choix. Il fit venir une multi-benne dans laquelle ils balancèrent
tout l’attirail mécanique et par-dessus proposèrent une petite place pour les
quelques meubles qui ne passeraient pas dans le fourgon que Dastuge s’était
procuré. En moins de vingt-quatre heures, l’appartement était vide, Christelle
et sa tante y laissaient certes des plumes mais les lieux étaient prêts pour
une rénovation soignée. Et l’électricien regretta que Dastuge ne se soit pas un
peu rebellé, manière de voir s’il avait toujours la forme. Albert le consola en
lui disant qu’on n’a pas toujours ce qu’on veut dans la vie…
(à suivre...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire