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jeudi 9 mai 2019

Appelez-moi Fortunio (13)


Albert n’en était qu’à ses débuts de la découverte d’un parc de locataires qui, pour la plupart, occupaient leur appartement depuis plus de dix ans. Il eut ensuite à changer des fenêtres et faire des travaux d’isolation chez un couple de personnes âgées, d’anciens petits commerçants qui cumulaient plusieurs misères : une très mince retraite, la dame pratiquement aveugle et le monsieur atteint de la maladie de Parkinson. Leur loyer n’avait pas été revalorisé depuis près de dix ans, ils le payaient régulièrement mais n’auraient pas pu supporter la moindre hausse. Ils vivaient chichement, le mari allait faire les courses dans le quartier aussi vite que possible dans les intervalles de temps que lui permettait son traitement. Lorsque Albert se présenta chez eux, ils ne voulurent pas le laisser entrer, ils craignaient trop que ce soit un intervenant des services sociaux qui émettrait quelque rapport en leur défaveur. Il dut revenir avec Christelle pour accéder dans l’appartement. Il fut impressionné par leur état de dénuement et par l’état des lieux. Tout était propre mais aucuns travaux n’avaient été réalisés depuis des lustres. Le bois des fenêtres était pourri, à tel point que deux carreaux étaient tombés et remplacés par du carton, et la porte d’entrée méritait des joints neufs. Et surtout, rien n’avait été repeint ni retapissé depuis la guerre – on pouvait se demander laquelle. Si certains travaux relevaient de l’intervention de la propriétaire, d’autres auraient dû incomber aux locataires mais le logement devait être rénové au minimum et Christelle décida qu’elle prendrait cela en charge. Le plus compliqué fut de réaliser les travaux avec le minimum de gêne pour les occupants. Sans compter qu’il fallait accorder à ces derniers un temps minimum d’écoute, ce qui se faisait en acceptant une éprouvante tasse de café clair au malt, généralement tiède.
Autant il avait donné dans le social avec ces retraités, autant il fallut qu’il raidisse sa conscience lorsqu’il eut à s’occuper du logement Dastuge.  Il s’agissait d’un couple, lui ouvrier mécanicien et elle mère au foyer. Ils avaient pris le logement, qui venait d’être rénové, huit ans plus tôt. Ils venaient d’avoir un enfant. Cet appartement aurait convenu à une famille avec deux enfants au plus mais depuis ils en avaient fait quatre autres. Tout était sale, mal entretenu, détérioré et ils se plaignaient de tout. De surcroit, ils n’avaient plus payé le loyer depuis sept mois et, à chaque relance, ils menaçaient de faire intervenir les services sociaux pour leur faire constater l’insalubrité des lieux, ajoutant que c’était une honte de faire vivre sept personnes dans ce petit appartement… Comme ils réclamaient que des travaux soient faits, Albert accepta d’aller faire un devis. En réalité, les locataires n’avaient rien contre le fait qu’Albert fasse un devis. Mais pas les travaux car le nommé Dastuge, dès qu’Albert eu tourné les talons, contacta Christelle pour lui dire qu’il ferait les travaux lui-même si elle le rémunérait pour cela. En espèces sonnantes et trébuchantes et d’avance bien sûr. Comme le gonzier faisait déjà de la mécanique au black dans les trois garages de l’immeuble qu’il s’était approprié, Albert eut son idée. Toutefois, s’il dit à Christelle qu’il allait le voir pour lui dire sa manière de penser en tant qu’artisan, il monta une petite équipe avec deux collègues de sa connaissance, un électricien et un autre maçon. Un soir que Dastuge bricolait une voiture, ils entrèrent manu militari, l’un prenant quelques photos et les deux autres bloquant le Dastuge dans un coin de sa petite entreprise. « Dis-donc, ça s’rait pas le cabinet du docteur schwarz, ici ? » demanda l’électricien d’un ton qui n’admettait pas la réplique. En moins de temps qu’il n’en fallait à un faux garagiste pour faire une fausse facture, ils lui expliquèrent qu’il allait déménager dans les meilleurs délais, que ce n’était pas la peine de mettre ses garages au net car ils fonctionnaient de préférence de gré à gré –bon ou mauvais- sans chercher à jouer les délateurs. L’électricien avait de bien gros poings pour un homme qui manie des petites vis et le Dastuge ne trouva rien à lui opposer –comme argument s’entend-. D’autant plus qu’Albert lui donna une adresse à Colayrac où il pourrait louer une maison avec dépendances. Il connaissait le propriétaire, pas le genre à laisser les rênes sur le dos à un locataire ni à faire dans la douceur. Dastuge traîna un peu des pieds, il fallut lui refaire une visite domiciliaire mais il trouva autre chose ailleurs. Il voulut encore traîner les pattes pour le déménagement mais Albert lui proposa un coup de main, sans lui laisser le choix. Il fit venir une multi-benne dans laquelle ils balancèrent tout l’attirail mécanique et par-dessus proposèrent une petite place pour les quelques meubles qui ne passeraient pas dans le fourgon que Dastuge s’était procuré. En moins de vingt-quatre heures, l’appartement était vide, Christelle et sa tante y laissaient certes des plumes mais les lieux étaient prêts pour une rénovation soignée. Et l’électricien regretta que Dastuge ne se soit pas un peu rebellé, manière de voir s’il avait toujours la forme. Albert le consola en lui disant qu’on n’a pas toujours ce qu’on veut dans la vie…
(à suivre...)

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