Pour financer les
travaux, Christelle souhaitait vendre la maison. Sa tante lui en avait donné
l’autorisation mais il avait fallu régler cela devant le notaire. Lorsqu’elle
put enfin mettre en vente, elle demanda à Albert de voir la maison avec elle
car elle pensait devoir faire des travaux de sauvegarde urgents. Dès la
première visite, Albert fut charmé par cette ancienne ferme, sa petite étable
et son ancien hangar à tabac. Le prix qu’avait annoncé Christelle était dans
ses cordes mais le hic, c’était Christelle. Elle ne tenait nullement à voir son
chéri aller s’enterrer à Marmande au milieu des champs de tomates, de patates
et de nitrates, à soixante bornes d’Agen. La partie fut donc épique (et
colégram…) mais Albert emporta le morceau, si l’on peut parler ainsi.
Néanmoins, s’il avait gagné une bataille, il ne pouvait se targuer de connaître
l’issue de la guerre… A dater du jour de la vente, il fut souvent sur cette
route nationale 113 qui relie Narbonne à Bordeaux et, plus modestement Agen à
Marmande. Il restait cependant assidu aux dimanches et lundis soir avec
Christelle.
Il avait tout de suite vu
dans cette maison non la maison de ses rêves mais celle de sa réalité : la
maison au bout du chemin, la cabane au fond du jardin et la garenne avec les
lapins. L’architecture en était assez quelconque si ce n’était une loggia assez
délabrée qui se trouvait, étrangement, sur le côté de la maison, un peu comme
si l’orientation générale de la maison avait été modifiée ou comme si on avait
fait pivoter la maison pour la mettre de trois-quarts par rapport à l’entrée. Si
la tantine avait décidé de partir en maison de retraite, la première raison
était que la maison se délabrait. Et les bâtiments aussi. La seconde était que,
isolée au milieu des champs, elle était donc ravitaillée par les rares corbeaux
qui survolaient la vallée. L’épicier ambulant avait arrêté ses tournées et seul
le boulanger portait encore le pain une fois par semaine. Il laissait la miche
dite de deux kilos dans un ancien bidon d’huile ouvert d’un côté et attaché à l’arbre
en face de la maison. Bien sûr, il ne venait plus depuis le départ de la
tantine mais, à la demande d’Albert, il avait accepté de reprendre les vieilles
habitudes.
Albert fut assez vite
déchiré entre le travail qu’il avait à Agen et la restauration de sa maison. Il
avait donné le préavis pour la maison louée à Beauville, il avait emporté l’essentiel
de ses meubles et de ses outils à Marmande et il avait un dépôt dans un garage
inoccupé dont on lui avait confié la restauration sine die. Car les voisins et riverains des immeubles dans lesquels
il travaillait l’avaient rapidement remarqué et lui avaient confié du boulot.
Plus un gérant d’immeubles qui pleurait après une entreprise fiable.
Pour ne pas être victime de son succès, il lui fallait de
l’aide et c’est un de ses clients qui le mit en relation avec un ouvrier
mécanicien de Tonneins dont le patron venait de partir avec la caisse, du jour
au lendemain. Le courant passa très vite entre eux, cet ouvrier prénommé
Charles avait peu de connaissances en maçonnerie mais une intelligence vive qui
lui permettait de s’adapter aux situations les plus diverses. Comme il avait un
gosse d’un an et demie, il tenait à trouver du travail dans les plus brefs
délais. Donc, il travaillait tantôt seul à Marmande et tantôt avec Albert à
Agen, suivant les nécessités. Et, comme un bon ouvrier n’arrive jamais seul, il
parla d’un ami à lui qui travaillait à droite et à gauche comme homme à tout
faire mais qui souhaitait trouver un emploi stable. Et voilà comment se
créèrent les établissements Forelle, de fil en aiguille depuis la rencontre
avec Christelle. Celle-ci ne voyait finalement pas d’un si bon œil cette
évolution qui entraînait son amant sur des pistes professionnelles un peu trop éloignées des siennes. Elle
faisait contre mauvaise fortune bon cœur, ou à peu près, et elle fit comprendre
que, dans la mesure où Albert avait maintenant des ouvriers de confiance, il
pouvait fort bien prendre quelques jours de congé. Avec elle, bien entendu. Ils
partirent ainsi quelques jours sur la côte basque et aussi un long week-end en
Aveyron. Pendant ce séjour, Albert se rappela l’invitation que lui avait lancée
René Cinsault au moment du réveillon. Il passa un coup de fil et ce dernier l’invita
tout de go à venir manger. Christelle ayant dû repartir au travail, Albert
accepta volontiers.
La soirée fut fort
sympathique mais le repas fort frugal. Même si la conversation était intéressante,
Albert sentait qu’il y avait du tiraillement dans le couple et il préféra ne
pas s’attarder tout en les invitant à son tour dans sa future maison. Quelques jours après, René l’appelait au téléphone
pour lui dire qu’il était en instance de divorcer autant qu’en instance de
déménager… chez une nouvelle compagne. Et il invitait Albert à venir les voir,
bien sûr !
(à suivre...)
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