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jeudi 13 juin 2019

Appelez-moi Fortunio (18)


Il y avait ensuite des recettes de cuisine, des notes de toutes sortes, puis le texte reprenait. Elle relatait sa vie quotidienne, les histoires de voisinage. Ensuite, les séjours dans la propriété des maîtres qui avaient une grosse maison bourgeoise –on disait le château- et plusieurs métairies dont celle des parents de Juliette. Ils y venaient surtout l’été, pour échapper à la chaleur étouffante de la vallée de la Garonne à Agen. Ils venaient aussi en février, au moment de tuer le cochon. C’était une fête qu’ils n’auraient pas voulu manquer et tout le monde participait :
« Le matin, monsieur Marc a préparé avec papa le feu et ils ont mis le chaudron pour l’eau, installé la chaîne pour accrocher le palan à la charpente du hangar et préparé la caisse pour porter le cochon. A huit heures, Jeannot, le tueur est arrivé et Valmy aussi. Il fallait bien quatre hommes pour pousser le cochon dans la caisse et pour la porter, cette caisse. Ils l’ont passée sur la bascule, cent-quatre-vingt-douze kilos poids net il faisait ce cochon. Il faut dire que mes parents, ils s’y connaissent pour soigner les bêtes, ça se dit dans tout le pays. Ils ont porté la caisse au hangar. Ils ont attrapé une patte de derrière au cochon. Ils ont tiré vite fait la corde du palan et une fois qu’il était en l’air, le tueur lui a mis la corde à la gueule, monsieur Marc tenait la corde, mon père et Valmy tenaient les pattes de devant et le tueur a saigné. Maman était là avec la bassine pour le sang qu’elle travaillait à pleine main. Mais il ne suffit pas de récupérer le sang, il faut veiller que le cochon ne se mette pas à pisser et que ça coule dans le sang car le boudin aurait été gâché. Tout s’est bien passé, une fois le cochon saigné, ils l’ont redescendu pour le mettre dans la maie, sur deux grosses cordes pour le tourner à la demande. Avec de l’eau bouillante coupée d’un peu d’eau froide, ils l’ont ébouillanté et raclé le cuir pour sortir tout le poil. Il paraît qu’on appelle ça des soies, a dit monsieur Marc. Quand le cochon a été net et bien pelé, ils l’ont rependu avec les pattes de derrière tenues dans le cambalou, pour le tenir écarté. Puis le tueur a ouvert le ventre et descendu la tripe et les abats. Il a vidé les tripes et c’est nous les femmes qu’on a gratté les tripes, retournées et passées à la gnôle. C’est un drôle de travail et on a froid aux mains, tout le temps dans l’eau ou le vent. Et à midi, on était tous à table chez les patrons, Madame Thérèse et Maman avaient préparé la fricassée avec le museau du porc. On s’est bien régalés, Maman avait fait une tourtière pour dessert aussi. Madame Thérèse a dit à Maman que jamais elle n’arriverait à faire des tourtières comme elle et que c’était un vrai travail d’artiste. Maman est fière quand elle lui dit ça et moi je crois que j’arriverais à faire presque aussi bien mais il me faudrait le temps, la place et les moules. Je crois que ça plairait à madame Thérèse mais il faudrait que je prenne la cuisine tout un après-midi pour moi et je ne sais pas ce que dirait la cuisinière. La cuisine, c’est chez elle, même madame le sait, ça et elle ne vient pas beaucoup dans la cuisine. La cuisinière a son caractère mais on ne peut rien dire contre elle, elle sait faire et elle m’a appris beaucoup. Je ne dois pas dire du mal car c’est une femme qui connait le travail. J’espère qu’un jour je m’y connaîtrai autant qu’elle. »
(à suivre...)

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