Auditrices
et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Michel Serres est décédé ce 1er
juin. Philosophe et académicien, il était né à Agen et je ne veux pas me priver
de parler de lui en cette circonstance, non pour lui rendre hommage car d’autres
s’en sont chargés ou s’en chargeront bien mieux que je ne saurais le faire. Et,
plutôt que de l’enterrer une deuxième fois, je préfère faire revivre l’une ou
l’autre de ses idées. Si certains ont pu dire qu’il enfilait des banalités, je
pense qu’au contraire il savait revenir aux fondamentaux de notre vie et de
notre langue en rappelant un certain nombre de choses dans leur simplicité et
leur rusticité.
Je
dirai juste pour commencer que j’avais sollicité Michel Serres en espérant
qu’il accepterait de préfacer le recueil de mes chroniques. C’était, je le
reconnais, assez présomptueux de ma part mais si on ne l’est pas parfois encore
à mon âge, quand le sera-t-on ? Je me permettais de l’interpeller, arguant
de mon titre de chroniqueur de Serres et d’ailleurs. Cela date d’il y a
quelques huit mois et mon courrier restera sans réponse maintenant.
Michel
Serres avait pris le parti de la défense et illustration de la langue française
et c’est à ce titre que je le citais dans ma chronique du 23 septembre 2018.
Dans ses chroniques, il résistait non
face à une seule langue qui serait l’anglais mais face à un usage et un
mésusage d’une langue parlée et mal parlée par les classes dominantes qui se
soumettent elles-mêmes à la domination d’un anglais de pacotille, le globish
comme il appelle ce parler des snobinards des classes bourgeoises. Il ne récuse
pas les apports des langues étrangères dans la nôtre mais il les récuse en tant
que ces apports ne se justifient que par
la vanité de ceux qui pensent pouvoir les imposer. Et je le cite :
« En général, une faible partie de la population parle anglais de façon
assez mauvaise et le répand : ceux qui ont le pouvoir financier,
commercial, etc. Par conséquent, le risque, c’est que le français, non seulement
devienne une langue morte, mais devienne de surcroît la langue des pauvres,
NOUS. Mais le français, c’est aussi la
langue des inventeurs. On invente dans sa langue. On publie le résultat dans la
langue de communication, mais on invente dans sa langue. La plupart des grands
inventeurs le savent. J’ai connu le chef des traducteurs de l’Europe qui
disait : au début, chacun parlait sa langue et chacun était original parce
qu’il inventait dans sa langue. Aujourd’hui, tout le monde parle anglais, tout
le monde dit la même chose, c’est-à-dire les platitudes communes. La sauvegarde
d’une langue, c’est la sauvegarde de l’invention, de l’originalité et de la
liberté. »
Mais,
bien sûr, ce que visent les dominants, ce ne sont ni l’originalité ni
l’invention. Encore moins la liberté, celle que l’on ne doit qu’à soi-même. Ce
qu’ils visent, c’est l’accumulation, qu’elle soit financière ou politique. Et
pour y arriver, ils assoient leur domination par des jeux de jargon dont ils se
sentent les seuls initiés. Et, ce faisant, ils font soumission aux démolisseurs
de notre langue.
Michel
Serres écrivait aussi, déjà en 1985 : « Nous
vivons aujourd'hui une crise aiguë des langues. Jadis tenues pour trésors,
elles tombent en mésestime, chacun saccage la sienne, comme on a fait de la
terre. » (Les cinq sens) Il est des bétonneurs qui dénaturent notre terre
comme ils défigurent notre langue.
On
voit par-là que, si le langage est un instrument de domination, il est encore
plus la voie de l’émancipation contre la servitude volontaire.
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