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jeudi 16 janvier 2020

Appelez-moi Fortunio (49)


Le train siffle trois fois et le programme continue, Albert, dans son fauteuil s’assoupit, le Côtes de Blaye aidant. Journal de onze heures qui ronronne et apparemment Daniel n’est guère plus éveillé que lui, c’est cela la douceur d’un soir au coin de la télévision…
-          Aaaaah Aaaaah ! Miaule Daniel. Il est là, il est làààà !
-          Que quoi, s’éveille péniblement Albert, quoi ça, où çà… !
Brutalement rappelé à la réalité, Albert se glisse à quatre pattes vers Daniel, tétanisé dans son fauteuil, la bouche grande ouverte. Puis il risque, à l’abri des tentures un œil vers le parc.
Il manque se mettre à miauler, lui aussi pour de bon. Une silhouette blanche circule en se dandinant dans le parc, à l’orée du bois. Il sent la chair de poule sur ses bras et ses cheveux se hérisser inéluctablement. L’apparition, c’en est bien une, fait lentement un aller et retour dans le parc, sans se gêner. Et, vrai se dit Albert, on dirait cette dame blanche dont il a déjà entendu parler. Toutes ses fonctions mentales, son raisonnement, tout est bloqué. Il sait qu’il ne devrait pas en croire ses yeux mais il ne peut détacher son regard de cette vision ineffable ; Il se surprend à feuler légèrement et, s’entendant, cela le ramène à une autre réalité, comme sortant d’un rêve. Au même moment, dans un mouvement saccadé, l’apparition s’enfuit, happée par les bois environnants. Daniel est tassé au fond de son fauteuil.
-          Heu… heureusement qu’t’es là, heureusement que tu m’avais dit ce que je ne devais pas faire sinon j’aurais foncé sur ma meule ! Reconnais que j’y suis arrivé mais t’as vu, quand même, t’as vu ! Dis-le que t’as vu…
-          Tu as raison, j’ai vu ce que j’ai vu. Mais j’en aurai le cœur net, pas question de faire de la mousse avec ce truc. Comment tu te sens, là ?
-          Boh, ça va, ça va. Mais imagine-toi, ce truc, pour un mec comme moi, tout seul, bon allez, reconnais que c’est un truc à te foutre les jetons !
-          D’accord, mais ce carnaval, c’est pas possible, il y a un truc là-derrière ou je ne m’appelle plus Albert Forelle. Ce soir, on laisse tomber, on attend demain matin pour un rapide examen de la situation et demain soir pour savoir s’il y a récidive.
-          Quoi, tu voudrais que ça recommence ?
-          J’ai pas dit que je voudrais, j’ai dit qu’on se calme et on observe. Bon, tu es prêt à aller au pieu ou tu restes devant ta téloche ?
-          Au lit, tu rigoles ? Non, je peux pas…
-          T’as pas des somnifères ?
-          Oui mais si je me fous au pieu, somnifère ou non, je dors pas avec ça…
-          Alors, tu vas faire ce que je te dis : prend tes médocs, et reste dans le fauteuil, dors dans le fauteuil. Moi aussi, je me remets dans mon fauteuil, et suite du programme. Ça t’ira comme ça ?
-          Tu resteras là, dans ton fauteuil ? T’arriveras à dormir ?
-          C’est mon problème, file avaler tes médocs, je te veillerai mon petit !
-          Fous-toi de ma gueule, c’est pas drôle, dit Daniel en se levant.
Il revient avec un verre d’eau et une boîte de pilules, il s’en jette deux ou trois puis se cale dans son fauteuil devant la télévision qui continue à débiter de l’image.
Daniel ne tarde pas à s’endormir en ronflant bruyamment. Laissant la télévision allumée, Albert se glisse hors de la pièce, sort par l’arrière et tâte l’ambiance extérieure sans grand succès. Il rentre, se remet dans le fauteuil et s’endort.
*
(à suivre...)

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