Le train siffle trois
fois et le programme continue, Albert, dans son fauteuil s’assoupit, le Côtes
de Blaye aidant. Journal de onze heures qui ronronne et apparemment Daniel n’est
guère plus éveillé que lui, c’est cela la douceur d’un soir au coin de la
télévision…
-
Aaaaah Aaaaah ! Miaule Daniel. Il est
là, il est làààà !
-
Que quoi, s’éveille péniblement Albert,
quoi ça, où çà… !
Brutalement rappelé à la
réalité, Albert se glisse à quatre pattes vers Daniel, tétanisé dans son
fauteuil, la bouche grande ouverte. Puis il risque, à l’abri des tentures un œil
vers le parc.
Il manque se mettre à
miauler, lui aussi pour de bon. Une silhouette blanche circule en se dandinant
dans le parc, à l’orée du bois. Il sent la chair de poule sur ses bras et ses
cheveux se hérisser inéluctablement. L’apparition, c’en est bien une, fait
lentement un aller et retour dans le parc, sans se gêner. Et, vrai se dit
Albert, on dirait cette dame blanche dont il a déjà entendu parler. Toutes ses
fonctions mentales, son raisonnement, tout est bloqué. Il sait qu’il ne devrait
pas en croire ses yeux mais il ne peut détacher son regard de cette vision
ineffable ; Il se surprend à feuler légèrement et, s’entendant, cela le
ramène à une autre réalité, comme sortant d’un rêve. Au même moment, dans un
mouvement saccadé, l’apparition s’enfuit, happée par les bois environnants.
Daniel est tassé au fond de son fauteuil.
-
Heu… heureusement qu’t’es là, heureusement
que tu m’avais dit ce que je ne devais pas faire sinon j’aurais foncé sur ma
meule ! Reconnais que j’y suis arrivé mais t’as vu, quand même, t’as vu !
Dis-le que t’as vu…
-
Tu as raison, j’ai vu ce que j’ai vu. Mais
j’en aurai le cœur net, pas question de faire de la mousse avec ce truc.
Comment tu te sens, là ?
-
Boh, ça va, ça va. Mais imagine-toi, ce
truc, pour un mec comme moi, tout seul, bon allez, reconnais que c’est un truc
à te foutre les jetons !
-
D’accord, mais ce carnaval, c’est pas
possible, il y a un truc là-derrière ou je ne m’appelle plus Albert Forelle. Ce
soir, on laisse tomber, on attend demain matin pour un rapide examen de la
situation et demain soir pour savoir s’il y a récidive.
-
Quoi, tu voudrais que ça recommence ?
-
J’ai pas dit que je voudrais, j’ai dit qu’on
se calme et on observe. Bon, tu es prêt à aller au pieu ou tu restes devant ta
téloche ?
-
Au lit, tu rigoles ? Non, je peux pas…
-
T’as pas des somnifères ?
-
Oui mais si je me fous au pieu, somnifère
ou non, je dors pas avec ça…
-
Alors, tu vas faire ce que je te dis :
prend tes médocs, et reste dans le fauteuil, dors dans le fauteuil. Moi aussi,
je me remets dans mon fauteuil, et suite du programme. Ça t’ira comme ça ?
-
Tu resteras là, dans ton fauteuil ? T’arriveras
à dormir ?
-
C’est mon problème, file avaler tes
médocs, je te veillerai mon petit !
-
Fous-toi de ma gueule, c’est pas drôle,
dit Daniel en se levant.
Il revient avec un verre
d’eau et une boîte de pilules, il s’en jette deux ou trois puis se cale dans
son fauteuil devant la télévision qui continue à débiter de l’image.
Daniel ne tarde pas à s’endormir
en ronflant bruyamment. Laissant la télévision allumée, Albert se glisse hors
de la pièce, sort par l’arrière et tâte l’ambiance extérieure sans grand
succès. Il rentre, se remet dans le fauteuil et s’endort.
*
(à suivre...)
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