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mercredi 1 janvier 2020

Chronique agricole de Nouvel-An


Notre radio respectant la traditionnelle trêve des confiseurs, j’en profiterai pour vous raconter une histoire de nouvel-an. Cela se passait au siècle dernier sous la présidence pompidolienne. Un paysan, dans notre campagne profonde, vivant seul dans une ferme isolée, attendait, non pas le réveillon, mais la mise bas d’une de ses vaches, une belle primipare de bonne lignée âgée de 26 mois. Sur son exploitation d’une trentaine d’hectares, il avait onze vaches laitières adultes et une quinzaine de génisses et veaux. Le tout réparti entre l’étable classique, de petits appentis et un cabanon fermé en paille et planches. L’hiver, entre la traite matin et soir, la répartition du fourrage, la sortie du fumier et les soins divers, il fallait compter au bas mot quelques six heures de travail tous les jours de la semaine sans compter la maintenance de la pompe à eau et les travaux divers tels que le maniement du coupe sègue au fond des combes. Mais les vêlages nécessitaient toujours une attention particulière. Surtout dans le cas des premières portées, la jeune vache n’a pas encore sa conformation adulte et elle a une inquiétude qui s’atténuera au fil des portées. La surveillance de la parturiente est un moment critique et, au-delà de l’aspect économique, la santé de la mère et de son veau sont un enjeu pour le paysan qui vit toute l’année avec des animaux auxquels il est affectivement attaché. Et, s’il faut revenir sur ce plan financier, la perte de la mère ou du veau serait la perte du revenu, déjà faible du paysan, on ne peut en parler en termes de capital
Cela faisait une semaine que l’heureux évènement se faisait attendre, soit depuis Noël, mais cette fois il semblait bien que c’était le moment. Et, quelle que fût l’heure, une présence était nécessaire. Ainsi, pas d’idée de réveillon pour notre jeune cul-terreux qui passe sa soirée entre la cuisine de sa maison et l’étable. Mais le temps passe et on ne peut pas brusquer les choses. C’est vers onze heures qu’il va descendre dans l’étable et installer quelques bottes de pailles pour se reposer. Il éteint les lumières car les animaux ont besoin d’obscurité la nuit, comme bien d’autres êtres vivants. Vers minuit, il est sorti de sa torpeur par un meuglement. Il braque le mince filet de sa vieille lampe de poche et voit que la vache est prête à mettre bas. Il serait long de tout expliquer mais il est souvent nécessaire d’aider l’animal dans son travail. Le paysan, même s’il n’est pas un spécialiste, a la connaissance des gestes nécessaires. Parfois, dans les plus difficiles des cas, il faudra appeler le vétérinaire. Mais c’est une époque où le téléphone ne répond pas toujours la nuit, le vétérinaire habite loin… et on arrive au 1er janvier !
Il va falloir se débrouiller seul. On voit sortir en premier lieu les pattes avant –bon signe, car ce n’est pas un siège- et il faut les attraper fermement pour aider par traction au moment des contractions, en suivant le rythme de la vache. Certains paysans aisés ont une vêleuse, sorte de treuil à cliquet qui donne plus de force. Mais lui n’en n’avait point. Il faut donc tirer et développer le maximum de force au bon moment parce que, une fois que les eaux sont faites, que les pattes sont là et que le museau pointe, il faut que la mise bas se fasse sous peine de voir la vache s’épuiser et le veau s’étouffer. C’est donc une course contre la montre mais les animaux ne sont pas des machines et il faut agir avec autant de douceur que de force. La vache est couchée et meugle doucement, ça y est, le museau arrive, on dégage les narines. Et on aide encore en tirant. Les épaules ont du mal à passer mais la vache pousse, le paysan tire et tire. Si on tarde, le veau va s’asphyxier, il faut tirer, tirer. L’effort est violent mais paye enfin, les épaules passent et l’arrière-train suit. Il accueille le veau en douceur en évitant la chute mais la tension a été si forte qu’ils s’effondrent tous deux dans la paille. Le paysan, épuisé, a le cœur qui bat la castagnette, il s’appuie contre le mur chaulé et son regard rencontre celui de la mère, délivrée et encore plus fourbue. Ils se regardent ainsi pendant de longues secondes. Ils sont encore tous deux affalés, le repoupet tente déjà de se lever sur ses longues pattes maladroites. Il est deux heures, ils ont partagé un sacré réveillon.

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