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jeudi 23 janvier 2020

Appelez-moi Fortunio (50)


Albert, dans un premier sommeil, perçoit un bruit, il ne sait pas s’il rêve ou s’il est dans la réalité. Toc… toc… toc, chaque impact étant espacé de trois ou quatre secondes.
Cela vient de l’étage, ou du grenier. Il se lève en douceur, embrumé de sommeil mais tant pis, il faut qu’il comprenne. Il va directement à l’escalier du fond et commence à monter en essayant de ne pas faire craquer les marches. Maintenant, il situe l’origine du bruit, c’est au grenier. Il continue, doucement, à monter. Serait-ce une chouette, un grand ou petit duc ? Toc… toc… toc, un miaulement… Il lui semble voir, sous la porte, une légère luminosité, il attend quelques secondes, se ramassant pour ouvrir brutalement. Le bruit cesse, il y a comme un bruit de porte qu’on ferme. Albert ouvre brutalement. Rien, pas âme qui vive, ni homme ni rapace, toutes les lucarnes sont fermées. Il ne veut pas allumer, toujours ne pas attirer l’attention. Il redescend, cela lui rappelle quelque chose, ce toc… toc… toc, le miaulement. Il arrive dans le hall d’entrée et se dirige vers le bureau. Ici les volets sont fermés, on peut s’éclairer avec une lampe de poche. Il regarde les rayonnages de la bibliothèque. C’est plein de livres bizarres, de l’ésotérisme, des philosophes obscurs. Mais il se souvient avoir vu un rayon de grands classiques et romantiques, Hugo, Racine, Boileau… Il trouve ce qu’il cherchait. « Les Mémoires d’Outre-tombe », Châteaubriand ! Est-ce un hasard ? Il trouve tout de suite, au chapitre III le passage, souvenir de ses années au collège : « Les gens étaient persuadés qu’un certain comte de Combourg, à jambe de bois, mort depuis trois siècles, apparaissait à certaines époques, et qu’on l’avait rencontré dans le grand escalier de la tourelle ; sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois seule avec un chat noir. » Il n’a pas ouvert le livre au hasard, il y avait un signet à cette page, une note d’épicerie probablement. Il n’est donc pas le premier à s’intéresser à Châteaubriand. Et la note d’épicier date de huit mois plus tôt…
Il se rappelle, gamin, sa visite au château de Combourg, l’atmosphère romantique et le chat momifié dans sa vitrine, la légende de la jambe de bois qui se baladait. Tout cela était bien envoûtant, mais là, il commence à se dire qu’il ne va pas se laisser ensorceler.
Tout d’abord, savoir qui a pu lire Chateaubriand dans cette baraque. Qui a pu le lire dernièrement en tout cas, pour avancer dans cette histoire de toctoctoc. Ensuite, ensuite… la mystérieuse dame blanche… quand même il l’a vue de ses yeux, mille sabords ! Bon, et puis c’est pas tout ça mais il ferait presque sommeil, une petite bière et trois tranches de sauciflard, la fin de la nuit portera bien conseil. Il décide d’abandonner son fauteuil et il va se coucher dans son lit, un bon vrai lit, il n’y a que ça pour se reposer.
*
Il finit calmement sa nuit tant et si bien qu’il est plus de neuf heures quand il se réveille. Il se lève et descend par l’escalier de service. Une odeur de café lui flatte les narines. Daniel est dans la cuisine et a préparé un petit déjeuner pour deux.
-          Asseyez-vous, cher ami, dit ce dernier sur un ton guilleret. Votre pain, vous le voulez grillé ?
-          Vo… volontiers, répond Albert. Tu as l’air bien guilleret pour quelqu’un qui a dormi dans un fauteuil !
-          C’est vrai mais je devrais peut-être dormir plus souvent dans un fauteuil, on n’y dort pas si mal me semble-t-il…
-          Eh bien, pour ma part, je préfère un plumard. Et tu as dormi d’une traite ?
(à suivre...)

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