Albert, dans un premier
sommeil, perçoit un bruit, il ne sait pas s’il rêve ou s’il est dans la
réalité. Toc… toc… toc, chaque impact étant espacé de trois ou quatre secondes.
Cela vient de l’étage, ou
du grenier. Il se lève en douceur, embrumé de sommeil mais tant pis, il faut
qu’il comprenne. Il va directement à l’escalier du fond et commence à monter en
essayant de ne pas faire craquer les marches. Maintenant, il situe l’origine du
bruit, c’est au grenier. Il continue, doucement, à monter. Serait-ce une
chouette, un grand ou petit duc ? Toc… toc… toc, un miaulement… Il lui
semble voir, sous la porte, une légère luminosité, il attend quelques secondes,
se ramassant pour ouvrir brutalement. Le bruit cesse, il y a comme un bruit de
porte qu’on ferme. Albert ouvre brutalement. Rien, pas âme qui vive, ni homme
ni rapace, toutes les lucarnes sont fermées. Il ne veut pas allumer, toujours
ne pas attirer l’attention. Il redescend, cela lui rappelle quelque chose, ce
toc… toc… toc, le miaulement. Il arrive dans le hall d’entrée et se dirige vers
le bureau. Ici les volets sont fermés, on peut s’éclairer avec une lampe de
poche. Il regarde les rayonnages de la bibliothèque. C’est plein de livres
bizarres, de l’ésotérisme, des philosophes obscurs. Mais il se souvient avoir
vu un rayon de grands classiques et romantiques, Hugo, Racine, Boileau… Il
trouve ce qu’il cherchait. « Les Mémoires d’Outre-tombe »,
Châteaubriand ! Est-ce un hasard ? Il trouve tout de suite, au
chapitre III le passage, souvenir de ses années au collège : « Les gens étaient persuadés qu’un
certain comte de Combourg, à jambe de bois, mort depuis trois siècles,
apparaissait à certaines époques, et qu’on l’avait rencontré dans le grand
escalier de la tourelle ; sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois
seule avec un chat noir. » Il n’a pas ouvert le livre au hasard, il y
avait un signet à cette page, une note d’épicerie probablement. Il n’est donc
pas le premier à s’intéresser à Châteaubriand. Et la note d’épicier date de
huit mois plus tôt…
Il se rappelle, gamin, sa
visite au château de Combourg, l’atmosphère romantique et le chat momifié dans
sa vitrine, la légende de la jambe de bois qui se baladait. Tout cela était
bien envoûtant, mais là, il commence à se dire qu’il ne va pas se laisser ensorceler.
Tout d’abord, savoir qui
a pu lire Chateaubriand dans cette baraque. Qui a pu le lire dernièrement en
tout cas, pour avancer dans cette histoire de toctoctoc. Ensuite, ensuite… la
mystérieuse dame blanche… quand même il l’a vue de ses yeux, mille
sabords ! Bon, et puis c’est pas tout ça mais il ferait presque sommeil,
une petite bière et trois tranches de sauciflard, la fin de la nuit portera
bien conseil. Il décide d’abandonner son fauteuil et il va se coucher dans son
lit, un bon vrai lit, il n’y a que ça pour se reposer.
*
Il finit calmement sa
nuit tant et si bien qu’il est plus de neuf heures quand il se réveille. Il se
lève et descend par l’escalier de service. Une odeur de café lui flatte les
narines. Daniel est dans la cuisine et a préparé un petit déjeuner pour deux.
-
Asseyez-vous, cher ami, dit ce dernier sur
un ton guilleret. Votre pain, vous le voulez grillé ?
-
Vo… volontiers, répond Albert. Tu as l’air
bien guilleret pour quelqu’un qui a dormi dans un fauteuil !
-
C’est vrai mais je devrais peut-être
dormir plus souvent dans un fauteuil, on n’y dort pas si mal me semble-t-il…
-
Eh bien, pour ma part, je préfère un
plumard. Et tu as dormi d’une traite ?
(à suivre...)
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