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jeudi 5 mars 2020

Appelez-moi Fortunio (56)


-          C’est pas bien de dire ça. Moi, si je te prenais en main, je te collerais une pelle et à la bétonnière !
-          Wouah, mon père n’a même pas osé essayer, il avait peur pour la bétonnière…
-          Je comprends, mais moi je ne suis pas ton père et j’ai le pied leste. Tu souffrirais un peu au départ mais après, quelle reconnaissance envers ton cher patron !
-          Bon, on n’en n’est pas là. Maintenant, à table.
Daniel sort les pizzas du four et Albert lui sert un généreux verre de boisson gazeuse noirâtre. Après quoi, il se sert délicatement une rasade de bourgogne qu’il hume avant de porter un toast :
-          Bon, allez, à nos dames blanches, à nos chevaux et…
-          Arrête, j’avais réussi à ne plus y penser…
-          Pardon, pardon, tu as raison. Bon, alors, pour changer de sujet, il y a une question qui me brûle les lèvres. Tu parles de ton père adoptif et tu dis toujours « mon père », je trouve cela très bien mais est-ce que tu connais ton vrai géniteur ?
-          Non seulement tu veux tout savoir et rien payer mais de plus tu arrives à poser les questions qui fâchent ! Je vais te répondre et après ça l’affaire sera classée : je ne connais pas mon géniteur et ce n’est pas ma mère qui m’en a parlé, c’est mon père, celui que j’appelle mon père et j’y tiens car c’est mon vrai père. Alors, écoute-moi bien : j’ai pas eu un père, j’en ai eu deux. Toute jeune, ma mère, à peine dix-sept ans, était lingère dans un grand hôtel de Montauban. Le matin, elle portait le linge propre dans les étages et repartait avec les panières de sale. Un jour, elle amène le change dans une chambre qui avait été libérée et elle se retrouve nez à nez avec un client qui avait oublié un petit sac. Le mec commence à lui faire du gringue et il la culbute sur le plumard. Il te la déflore vite fait, à la hussarde. Et sur ces entrefaites, voilà que son collègue qui s’impatientait arrive lui aussi. Comme la place était chaude, il lui est aussi passé dessus. Les deux gonzes sont repartis non sans lui avoir dit de la fermer si elle voulait éviter des ennuis. Ma mère, toute innocente qu’elle était, a compris qu’elle devait en parler à quelqu’un. Pas les patrons de l’hôtel mais la maîtresse lingère. Une femme dure mais de bon sens. Elle s’est occupée d’elle et après, elle a fait sa petite enquête : les deux salopards –pardon, je devrais peut-être pas parler de mon père putatif mais qu’il aille se faire foutre- étaient des personnages importants de la politique toulousaine. Je te fais pas un dessin, Toulouse c’est Toulouse et les politicards y sont tranquillos, quand on parle de rapport entre truands et politique, on pense toujours Marseille mais pas Toulouse. Bref, la maitresse lingère a compris qu’il valait mieux la boucler, encore heureux qu’ils n’aient pas enlevé la gamine pour la mettre sur le trottoir. Bien sûr, quand la grossesse a commencé à devenir trop évidente, les patrons ont voulu virer ma mère mais la lingère en chef n’avait pas froid aux yeux et il semblerait qu’elle leur ait fait avaler qu’ils devaient assumer les conséquences de leur silence. Donc, ils lui ont trouvé un endroit pour accoucher et puis après, ils se sont démerdés pour l’envoyer avec le moutard – moi en l’occurrence – dans un village du Lot, travailler dans une auberge. Elle va en chier, quoique les patrons sont pas méchants, mais faut bosser quand même. Trois ans passeront avant qu’elle ne rencontre Virgile, l’entrepreneur entreprenant qui va m’adopter. A partir de là, elle aurait pu vivre tranquille, mon père était très amoureux, il m’adopte, elle peut enfin avoir une vie tranquille. Eh bien non, quelques années plus tard, c’est elle qui veut le divorce. Mon père lui aurait tout passé, il accepte même s’il en est malheureux. Il va l’aider financièrement encore après, elle se fait faire trois autres gosses et elle se retrouve quand même seule avec ses mômes. Dans le truc, moi j’ai de la chance, mon père fait ce qu’il peut de moi. Quand même, je te signale que j’ai passé le bac et si ça avait été que de moi, je me serais pas bougé le cul. Mais il a réussi à me motiver, à me faire aider et patati, j’ai le bac, moi m’sieur !
(à suivre...)

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