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jeudi 12 mars 2020

Appelez-moi Fortunio (57)


-          J’en suis content pour toi, moi aussi j’ai passé le bac… en 68, personne avait été recalé que je sache !
-          Ah ouais, t’es pas con toi, tu sais tomber les bonnes années !
-          Bien, cela dit, je ne connais pas ton programme mais moi, je vais encore faire une petite inspection de la maison, particulièrement le grenier. Tu n’y vois pas d’inconvénient ?
-          Oh non ! Tu peux visiter, fouiller, je te fais confiance…
-          Et si tu avais tort ?
-          De te faire confiance ? Il ne faut jurer de rien, bien sûr, mais tu me fus recommandé par madame Setier qui est probablement la seule personne à qui je puisse vraiment faire confiance en ce moment !
Albert ne tient pas à continuer la conversation sur ce sujet et il passe dans l’office. Il a décidé de faire un tour de la maison en ne se laissant guider ni par sa raison, ni par son instinct, tâchant de mettre ses sens au ralenti et de capter seulement son ressenti. Un peu comme une promenade sur la plage, tenter de laisser l’iode et les embruns percoler doucement sous sa peau.
Il prend l’escalier de service et se retrouve dans la lingerie. De là, il passe dans le couloir, s’approche doucement de la baie vitrée qui donne sur le parc puis il visite les chambres, l’une après l’autre, sans même détailler le mobilier ou la décoration. De temps à autre, il tourne sur lui-même pour mieux laisser les lieux se pénétrer en lui.
Il emprunte maintenant l’escalier qui monte au grenier, doucement et il ouvre la porte en essayant de ne plus penser aux bruits de la nuit, simplement il circule, indifférent aux toiles d’araignées et à la poussière.
Dans sa poitrine, il ressent un point d’interrogation, comme s’il y avait quelque chose à voir, ici dans ce grenier. Il ne s’attarde pourtant pas mais, sans se presser, après avoir, là aussi, regardé le parc par les lucarnes embrumées de poussière, il redescend l’escalier jusqu’au rez-de-chaussée. Il entend que Daniel a allumé la télévision, il tient surtout à le laisser tranquille et à ne pas perturber sa prise de conscience des lieux. Il retourne dans le grand cabinet de travail et s’imprègne de l’atmosphère, passant un regard comme absent sur toutes ces curiosités. Puis sur les rayonnages chargés de livres. Il règne une pénombre favorable, les volets persiennés laissant filtrer un jour suffisant. Albert s’assoit dans le confortable fauteuil ministre, laissant toujours son esprit flotter. Il ne sait combien de temps cela dure, il a le sentiment de sentir des choses mais il sait aussi qu’il ne faut pas se presser de les saisir sous peine de les laisser s’échapper.
Doucement, comme on se réveille, il émerge à la surface des choses. Il regarde autour de lui, sur ce bureau ministre, à portée de main, trône un téléphone, un de ces téléphones noirs à cadran. Il décroche le combiné, machinalement. Il écoute la tonalité et fronce le sourcil. Il raccroche, attend une vingtaine de secondes et décroche à nouveau. Pas d’erreur, il y a un tutt caractéristique et anormal. Il raccroche et recommence la même opération.
En son for intérieur, il pense : un point à zéro !
Mais il reste assis et, par curiosité, ouvre les tiroirs latéraux du bureau. Des agrafeuses, des crayons, des bloc-notes,  des gommes, des papiers divers. Un seul est fermé à clé. Sans clé, bien sûr. Au milieu, ce n’est pas un tiroir mais une simple planche à écrire couverte d’un feutre vert. Intrigué, il la tire et constate qu’elle se sort. On peut donc la poser où l’on veut. Plus intéressant, c’est que, lorsqu’on la sort complètement, on trouve un creux taillé dans l’épaisseur où il y a une petite clé… probablement la clé du tiroir fermé. 
(à suivre...)

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