Il a pris sa retraite six ou sept mois plus tôt et a liquidé tout ce qu’il possédait, ne gardant que le minimum nécessaire ou ce à quoi il tenait : ses vêtements et quelques livres. Dans le même temps, il s’était mis en quête d’un petit appartement pas trop cher, loin de la région parisienne et de préférence près de la mer. Avec comme principal souhait de pouvoir enfin s’adonner à ce qu’il avait si peu pu faire auparavant : se promener, marcher à pied au grand air mais aussi, dans une jolie petite ville, regarder, observer et écouter. Il a fini par trouver cet appartement proche de Saint-Lambaire.
Maintenant, il n’a plus que le souci de payer son loyer. Il a vendu son garage, ses outils et ses meubles. Ses dernières charges sont payées et il commence à toucher ses premiers mois de pension. Une pension modeste, comme toujours chez un ancien commerçant, artisan ou paysan. Il a donc pris la décision de réduire au minimum ses besoins et ses désirs, pour vivre avec le moins de contrariétés et le plus d’ouverture possible.
Après une jeunesse mouvementée où il avait travaillé çà et là sans trop se soucier du lendemain, il s’était finalement, vers la quarantaine, installé comme garagiste dans un coin un peu perdu en région parisienne. Il avait repris l’atelier d’un vieux mécanicien qui le lui avait cédé en viager. Il s’était accroché, vivant les premières années dans une caravane sur le terrain attenant au garage. Lorsque le vieux décéda, près de dix ans plus tard, il avait repris l’appartement au dessus de l’atelier, celui que l’ancien propriétaire s’était gardé en jouissance jusqu’à sa mort.
Il n’avait pas fait fortune dans ce coin de banlieue pauvre. Les clients ne manquaient pas, mais c’était l’argent qui leur faisait défaut. Il était sans cesse à guetter leurs fins de mois. Et si l’un d’eux commençait à s’en sortir mieux financièrement, c’est alors que ce dernier s’achetait une voiture neuve ou très récente. Soit ils allaient d’eux-mêmes faire entretenir leur voiture chez des concessionnaires, soit il devait lui-même les y envoyer parce qu’elles étaient truffées de cette électronique pour gogos que même les concessionnaires peinent à réparer. L’avenir se faisait de plus en plus étroit pour le mécanicien de banlieue qu’il était. Il décida donc de prendre sa retraite et il aurait eu plus d’un repreneur potentiel, mais toujours des glandeurs ou des bras-cassés incapables de tenir la distance et sans le premier sou pour démarrer. Sa seule chance avait été de vendre son garage, avec tout le terrain attenant, à un commerçant désireux de créer un supermarché. Il aurait préféré que quelqu’un perpétue son activité, mais le montant de la vente lui permet maintenant d’améliorer le montant de sa pension.
*
Il descend et va jusqu’au magasin d’informatique pour se renseigner sur l’achat d’un ordinateur portable. Il aimerait avoir accès à internet, pour lui cela serait une ouverture sur le monde, bien plus que la télévision. Le patron du magasin est à la fois vendeur et réparateur. Cela lui plait, c’est bien pratique. Après avoir regardé les différents modèles d’ordinateurs, il repart avec quelques prospectus qu’il étudiera plus tard. Il va acheter Ouest-France et Le Télégramme pour avoir un aperçu de la vie locale. Ensuite, il revient chez lui. Car, oui, il commence à se sentir chez lui ici.
Il met la clé dans la serrure juste au moment où arrive une camionnette. Le chauffeur descend sa vitre et lui demande :
– Pardon, je cherche Monsieur Magre, rue Équoignon, vous connaissez ?
– C’est moi-même et en personne, répond-il en souriant.
Le livreur gare son véhicule à cheval sur le trottoir, descend et ouvre les portes arrière.
– Je voudrais vous demander de me porter le tout en haut, sollicite Hervé. Je vous aiderai bien sûr.
– Si c’est pas au douzième, ça peut s’envisager. Y’a pas d’ascenseur, si je comprends bien ? interroge le livreur.
– Vous avez tout compris.
– Bon, allez, en deux ou trois voyages, ça y sera, on y va. On prend la grosse malle à deux ?
– On y va, merci du coup de main.
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