(...)
Cela pouvait permettre de le vendre sur Saint-Lambaire où les amateurs appréciaient toujours ce peintre, mais cela n’en faisait pas un tableau de grand prix. Cependant, le conservateur voulait en faire l’acquisition pour la collection du musée de Saint-Lambaire. Comme je ne comptais pas vendre ce tableau que j’avais déjà vendu une fois, je m’enquis de savoir dans quelle salle du musée il serait exposé. Le conservateur me répondit qu’il ne serait pas exposé mais qu’il serait mis dans les collections du musée, ce qui équivaut à dire que ce tableau retournerait dans un cabinet noir. Je refusai donc catégoriquement de céder mon tableau. Car depuis le temps, il était devenu mien. Le conservateur tenta tout ce qu’il put pour me faire changer d’avis, le sentiment patriotique, la reconnaissance envers celui qui avait découvert l’auteur de l’œuvre…, rien n’y fit. Je déclarai que je mettrais une clause obligeant le musée à exposer cette œuvre, sous peine, s’il ne s’y conformait pas, de devoir me restituer le tableau. Je savais fort bien que cette clause aurait été difficile à défendre devant les tribunaux, mais je me sentais un devoir moral envers ce tableau, Dieu sait pourquoi. Le conservateur fut impressionné par ma détermination. Il revint peu de temps après avec le député-maire de Saint-Lambaire, pas le bébé-Cadum d’aujourd’hui, un de ses prédécesseurs, une pointure celui-là. Ils me proposèrent un arrangement. Il y avait un petit bâtiment proche de la mairie qui servait de salle d’exposition pour de la peinture régionale. Ce bâtiment appartenait à la commune, mais les œuvres y étaient exposées sous la responsabilité du musée et donc de son conservateur. Mon Leyden y serait exposé à titre permanent et je serais cité comme donateur. J’acceptai donc la proposition tout en refusant que mon nom soit cité. Tout de même, ce n’était pas un Caravage… Le conservateur devait revenir quelques jours après pour signer un contrat en bonne et due forme. J’avais obtenu satisfaction et néanmoins, cette histoire passait mal, allez savoir pourquoi. Tout cela me laissait un arrière-goût amer, ou plutôt de cendre, dirais-je, puisque deux jours avant la signature du contrat, le petit bâtiment prit feu et fut en partie détruit. Et je pris fermement la décision de ne plus me défaire de cette peinture sans être vraiment certain de faire ce qu’elle voulait. Oui ce que voulait cette peinture, mon cher Landau, ne vous en déplaise !
– C’en est assez, mon cher Raymond, vous devez nous montrer ce tableau et je commence à croire que vous aviez raison. Mais cela sera certainement la seule et dernière fois de ma vie où, venant à résipiscence, je demanderai pardon à genoux. Parole d’expert !
– Mon cher Landau, je vous adore. Vous êtes à la fois si sincère et si moqueur. C’est bon, vous avez gagné sur ce point, je vais vous le montrer. Mais je n’ai pas fini mon histoire et vous m’écouterez jusqu’à la fin.
– Alors, permettez-moi d’appeler mon épouse à l’hôtel, qu’elle sache que je serai retardé, répondit Landau.
– Je vous en prie, l’appareil est sur cette table, appelez-la et dites-lui que je vous invite tous deux, ainsi que monsieur Magre bien sûr, à manger des huitres et autres fruits de mer après notre conversation.
Landau appelle son épouse qui, se sentant un peu mieux, accepte l’invitation. Elle viendra directement au magasin. Il raccroche et Marondeau passe dans l’arrière-magasin d’où il revient en portant un tableau.
– Le Leyden, messieurs ! Regardez le bien et voyez comme il est joli, dit il en le posant sur une commode, appuyé au mur.
– Très intéressant, en effet, dit Landau. Et la signature, on dirait bien Artur Leyden, mais je n’ai pas les éléments qui me permettraient…
– Et voici les documents que je tiens du conservateur et de l’expert qui l’a accompagné, regardez, regardez, dit Marondeau en agitant une petite liasse de papiers.
– Mon cher, je n’ai aucune habitude de me mettre à genoux, je suis plutôt anticlérical, mais acceptez mes excuses. Parole d’expert, encore une fois.
– Mais que tout cela reste entre nous. Mon cher Hervé, que pensez-vous de ce tableau ?
– Je n’y connais rien, avoue Hervé, mais il me fascine. Autant pour la peinture en elle-même, que je trouve jolie, que par toute l’aura que lui confère l’histoire que vous nous avez racontée.
– Et comme je l’ai dit, je n’ai pas fini quoique nous approchions de la fin. Rassoyons-nous, messieurs, je veux avoir mon auditoire en face de moi. Donc, ce tableau est depuis des années chez moi, deux fois il est parti et revenu et une fois, il a décidé de rester ici. Ce fut le début d’une longue brouille avec le conservateur qui ne me parla plus jusqu’à son départ à la retraite et pour le midi de la France. Et je ne le revis plus. Mais il reste un, ou une, protagoniste dans cette affaire : Antonia Viquerosse.
– Inconnue au bataillon, de qui parlez-vous ? demande Landau.
(à suivre...)
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