2. Deux pour le prix d’un
Le jour suivant, il pleut sur la région comme s’il avait plu de toute éternité et comme si cela devait continuer ainsi pour la nuit des temps. Toute la Bretagne se met à goutter d’une pluie fine, incessante. Il reste chez lui le matin, il commence à maîtriser son nouvel ordinateur et y reste installé jusqu’à treize heures. Il prend ensuite un léger repas et décide de sortir tout de même, il a ce qu’il faut pour braver les intempéries : un bon ciré et un pantalon étanche. Il part donc faire le tour des remparts de la ville, il aime ce temps humide au travers duquel il faut deviner les flots, imaginer le ciel. Il se promène ainsi jusqu’à plus de seize heures et rentre chez lui sans passer par la ville. Il ne peut tout de même pas se présenter ainsi chez Marondeau, dégoulinant dans sa tenue jaune canari.
La pluie s’installe durablement avec l’approche de l’hiver. Plusieurs jours passent, toujours aussi gris. Une après-midi, il décide, au retour de sa promenade, de s’arrêter chez Marondeau. Il entre dans la boutique et tente de se débarrasser discrètement de sa tenue si peu seyante, mais du fond du magasin, Raymond l’interpelle :
– Vous faites de l’intérim pour la DDE maintenant ou vous venez me goudronner le parquet ? lance-t-il d’un ton mi-figue, mi-raisin.
– Ah, je suis désolé de me présenter ainsi mais il pleut tous les jours…
– Et vous n’avez ni gabardine ni parapluie, enfin rien de civilisé, mon cher Hervé ? Mais débarrassez-vous si vous le pouvez et venez me voir. Si vous voulez un thé, débrouillez-vous pour le préparer, je ne suis bon à rien aujourd’hui, dit-il en restant enfoncé dans son fauteuil.
Hervé salue Raymond et passe dans l’arrière-boutique où il prépare le thé. Il revient avec le plateau, la théière et deux tasses, pose le tout sur la table et attend.
– Ne restez pas planté là, mon cher, vous allez prendre racine et vous me feriez une ombre funeste, dit Raymond en souriant faiblement. Allons, le thé est suffisamment infusé, servez-nous et assoyez-vous. Quoi de neuf à part la pluie, mon cher Hervé ?
– Je voulais vous demander conseil au sujet du tableau…
– Vous avez eu ce que vous vouliez, que voulez-vous savoir de plus ? Je vous ai déjà tout dit, il me semble !
– Je crois que je pourrais le faire encadrer de manière à le mettre plus en valeur, on dirait que la peinture est enserrée dans son cadre, ces quatre barreaux noirs me font une triste impression…
– Faites-le ré-encadrer si vous avez de l’argent à gaspiller, mon cher, tout cela est bien pusillanime, cela me fatigue de parler de cela. Si vous cherchez un encadreur, vous en avez un ici à Saint-Lambaire. Un goujat, un escroc et, pire encore, un homme de peu de goût. Allez ailleurs, à Paris, à Rennes, à Dinan ou à Morlaix, oui à Morlaix par exemple, chez Dussieu, un honnête homme, mais pas ici, pas à Saint-Lambaire. Cela dit, vous préparez le thé comme un garagiste, mon cher, il a un arrière-goût de vidange et une odeur de Ferodo. Si vous êtes venu pour faire un scrabble ou un mah-jong, vous en serez pour vos frais, vous m’avez dérangé pour me faire avaler une tisane délétère et me poser des questions oiseuses. Vous m’obligeriez en rangeant toute cette vaisselle dans mon arrière magasin.
(à suivre...)
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