Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Je vais vous conter maintenant l’histoire de Jeannot de Baraque, une histoire d’antan. A cette époque-là, on attachait peu d’importance au noms de famille, chacune et chacun était familièrement appelé par son prénom. Le prénom était généralement donné d’après les noms des saints du calendrier et en rapport avec la généalogie proche. Ensuite, pour préciser, on faisait fi du nom de famille pour préférer le nom du lieu auquel la personne était attachée. Dans le cas de Jeannot de Baraque, ce nom de lieu était celui de la masure qui avait été construite par son père, enfant surnuméraire d’une famille de métayers pauvres du Colbois. Le père de Jeannot avait épousé la fille de journaliers aussi misérables que lui et ils s’en étaient allés rechercher du travail dans la plaine. Du travail, il n’en manquait pas mais le plus souvent payé d’une maigre pitance et d’un abri précaire. Or, Jeannette devenue enceinte, allaient-ils accueillir un enfant dans d’aussi sordides conditions ?
Les parents de Jeannot quittèrent donc la plaine pour s’en aller dans les bois chercher du travail auprès des charbonniers, ceux qui fabriquaient le charbon de bois, un travail dur mais plus rémunérateur. Ils commencèrent en logeant dans une cabane en bois délabrée qui était abandonnée par son occupant précédent.
Malgré de longues journées de travail, les parents réussirent à aménager cette cahute et à débuter la construction d’une maisonnette en pierre que les habitants de la forêt appelèrent baraque. D’où le nom attribué aux parents et au petit qui naquit dans ce nid construit pour l’accueillir.
Ils vécurent ainsi pendant une quinzaine d’années, Jeannot apprenait le métier et ils se sentaient heureux, riches de légères économies, quand brutalement le père mourut. Jeannot et sa mère continuèrent du mieux qu’ils le pouvaient. Il devenait un rude gaillard. Toutefois, depuis quelques années, le charbon de bois se vendait moins, on gagnait peu. Mais Jeannot, tout comme ses parents, ne gardait pas ses deux pieds dans le même sabot et il eut l’idée d’acheter une coupe de bois qui avait été mise à prix et dont personne n’avait voulu. L’affaire était intéressante mais, pour payer la coupe, il avait utilisé, outre leurs économies, de l’argent emprunté à l’apothicaire d’un bourg voisin. De son père, il avait hérité d’une belle cognée qu’il savait aiguiser comme savent le faire les gens de la forêt. Et le travail avançait gaillardement, il estimait avoir déjà coupé de quoi rembourser son prêteur.
Un matin, à peine l’aube transparaissait, une brume légère s’infiltrait entre les arbres, il arriva sur sa coupe. Et han ! A coups de hache puissants et précis, il faisait sauter de larges copeaux à la base d’un chêne. L’entaille proprement faite , l’arbre devait tomber vers un essart où il pourrait le débiter. Mais un coup de vent imprévu fit tourner légèrement le grand arbre dont une branche maîtresse se rompit et tomba sur Jeannot, lui bloquant durement une jambe. Il ne pouvait plus se dégager, inutile de crier, il n’y avait personne à plus de deux ou trois lieues. Et, dans cette position, impossible d’attraper sa cognée pour tenter de couper la moindre brindille. Inexorablement, la jambe s’engourdissait. Deux heures passèrent ainsi lorsqu’il vit surgir auprès de lui un tout petit être, comme un homme ou une sorte de génie. « Qui est-tu ? » demanda Jeannot. « Je suis le Drac, ne m’en demande pas plus, ne perds pas de temps et dis-moi : qui veux-tu que j’aille chercher ? Choisis : les pompiers, le curé ou la Fanette ? » Jeannot pensa que les pompiers étaient à dix lieues, bien trop loin ; le curé était vieux et Jeannot guère bon paroissien ; mais Fanette, frêle jeune fille, que pouvait-elle ? Il n’avait jamais osé lui avouer qu’il l’aimait, la jolie et douce Fanette, qui sait si ce n’était pas maintenant, avant de mourir peut-être ? « La Fanette ! » s’écria-t-il. Celle-ci gardait son petit troupeau non loin de là et le Drac eut vite fait de la faire venir. « Jeannot, mon diou, s’écria-t-elle, ton sang va se bloquer, tu es en grand danger ! »
Elle empoigna la grosse branche et, dans un effort terrible, la souleva permettant à Jeannot de se dégager. Elle relâcha la branche et s’écroula, perdant connaissance. « Sache, dit le Drac à Jeannot, que l’amour peut soulever des montagnes. Elle va revenir à elle, prends-en grand soin ! » Et il disparut.
On voit par-là qu’ils se marièrent et eurent quelques enfants.
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