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jeudi 21 octobre 2021

Dernier tableau (47)

 – Oh non, pas vraiment, j’ai juste eu l’occasion de donner un coup de main à monsieur André, son factotum. Je dois dire que, ce faisant, j’ai eu l’honneur et le plaisir de participer à l’accrochage du magnifique tableau dont Madame Le Blévec a fait l’acquisition. Mais pour autant je ne suis pas un familier de monsieur Marondeau.

– Sacré personnage, il m’énerve, mais d’une certaine manière, je l’aime bien, je ne sais pas pourquoi. Ou plutôt si, je sais pourquoi. C’est un homme de caractère et un homme de goût, nous nous ressemblons trop pour nous entendre, mais nous nous estimons. Enfin, moi, j’ai de l’estime pour lui. Mais c’est une vraie tête de mule. Si vous avez l’occasion de parler avec lui, essayez donc de savoir s’il a toujours un petit tableau d’Artur Leyden, un petit paysage, une petite ferme…

– Je ne sais pas si j’en aurai l’occasion. Vous voudriez l’acheter ?

– Non, J’aurais aimé qu’il en fasse don au musée de St-Lambaire, pour les collections du musée. C’est une pièce rare, le seul paysage que Leyden aurait peint. Mais, comme je l’ai dit, Monsieur est une tête de mule. Il exige que ce tableau soit en bonne place dans le musée, exposé en permanence. Vous pensez bien qu’on ne peut pas décrocher une toile des cimaises comme cela. On rentre un tableau dans les collections puis, un jour, lorsqu’une place se dégage, on peut espérer l’exposer. C’est une question de temps…

– Il l’a peut-être vendu, il a bien vendu une marine à Madame Le Blévec !

– Oui, mais il est étrangement attaché à ce petit tableau, je n’arrive pas à croire qu’il ait pu le vendre…

– Enfin, si j’en ai l’occasion, j’essayerai de voir si je peux en parler. Mais, si je peux me permettre, je crois que vous êtes bien trop jeune pour avoir connu votre… oncle, votre cousin… Artur Leyden…

– En effet, mais ma mère le connaissait. Ils étaient cousins. Ils se voyaient peu mais son décès l’a profondément affectée.

– Il paraît qu’il est décédé dans des circonstances assez mystérieuses, non élucidées…

– C’est vrai et finalement, en jetant un voile pudique sur cette mort, on a fait planer encore plus encore de soupçons sur sa mémoire. Enfin, aujourd’hui, pour bien des gens, c’est oublié. Si ma mère avait pu, si elle avait vécu plus longtemps et surtout si mon père l’avait soutenue, elle aurait cherché à faire réhabiliter son cousin. J’ai bien essayé de reprendre le flambeau, mais on m’a fait comprendre qu’il valait mieux valoriser l’œuvre plutôt que réhabiliter l’homme.

– On vous a fait comprendre… ?

– Vous savez, dit-elle en souriant largement, j’ai beaucoup de gueule, comme on dit chez nous en Gascogne, je sais me battre contre des moulins à vent, mais on ne peut pas passer sa vie à ramer à contre-courant. Surtout toute seule. Aujourd’hui, je suis mariée, j’ai des enfants, j’ai une vie de famille, je ne pars plus en guerre contre vents et marées. Il y a cet ancien conservateur du musée qui a écrit une monographie sur Artur et qui aurait voulu aborder le sujet de cette mort accidentelle. Je n’avais pas assez d’éléments pour l’aider à ce sujet. Il n’a retrouvé aucun témoin de cette époque, aucun en tout cas qui ait voulu s’exprimer à ce sujet. L’enquête elle-même a été vite bouclée et les journaux n’en ont pratiquement pas parlé.

– Je ne voudrais pas être indiscret, mais quand vous dites « on m’a fait comprendre », peut-on savoir qui est cet on ?

– Je me suis exprimée un peu rapidement, répondit-elle assez vite, je ne pensais à personne en particulier, je crois que c’est mon ressenti plus que quelque chose qui aurait été exprimé…

 

Hervé sentit une gêne dans les propos d’Antonia, ce qui ne pouvait que le surprendre étant donné la réputation de celle-ci. Elle reprit néanmoins.

 

– Si cela vous intéresse, je pourrais vous faire passer ce que j’ai comme documents en ma possession, je veux dire : le dossier que j’ai transmis au conservateur. Vous avez une adresse mail ?

– Oui, je vais l’inscrire sur un bout de papier, un instant, répond Hervé.

– Vous savez, cette affaire est ancienne, il y a peu de chance de savoir un jour ce qui s’est passé en haut de cette falaise, mais cela me laisse un goût de cendre et c’est pour cette raison que je ne peux pas m’empêcher d’en parler. Je vous enverrai un mail et de votre côté, si vous apprenez quelque chose, tenez-moi au courant. J’ai une réelle affection pour Artur Leyden, cela peut paraître bizarre, mais c’est comme cela. Étant plus jeune, j’aurais remué ciel et terre pour lui. Aujourd’hui, les choses ont changé mais il y a toujours quelque chose qui s’allume en moi quand on parle de lui. Merci, dit-elle en prenant le papier que lui tend Hervé, je vous promets de vous envoyer ce que j’ai. J’ai l’impression que cela vous intéresse, qui sait ? Je vous passe le témoin…

(à suivre...)

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