Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Vous avez sûrement entendu parler de Jacquou de Montauban. Il était encore bien jeune, tout juste dix-huit ans en 39, lorsqu’un jour en se promenant dans la ville, il découvrit une petite rue, presque une ruelle, au bout de laquelle il vit un petit magasin, une échoppe de cordonnier. Il pensa à ses chaussures, bien fatiguées de la semelle, et qui pourraient peut-être retrouver une nouvelle vie si un cordonnier s’en occupait.
Il entra et vit au fond d’une boutique poussiéreuse un homme très âgé qui lui demanda ce qu’il désirait.
- Pouvez-vous m’arranger mes chaussures, demanda Jacquou.
- Oh oui, ces chaussures sont encore bonnes et je peux vous les ressemeler, répondit l’artisan.
Sans hésiter, Jacquou quitta ses chaussures et les confia au cordonnier.
- Elles seront prêtes jeudi, lui déclara le vieil homme.
Tout heureux, Jacquou repartit pieds nus à travers Montauban et rentra chez lui.
Mais on était à la veille de la guerre. Le mercredi, Jacquou fut mobilisé d’urgence et envoyé sur la ligne Maginot. Ce fut la drôle de guerre, on n’entendit point tonner les canons et les soldats attendaient impatiemment d’aller pendre leur linge sur la ligne Siegfried. Bien que cela durât quelques dix mois, Jacquou ne put obtenir aucune permission qui lui aurait permis de revenir dans sa bonne ville de Montauban. Puis, vint l’invasion de la Belgique qui permit aux attaquants de prendre à revers les troupes françaises. Un bon nombre de celles-ci reculèrent rapidement mais la compagnie de Jacquou fut submergée par l’attaque ennemie et Jacquou fut fait prisonnier.
Voilà notre Jacquou envoyé dans un stalag pendant plusieurs mois puis il fut envoyé travailler dans une ferme allemande. En effet, la fermière avait besoin de bras pour les travaux de la ferme, son mari ayant été mobilisé et envoyé en Italie puis sur le front de l’Est. Une année passa, Jacquou s’habituait fort bien aux travaux des champs qu’il avait connus chez ses grands-parents. Sa patronne l’appréciait et il avait de bonnes relations avec le voisinage.
Puis on apprit que le mari de la fermière était mort dans un bombardement. On porta bien le deuil mais ce pauvre homme fut bien vite oublié. Car une idylle s’était nouée entre Jacquou et sa patronne et, à la fin de la guerre, il avaient déjà deux enfants.
Jacquou et Heidi, la fermière, vivaient heureux, loin des soucis de la ville, avec leur famille. La ferme prospérait gentiment et ils étaient plus amoureux encore qu’aux premiers jours, maintenant que la paix était revenue et qu’ils vivaient leur amour librement. Jacquou en avait oublié son pays natal, il avait appris le décès de ses parents et sa famille était ici à présent.
Toutefois au bout de dix ans, Heidi crut déceler des moments de nostalgie chez son Jacquou. Elle pensait que cela lui ferait du bien d’aller revoir le pays. Il en reviendrait certainement ragaillardi, il aurait retrouvé ses racines et il aurait changé d’air. Il n’en reviendrait que mieux et, si cela était possible, plus amoureux. Elle persuada Jacquou de prendre le train et d’aller revoir Montauban. Il hésita, tergiversa puis se décida.
Il fut content de voyager, le train, les gares, les paysages lui semblaient beaux mais pas tant que sa ferme et sa famille. Ce lui fut une joie d’arriver à la gare de Ville Bourbon puis de monter à pied vers la ville en traversant le Tarn par le pont de Sapiac. Il ne reconnaît plus trop la ville, des choses avaient changé, ses souvenirs s’étaient effacés. Il déambulait lorsqu’il aperçut la ruelle, oui la ruelle où, juste avant la guerre, il avait déposé ses chaussures. Amusé, il regarda et vit, un peu plus loin, l’échoppe de ce cordonnier. La vitrine était encore plus vieillotte, la poussière régnait plus qu’avant.
Il poussa la porte et scruta : au fond, le cordonnier était encore là, encore plus vieux mais alerte.
- Bonjour Monsieur, dit Jacquou. Vous vous souvenez de moi ? Avant la guerre, en 39, je vous avais porté une paire de chaussures…
- Mais oui, vous avez raison et je m’en souviens. Attendez un instant, je vais voir.
Le cordonnier ouvre une porte au fond de l’atelier et descend à la cave. Jacquou l’entend farfouiller puis le cordonnier s’écrie :
- Oui, c’est bien cela, ce sont vos chaussures ! Elles seront prêtes jeudi !
On voit par-là qu’il n’est jamais trop tard.
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