Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Les siècles passent et l’être humain perdure avec ses heurs et malheurs. Voici une bien intemporelle histoire de crime.
Cela s’est passé au château du baron de Malagan . Il y fut assassiné le jour où il y épousa Sylvaine de Vibaulieu. L’union venait d’être célébrée et le baron menait ses invités vers la salle à manger où se tiendrait le repas de noces. En passant devant une lourde tenture tendue devant les commodités, il s’affaissa, mortellement blessé d’un coup de dague porté à travers le rideau. On écarta le rideau mais nul ne vit qui que ce soit derrière. Et la seule issue était par cette portière, ce lourd rideau pourpre doublé d’une grossière toile brune…
Les plus éminents invités firent asseoir les personnes présentes autour de la table de la salle à manger. On envoya quérir le lieutenant de police qui arriva avec ses gendarmes. Une chose était certaine, le meurtrier n’avait pu s’enfuir et faisait donc partie des personnes présentes. Le lieutenant de police procéda à un interrogatoire après avoir examiné la scène de crime. Il demanda en priorité à la toute jeune veuve si son époux avait, à sa connaissance, quelque ennemi. Après avoir fondu en larmes, celle-ci répondit par la négative. Ensuite, il demanda aux personnes présentes de parler de leurs relations avec le défunt. Il en ressortit que la famille de la jeune mariée avait accepté cette union avec quelques réserves, le marié étant de noblesse toute récente. Mais il possédait toutefois une jolie fortune qui avait permis de faire passer la pilule. Du côté des voisins et amis, il comprit que le baron était dur en affaires mais toujours honnête et loyal. On comprit aussi que les voisins non invités avaient eu parfois maille à partir avec le baron mais cela ne permettait pas de les incriminer. Quant à l’abbé, curé de la paroisse, il ne pouvait que dire du bien de ce fidèle chrétien, soucieux des biens de l’église autant que des paroissiens nécessiteux. Il y avait encore le frère du défunt, moine prédicateur itinérant, vêtu de bure et de componction, que son frère avait tenu à inviter à son mariage. Ils ne s’étaient plus vus depuis de longues années sans qu’aucun différend ne les ait séparés.
Après ce tour de table, le lieutenant, qui ne se départissait jamais de la confiance illimitée qu’il mettait en sa prescience, pointa le doigt en direction de Bernard, le frère de Sylvaine et, l’accusant de meurtre, le fit arrêter par ses hommes.
Pendant tout ce temps, le valet du lieutenant, arrivé par ses propres moyens au château, faisait sa propre enquête en douce, passant par les communs et les cuisines et faisant parler le petit personnel. Il fit irruption au moment de la mise en accusation du frère de l’épousée et pria le lieutenant de le relâcher. « Que faites-vous ici, Hoptorner Tigedebotte ? » s’écria le lieutenant. « Tout d’abord, je me présente à l’honorable assistance, si vous le permettez. Je suis Hoptorner Tigedebotte, assistant de monsieur le Lieutenant de Police du Roi. Mon honorable maître, avec sa prescience habituelle, a découvert le mobile de cet horrible crime par sa seule intuition perçante. Mais je lui amène des éléments qu’il ne pouvait connaître et que je vais porter à votre connaissance aussi. Je m’explique : dans cette affaire, le meurtrier doit nécessairement être un des convives ici présent. Car au cas où, ne faisant pas partie des invités, il aurait été derrière la tenture avant les convives, comment aurait-il fait pour s’esquiver une fois son forfait accompli ? Il lui fallait repasser la tenture et ensuite descendre l’escalier. Or personne n’est redescendu. Le criminel est donc bien parmi vous. Mais qui pouvait, s’étant faufilé une première fois derrière la tenture, repasser une autre fois sans se faire remarquer ? Et ici, je vous pose à tous la question : quelqu’un a-t-il vu, juste après la chute du baron, une personne sortir de sous la tenture ? Je vois que non, vous n’avez remarqué personne et pour cause ! Car le meurtrier était toujours derrière cette tenture et ne s’est dévoilé que lorsqu’elle a été tirée. Et là, il a fait semblant de s’affairer autour du corps du baron… Vous n’avez vu personne car qui de vous, qui êtes habillés de couleurs chamarrées, aurait pu se dissimuler dans la doublure de tissu grossier, de couleur brune, qui est à l’arrière de la tenture ? Ni vous ni monsieur l’abbé mais la seule personne capable de se fondre dans la couleur brune avec sa toile de bure. Et la seule parmi vous qui ait réussi à disparaître une fois de plus, à savoir le frère, ou prétendu tel, qui a échappé à nos regards mais pas aux soldats en faction à l’extérieur. C’est lui le meurtrier qui a pu se cacher dans les replis de jute brune du rideau ! »
On voit par-là que l’habit ne fait pas le moine.
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