Sur ces mots énigmatiques, elle s’éloigne, emmenant ses enfants dans son sillage. Un peu perplexe, Hervé grignote des chips et des cacahuètes qu’il partage avec un monsieur dans les cinquante-soixante et qui s’adresse à lui.
– Vous vous intéressez à Artur Leyden ?
– Oui et non, répond Hervé, je suis venu voir, simplement, comment dire ? Oui, je m’y intéresse mais sans plus… Et vous ?
– Je suis correspondant du Courrier d’Émeraude et je viens en quelque sorte par obligation. Vous avez dû voir notre photographe, il a fait quelques photos et il s’est éclipsé. Je suis là pour écrire un compte-rendu de l’inauguration, mais cela n’est jamais très original. Il faut citer les personnalités présentes et brosser un rapide portrait du commémoré. Toujours la même chose. Pour moi, ce qui est intéressant, c’est de parler des anonymes qui se sont déplacés, leur donner la parole. Je cherche à savoir pourquoi les gens viennent à ce genre d’inauguration. Sans vouloir me lancer des fleurs, je crois qu’à travers mes articles on peut discerner un vrai travail anthropologique, ou sociologique. Vous êtes de Saint-Lambaire ?
– Disons que je suis un lambairien récent, je suis installé depuis peu ici, mais extra muros, répond Hervé, pris au dépourvu.
– Et vous êtes venu exprès pour cette inauguration, ou vous passiez en ville ?
– Oui, en lisant le journal, j’ai vu un entrefilet qui annonçait… mais je ne voudrais pas que vous parliez de moi… je n’ai rien à voir avec tout cela, ma présence ici est sans intérêt pour personne, se reprend Hervé.
– Ne vous méprenez pas, je ne veux pas faire de vous une sorte de cobaye, je cherche simplement à rencontrer des gens qui sont présents et à parler de leurs motivations, de leurs intérêts. Toujours mettre en exergue les notables, les politiciens et les hauts fonctionnaires, passer la brosse à reluire, cela ne m’intéresse pas. Mais je ne veux pas non plus violer l’intimité ou la conscience des gens que je rencontre et dont je veux parler. Si cela vous déplait, je vous laisse tranquille. Mais je vous invite à lire mes articles si vous en avez le temps, vous verrez que je ne me moque de personne.
– Je ne connais pas le Courrier d’Émeraude, jusqu’à présent je n’ai eu l’occasion de lire que les quotidiens régionaux les plus connus, mais je vous promets d’acheter votre journal cette semaine. C’est bien un quotidien ?
– Oui, il paraît tous les jours sauf le dimanche. Mais les évènements du dimanche ne paraissent bien souvent que le mardi ou le mercredi. Le lundi, réservé aux sports. Mais le mardi et le mercredi, on est au creux de la vague en quelque sorte. Donc, place aux inaugurations de chrysanthèmes et autres blablas officiels. Et si je peux agrémenter mon article avec de l’insolite ou avec du vécu, je peux vite faire une demi-page. Les notables m’en sont reconnaissants car s’ils ne sont pas au centre de mon écrit, ils sont cités dans un vrai article et pas dans un entrefilet. Je fais d’une pierre deux coups : un peu de brosse à reluire - quand même - d’une part, et je me fais plaisir d’autre part. Voilà. Donc, lisez le Courrier et vous m’en direz des nouvelles. Excusez-moi, mais je vais aller un peu à la pêche dans l’assistance.
Le journaliste fend la petite foule et interpelle quelques personnes. Hervé se dit que le personnage n’est pas sans intérêt. Il se hausse un peu du col lorsqu’il parle d’anthropologie et de sociologie, mais sa démarche est, telle qu’il la présente, assez sympathique. Il se laisse resservir en whisky et se bourre de gâteaux salés. Un peu plus loin, il voit Sara et son mentor en grande conversation avec Lepetiot et Le Blévec. Apparemment, Antonia a quitté les lieux et Madame Le Blévec est au centre d’un petit groupe auquel s’est joint le journaliste. Un vieux monsieur et son épouse, un peu perdus, lui demandent si la cérémonie a eu lieu. Ils sortent de la messe et viennent seulement d’arriver. Hervé leur propose de boire quelque chose ou de se restaurer, mais ils ne veulent rien.
– Monsieur Estrade était-il présent ? demande le monsieur.
– Ce monsieur qui était conservateur du musée ? Celui qui a écrit une monographie sur Artur Leyden ? s’enquiert Hervé.
– Oui, vous l’avez vu ?
(à suivre...)
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