Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Après vous avoir parlé dernièrement du roman « La rose et le lilas » de Jean Anglade, voici maintenant l’histoire de la bête du Gévaudan telle qu’il la raconte dans ce roman.
« L’histoire – ou la légende – est pleine d’étrangetés. Elle commence en 1764 au village des Ubas en Vivarais, où une fille de quatorze ans a été mangée par une bête sauvage. Dès ses débuts, celle-ci fait preuve d’un extraordinaire appétit. Ensuite, ses attaques se multiplient et se répandent, si bien que trois mois plus tard elle est accusée de treize égorgements. Les témoins la décrivent comme un animal si léger à la course qu’il se montre dans la même journée à des distances considérables, et reparaît dans l’endroit d’où il était parti. Il a une tête très grosse, allongée comme celle d’un veau, mais terminée en museau de lévrier ; le poil rougeâtre, rayé de noir sur le dos ; les jambes de devant un peu basse ; la queue large, longue et touffue. Il court en bondissant, les oreilles dressées. Quand il chasse, il rampe. Lorsqu’il est à proximité de sa proie, il s’élance sur elle et entreprend de la dévorer. On remarque qu’il s’attaque de préférence aux femmes, aux jeunes filles, aux enfants ; qu’il les étrangle, leur dévore le cou et la poitrine, qu’il enfouit même quelquefois le reste du corps dans la terre, comme s’il voulait se ménager des réserves pour la saison froide.
Un jour, des hommes s’arment de fourches, de piques, de couteaux. Ils font une grande battue aux environs de Langogne et annoncent à leur retour qu’ils ont tué la Bête, dont ils rapportent le corps. Le curé, consulté, affirme qu’il s’agit d’une hyène, animal africain, réputé pour sa férocité, venu dans le Royaume on ne sait comment. On allume des feux de joie. Or voici que quelques jours plus tard, elle reparaît dans un autre coin du Gévaudan et attaque d’autres personnes. Explication : elle est simplement ressuscitée ! Il faut que ce soit une créature du diable.
Elle a aussi d’étranges habitudes. Elle comprend le langage des humains. Alors qu’un paysan, la voyant au loin, a crié à sa fille en patois : « Marie-Anne, apporte moi la hache ! », la Bête a fui sans insister. Une autre fois, elle a déshabillé une fille de 17 ans, lui a détaché la tête,a recouvert le corps de ses vêtements, remis la tête en place, coiffée de son bonnet ; le tout si bien arrangé qu’en la découvrant on a pensé qu’elle dormait. On suppose qu’au lieu de bête, il s’agit d’un homme déguisé, un sadique avide de chair fraîche. A moins que ce ne soit un être à double nature, de l’espèce loup-garou.
L’évêque de Mende ordonna à tous les prêtres de son diocèse de faire des prières publiques. Il souligna que les malheurs des hommes ne peuvent être qu’une conséquence de leurs péchés. Il accusait spécialement la jeunesse gévaudanaise de dérèglements, s’en prenant surtout aux filles et aux femmes dévergondées : « Ce sexe, dont le principal ornement fut toujours la pudeur et la modestie, semble n’en plus connaître aujourd’hui. Il cherche à se donner en spectacle en étalant toute sa mondanité ; il se fait gloire de ce qui devrait le faire rougir. On le voit s’occuper à tendre des pièges à l’innocence, à usurper un encens sacrilège et à s’attirer, jusque dans nos Temples, des adorations qui ne sont dues qu’à la divinité... » Tout s’expliquait : si la Bête s’en prenait particulièrement aux dames et aux demoiselles, c’est qu’elles avaient trop laissé deviner sous leurs vêtements la forme et le volume de leur poitrine !
Les colporteurs vendaient des images imprimées à Epinal, qui représentaient la Bête sous les traits les plus horrifiques. Ardamment combattue dans le Gévaudan, elle passa en Auvergne, où elle fitaussi de nombreuses victimes. Ses méfaits touchèrent le coeur du jeune marquis de La Fayette ; âgé de huit ans, il manifesta le désir de se joindre aux chasseurs. Il voulait être le saint Georges de l’Auvergne.
Tout fut tenté pour venir à bout du monstre. Y compris des potions magiques. On essaya de l’appâter au moyen d’une femme artificielle remplie de poison. On employa un mouton habillé en bergère tandis que des chasseurs se dissimulaient. En désespoir de cause, on fit appel au Roy qui avait des pouvoirs spéciaux reçus de Dieu. Louis XV envoya tout un corps de louvetiers ; ils pratiquèrent des battues sans résultat. C’est alors que leur route croisa celle des Chastel.
Une étrange famille. Le père, Jean, surnommé le Masque (le Sorcier), et ses deux filsavaient la réputation d’être des meneurs de loups. Ils avaient le pouvoir, la patience, l’adresse de se faire obéir de ces fauves. Quel lien pouvait exister entre eux et la Bête ? Nul n’est en mesure de répondre. J’en reparlerai.
Les louvetiers royaux furent assez heureux pour abattre un énorme loup dans les bois appartenant aux religieuses des Chazes, dans la vallée de l’Allier, en amont de Brioude. Sa dépuoille fut transportée à dos d’âne d’abord jusqu’à Clermont. Sa puanteur était si forte que, tout le long du chemin, les chiens des fermes hurlaient à la mort. Elle fut un moment exposée place d’Espagne où les Clermontois purent avec horreur la contempler. Trois chirurgiens l’embaumèrent et l’empaillèrent. Elle prit ensuite la route de Versailles. Le Roy lui-même admira une si belle pièce et se frotta les mains, disant : « Enfin la bête du Gévaudan et de l’Auvergne est morte ! Dormons sur nos deux oreilles et n’en parlons plus ». Il décora le grand louvetier, lui décerna une pension de mille livres et le droit de placer la Bête dans ses armoiries.
Or il fallut en reparler car quelques semaines plus tard, une fois encore, la Bête ressuscita. Louis XV ne voulut plus rien savoir d’elle : « J’ai décrété qu’elle est morte. Donc elle ne vit plus. »
Pendant deux années, les Gévaudanais et les Auvergnats durent poursuivre leurs battues et la tuer encore cinq ou six fois. Jusqu’au jour où Jean Chastel fit bénir trois balles de plomb qu’il avait fondues lui-même. Près du village d’Auvers, en 1767, la Bête avait été signalée dans es bois de la Ténazeyre. Un matin, le Masque s’y trouvait aussi, comme par hasard. Son fusil près de lui, à genoux, il lisait dans un missel les litanies de la Sainte Vierge. Or, levant les yeux, il vit la Bête à cinquante pas de lui, assise sur son derrière, le considérant comme un chien considère son maître. Il prit le temps de finir sa prière, referma le livre, replia ses lunettes, les mit dans leur étui et dans sa poche. Tout cela sans la moindre hâte. Puis il empoigna son fusil, épaula, visa, tira. Elle tomba sur le flanc. Et lui de s’écrier : « Bestia ! N’en mandjaraz pas puz ! Bête ! Tu ne mangeras plus personne ! »
Espérant recevoir du Roy les mêmes récompenses que le grand louvetier, Chastel mit le corps dans une caisse et partit pour Versailles. Après un mois de voyage en plein été, ce n’était plus qu’une horrible charogne qui fit reculer Louis XV : « Il y a deux ans que la Bête du Gévaudan n’existe plus. Qu’on enlève cette ordure et qu’on l’enterre. »
Chastel rebuté retourna dans son pays. Il y termina ses jours dans la paix grâce à la générosité de l’évêque de Mende qui lui accorda une pension de 40 sous par jour, le prix de deux livres de pain. Et plus jamais la Bête ne se donna la peine de ressusciter... »
C’est tout et c’est une vraie histoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire