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jeudi 6 janvier 2022

Dernier tableau (58)

 

Oh, j’ai dit que je venais de sa part, c’est bien elle qui m’a dit que je pouvais venir vous voir, mais ce n’est pas elle qui m’envoie. Je suis venu vous demander quelque chose, je voudrais vous parler du Bussiau…

– Le Bussiau ! Et vous êtes venu pour me parler de cela ! Mais vous ne savez pas ce que vous dites ! Le Bussiau ! Il y a des années que personne n’a dit ce mot devant moi. Vous ne pouvez pas savoir ce que cela remue…

– Oh si, je crois le savoir un peu. J’aurais peut-être dû amener cela plus doucement sur le tapis, mais je veux être franc avec vous et vous parler sans détours. Je sortirai d’ici si vous me dites de le faire, je n’ai pas le droit de vous importuner et j’essaye d’aller droit au but.

– Et Zélie sait que vous venez me parler de cela ?

– Franchement, non. Mais elle sait que je connais Le Bussiau, j’y suis allé une fois.

– Et vous alliez y faire quoi ?

– Je ne cherchais pas à y aller, bien sûr, mais j’y suis arrivé parce que je me suis fait coincer par la marée, dans la ria. Et la seule issue que j’ai trouvée…

– Vous aussi, vous avez failli vous faire noyer dans l’aber ? Et qui vous a sorti de là ? demande Achille.

– Je m’en suis sorti tout seul, avec un peu de chance, dirais-je. J’ai réussi à trouver un endroit où j’ai pu monter plus haut. Pourquoi dites-vous : « vous aussi » ?


Il regarde Achille et il comprend que l’émotion le submerge. Il a baissé la tête, le menton repose sur la poitrine. Hervé commence à se lever.


– Attendez, ça va aller, je vais vous expliquer. Monsieur Artur a failli se noyer, c’était il y a bien longtemps. Monsieur Artur, c’était…, comment dire…

– Monsieur Artur Leyden, le peintre ?

– Oui, vous connaissez ?

– Oui, un peu, je sais qui est Artur Leyden.

– Je ne sais pas si je vais pouvoir parler, j’ai gardé tant de choses en moi pendant des années, je ne sais pas…


Achille prend un mouchoir et essuie les larmes qui coulent sur ses joues. Hervé se sent coupable d’être venu ainsi troubler la tranquillité de ce vieil homme. Il se demande de quel droit il se mêle de sa vie.

– Excusez-moi, je crois que je suis trop indiscret, bégaye-t-il.

– Non, c’est peut-être bien de faire sortir les démons pour les exorciser, répond Achille qui semble s’être repris. Dites-moi pourquoi vous êtes venu et après, je vous dirai si je peux faire quelque chose pour vous. Je vous écoute, dit-il en se redressant sur son fauteuil.

– Si je vous racontais toute mon histoire, ce serait trop long, je vais essayer de m’en tenir à ce que je cherche.

– Je vous écoute, reprend Achille, qui semble rasséréné.

– Artur Leyden a peint un petit tableau, un paysage. L’autre jour, en sortant de l’aber, je cherchais à retrouver une route pour revenir à Saint-Lambaire. Je suis donc arrivé à une ferme que je n’avais bien sûr jamais vue. Mais je l’ai reconnue pour l’avoir vue en peinture car c’est le Bussiau que monsieur Artur avait peint. Les lieux ont à peine changé, j’ai tout de suite reconnu…

– Vous avez vu ce tableau alors ?

– Oui, je le connais bien.

– Où est-il ?

– Chez moi, disons que j’en ai en quelque sorte hérité, dernièrement…

– Monsieur Artur avait voulu peindre la ferme des Veudenne. C’était ma famille d’accueil, les Veudenne. Ils étaient métayers au Bussiau. Il n’a dû faire qu’un seul tableau comme cela, il l’avait donné aux parents Veudenne, en remerciement comme Mady et moi on l’avait sauvé de la noyade. Vous savez, monsieur Artur, il dessinait sur un carnet et puis il ramenait son dessin chez lui, il peignait chez lui. Mais, continuez.

(à suivre...)

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