Soumission
de Michel Houellebecq
Cette chronique a été publiée le 22 janvier 2017.
Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Je
vais prendre mon souffle avant de vous citer deux phrases du début du roman Soumission de Michel Houellebecq. « (…),
je compris qu’une partie de ma vie venait de s’achever, et que c’était
probablement la meilleure. Tel est le cas, dans nos sociétés encore
occidentales et social-démocrates, pour tous ceux qui terminent leurs études,
mais la plupart n’en prennent pas, ou pas immédiatement conscience, hypnotisés
qu’ils sont pas le désir d’argent, ou peut-être de consommation chez les plus
primitifs, ceux qui ont développé l’addiction la plus violente à certains
produits (ils sont une minorité, la plupart, plus réfléchis et plus posés,
développant une fascination simple pour l’argent, ce « Protée
infatigable »), hypnotisés plus encore par le désir de faire leurs
preuves, de se tailler une place sociale enviable dans un monde qu’ils
imaginent et espèrent compétitif, galvanisés qu’ils sont par l’adoration
d’icônes variables : sportifs, créateurs de mode ou de portails Internet,
acteurs et modèles. » Sans être un admirateur éperdu des romans de
Houellebecq, celui que je viens de citer m’a paru digne d’intérêt, d’une part
pour cette phrase qui m’a laissé pantois et d’autre part pour le sujet du
roman. L’auteur décrit une France assez proche de la nôtre où le système
politique s’effondre doucement, sans soubresaut et sans vraie révolution et il
y est question d’un certain regard sur notre société vieillissante.
C’est le deuxième roman de Houellebecq que je lis,
j’avais déjà lu La carte et le territoire
qui m’avait déplu. Soumission m’a
bien accroché mais je ne suis pas certain d’avoir lu dans ce livre ce que
l’auteur a voulu y mettre. Dans ces deux romans, Houellebecq décrit une classe
moyenne supérieure dont il semble faire, sinon l’élément essentiel de notre
pays, tout au moins la quintessence de notre société. Et ce qu’il décrit
superbement, c’est de quelle manière une telle classe moyenne se fait
l’instrument de la contre-réforme, de la contre révolution, et en définitive de
la soumission à un ordre établi pourvu que cette classe conserve son confort et
ses petits ou grands privilèges. Plus sûrement que la police, l’armée ou quel
qu’autre Big Brother, cette classe
pèse de tout son poids pour défendre sa position, quelles que soient la
société, la morale ou la religion au pouvoir. Dans ce roman, le pouvoir tombe
dans les mains d’un président musulman modéré,
parvenu à se faire élire face à l’extrême droite avec le soutien, en désespoir
de cause, des partis PS et UMP. Et petit à petit, ces classes moyennes
supérieures se laissent glisser vers une collaboration avec ce président,
toujours officiellement laïc et républicain, mais qui teinte de sa religion
toutes les régions du pouvoir.
Ce que dépeint très bien Houellebecq, c’est ce
collaborationnisme des bourgeois qui est la base de toute société dont
l’autorité est fondée sur l’argent ou sur la religion ou sur les deux à la fois.
C’est en cela aussi qu’il présente les choses, volens nolens, comme une analyse
marxiste : chez lui les classes dominées sont tout simplement absentes,
elles n’existent pas car elles sont ignorées des classes dominantes. Comme
l’écrit La Boétie dans le traité de la servitude volontaire : « C’est
ainsi que le tyran asservit les sujets les uns par les autres. (…) Car à vrai
dire, s’approcher du tyran, est-ce autre chose que s’éloigner de sa liberté et,
pour ainsi dire, embrasser et serrer à deux mains sa servitude ? » .
Dans ce roman « Soumission », le tyran n’est autre que celui qui
représente la religion mais dans notre société capitaliste, le tyran est le
discours scientifique, technique et marchand qui a corrompu, hypnotisé et
asservi la classe bourgeoise. Et Houellebecq en est le porte-voix.
On voit par-là qu’il n’y a pas que chez les riches
qu’il y a de la misère.
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