Cette chronique a été publiée le 22 nov. 2015
« Bien des fois, les rêves du passé m’ont consolé des tristesses du présent. Moi, je suis bon témoin. J’écoute et je redis les vieilles chansons, les légendes d’autrefois ». Ainsi, en 1885, Jean-François Bladé terminait-il la préface de ses contes populaires de Gascogne qu’il avait mis près de trente années à collecter. Il avait longuement écouté et transcrit tous ces contes et il écrit encore : « A mesure qu’ils parlaient, j’écrivais vite, vite, dans le dialecte natal, sauf à collationner ensuite, en attendant de traduire, avec un parti pris de fidélité brutale. »
Pour chaque conte, Bladé cite sa ou ses
sources qu’il présente dans sa préface. Ce sont autant des jeunes que des
anciens, qu’ils soient de Lectoure, de Panassac, de Campan, du Passage d’Agen
ou de Cauzac. Ce sont des conteurs, bien souvent illettrés, mais riches d’une
mémoire vivante et d’une langue forte. C’est tout le cœur de la Gascogne qui
bat dans ce livre et c’est bien à lui que je dois d’avoir connu le drac, ce
petit être si typique de notre région et que l’on rencontre encore de nos jours
dans les vallées boisées de Guyenne et de Gascogne.
Bladé est néanmoins pris dans un double
paradoxe puisqu’il met par écrit ce qui provient d’une tradition orale d’une
part et que d’autre part il traduit en français ce qui, en réalité, lui est
conté dans la langue locale qu’il appelle le dialecte gascon. Ce faisant, il
prend acte autant de la perte de cette transmission orale que de la domination
linguistique du français. Mais il ne faut pas bouder notre plaisir, certains de
ces contes sont de véritables poèmes, j’aurais aimé vous en lire un en entier
mais il me faudrait plus de temps que celui qui est imparti à cette chronique.
Je vais donc vous relater celui qui m’a le plus plu. Il lui a été conté par
Catherine Sustrac de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac, et cette histoire
s’appelle : « Le cœur mangé ».
Un soir de Carnaval, un galant dit à sa
belle : « Belle, quand m’aimerez-vous ? » « Je
t’aimerai quand tu m’auras donné la fleur dorée, la fleur qui chante au soleil
levant », répond la belle. Il lui ramène la fleur mais la belle le voit
tout pâle et c’est parce que cent loups noirs qui gardaient la fleur l’ont
tant et tant mordu. La belle lui dit qu’elle l’aime mais qu’ils ne se
fianceront que lorsqu’il lui aura ramené l’Oiseau Bleu, l’oiseau qui parle et
qui raisonne comme un chrétien. Le soir de la Saint-Roch, le galant revient
avec l’Oiseau Bleu et demande quand ils s’épouseront. La belle lui dit lors
qu’ils s’épouseront quand il lui aura ramené le Roi des Aigles qui est
prisonnier dans une cage de fer. Mais, avant de le laisser partir, elle lui
demande pourquoi il a l’air si triste. « Triste, j’ai bien raison d’être
triste, répond-il. L’Oiseau Bleu, l’oiseau qui parle et qui raisonne comme un
chrétien, dit que vous ne m’aimez pas » « Oiseau Bleu, dit-elle, tu
en as menti. Tout à l’heure je te plumerai, je te ferai cuire tout vif »
« Adieu, Belle, dit-il en s’en allant, attendez-moi le soir de la
Saint-Luc, sur le seuil de votre maison ». Le soir de la Saint-Luc, pas de
galant sur le pas de la porte de la belle qui attend, attend puis va se
coucher. Mais à minuit, elle se leva doucement, bien doucement et attendit sur
le seuil de sa maison. « Bonsoir, belle. Le Roi des Aigles est plus fort
que moi. Cherchez qui vous le donne, prisonnier dans une cage de fer ».
« Galant, quel est ce trou rouge à ta poitrine ? » dit alors la
belle. « Belle, c’est la place de mon cœur. Le Roi des Aigles l’a mangé. Nous
n’épouserons jamais, jamais. » Et le galant s’en alla dans la nuit noire.
Le lendemain la belle se rendit religieuse dans un couvent de Carmélites, et
porta le voile noir jusqu’à la mort.
« Cric crac / Moun counte es acabat.
/ Per un ardit, / Digo-n’en un mai poulit »
« Cric crac / Mon conte est achevé /
Pour un liard, / Dis-en un plus joli. »
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