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dimanche 30 décembre 2012



Chronique du temps exigu (39)
En Belgique, il n’y a pas que des nouveaux riches ; il y a aussi d’anciens français. Un certain monsieur A. dont nous avons parlé précédemment (25ème chronique) mais aussi un autre monsieur, que nous nommerons Deparlefisc (par discrétion, les noms ont été changés, les intéressés n’ayant peut-être pas atteint une certaine majorité). L’exode des riches a commencé par la lettre A, nous voilà donc à la lettre D, les choses avancent. Les riches vont pouvoir rejoindre la Belgique, doux pays de Canaan pour les fortunés possédants, et un immense acteur pourra rejouer « Les dix Commandements » dont le premier sera : « En France, ton pognon gagneras » et le second : « En France, tes impôts ne paieras ».
La présence de ces crésus en Belgique enrichira-t-elle les belges ? L’avenir nous le dira. Gageons que la légère gabelle dont ils s’acquitteront au profit du fisc belge servira à éclairer quelques routes de plus dans ce beau pays visible par les sélénites aux heures nocturnes.
Quoiqu’il en soit, on comprend que, de nos jours, tout français disposant d’un niveau élevé de revenu se doit de devenir belge, fiscalement tout au moins. Tout français riche est donc un belge qui s’ignore. Tout belge riche est un suisse qui s’ignore et tout suisse riche est un monégasque en puissance (mais que peut-on penser d’un belge qui se serait dépouillé de sa nationalité pour devenir français ?).
Statistiquement parlant, la France fait une bonne affaire en laissant partir ses opulents nababs. En effet, moins il y a de riches en France, plus les démunis semblent opulents et moins ils paraissent pauvres. Mais malheureusement pour les nécessiteux de Belgique, ceux-ci seront à leur tour écrasés sous la présence fastueuse de nos nababs exfiltrés, pour ne pas dire ex-fisqués.
En conclusion, on peut dire que MM. Moscovici et Cahuzac ont lu ma chronique du 7 juin et en ont adapté les idées. En effet, j’y proposais, pour supprimer la pauvreté, d’éradiquer les pauvres. Néanmoins, ma proposition était difficile à réaliser du fait d’un grand nombre de pauvres en France, reconnaissons-le. L’idée géniale de nos deux compères fut de commencer par éradiquer la richesse en éradiquant les riches qui sont tout de même moins nombreux. Mais comment supprimer les riches sans les raccourcir ? Tout simplement en les laissant glisser au fil de l’Escaut jusqu’outre-quiévrain. N’est-ce pas admirable ?
On voit par là qu’il ne suffit pas de donner sa voix, il faut aussi donner des idées.

dimanche 23 décembre 2012



Chronique du temps exigu (38)
Cette chronique ne sera peut-être lue que par ceux qui, attentifs au calendrier des Mayas et soucieux de se préserver, auront survécu à la fin du monde annoncée en se réfugiant à Bugarach. Je suppose que des personnes aussi avisées auront pris la précaution de se munir de systèmes 4G ou autres pour lire ma chronique d’outre-fin du monde.
En 1956, une équipe de chercheurs en psychologie sociale a infiltré une secte qui avait annoncé la fin du monde. Celle-ci n’a pas eu lieu comme vous pouvez le supposer et il ressort de ce que ces chercheurs ont pu observer que les individus de la secte ont « rationalisé » ce qui aurait pu apparaître comme un échec en une glorieuse victoire en déclarant : «C’est grâce à notre croyance, notre sacrifice, que le déluge n’a pas eu lieu. Nous sommes des élus, nous sommes légitimés.»
Voilà donc une manière fort élégante de s’en sortir et cela fait penser à cette parole de Cocteau : « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur ».
Parlons d’une autre secte, peut-être la plus puissante de toutes, la secte des économistes patentés. Ces derniers nous prédisent des crises, des impasses, des cataclysmes financiers. Leur grande subtilité est de ne prévoir ni la fin du monde ni celle du capitalisme mais seulement la fin d’un soi-disant âge d’or et la venue d’une ère d’austérité et de pénitence. Ils en profitent pour faire avaler d’amères potions au petit peuple et pour accorder des privilèges supplémentaires à ceux qui en ont déjà largement. Et cela fait, ils nous disent bien que c’est grâce à leurs incantations boursicotières, financières et gestionnaires que le cataclysme n’est pas intervenu. Et ils continuent de pontifier, le cul sur un coussin d’actions. Et à faire la morale aux plus bas revenus, responsables de tous les maux de la planète financière.

On voit par là que, si la fin du monde ne se produit pas, il y aura du pain sur la planche.

dimanche 16 décembre 2012



Chronique du temps exigu (37)

« Après avoir sauté son petit déjeuner et la femme de chambre du Bitotel, il prit ses jambes à son cou et un taxi pour l’aéroport. Arrivé à l’aéroport, il reprit ses esprits et une tasse de café. L’affaire n’en resta pas là bien qu’il eût largement défrayé la chronique et la femme de chambre. »
D’aucuns et d’aucunes ont déjà certainement imaginé qu’après avoir pêché une telle phrase dans un de nos quotidiens nationaux ou régionaux, j’allais vous parler du directeur du Foutage Masculin Incontrôlé (F.M.I. pour les intimes). Eh bien, que nenni.
Je vais vous parler aujourd’hui d’une figure de style, le zeugme, zeugma pour les humanistes anciens. Bien moins connu que la catachrèse et l’anacoluthe popularisées par le bouillant capitaine Haddock, le zeugme a une place originale dans le discours car il crée un effet de surprise par le rapprochement inattendu de deux mots en les subordonnant à un troisième, généralement un verbe. Vous avez bien sur remarqué que la phrase ci-dessus contient quatre zeugmes.
Évidemment, on peut s’amuser avec des homophonies mais au lieu de dire :  « Jésus naquit le jour de Noël et la notoriété qu’après l’âge de trente ans », il vaut mieux dire : « Jésus naquit le jour de Noël et n’acquit la notoriété qu’après l’âge de trente ans ».
On voit par là que Jésus n’aurait pas pu devenir directeur du F.M.I.

dimanche 9 décembre 2012



Chronique du temps exigu (36)
Il paraît que toute vérité n’est pas bonne à dire. Soit. Mais alors, tout mensonge n’est pas bon à taire, en déduirais-je en quelque sorte ab absurdo (et non pas ad absurdum comme certains pourraient prétendre…). S’il vaut donc mieux parfois taire la vérité et proclamer le mensonge, qui est le mieux placé pour le faire ? Est-ce le politicien, si connu pour son goût immodéré des vérités inverses réciproquement fausses ? Le journaliste si pressé de délivrer un message quel qu’il soit sans prendre le temps démêler le vrai du faux ? Le ministre du culte, besogneux ravaudeur de révélations ? Le philosophe que Nietzsche admonestait en ces termes : »Mourir de soif en pleine mer est atroce. Pourquoi mettre tant de sel dans votre vérité qu’elle ne soit même plus bonne à boire ? » ?
Vous avez judicieusement compris où je voulais en venir : bon sang, mais c’est bien sûr, rappelez-vous. Qui a dit : « L’histoire que je vais raconter est authentique. Elle a eu lieu au siècle passé, il y a plus de dix ans, quinze ans peut-être. Pour préserver l’anonymat de chacun des protagonistes, ceux-ci étant encore tous bien en vie, les noms des personnages et les noms de lieux ont été changés. De même, les circonstances et les faits ont été modifiés. L’authenticité du narrateur étant indiscutable, cette histoire sera un peu comme une voiture dont le propriétaire aurait changé le moteur, puis la boite de vitesse et aurait ensuite changé la carrosserie : le véhicule est différent, mais la réalité du véhicule est authentifiée par son propriétaire. Il en va de même pour nombre d’œuvres d’art exposées dans nos musées : restaurées et re-restaurées au cours des siècles, elles persistent dans leur vérité. » ?

Qui dit le mieux le faux pour montrer le vrai, sinon le romancier ? Surtout s’il est quelque peu facétieux.
Qui pare si bien le mensonge des plumes ocellées du paon qu’il en devient vérité vraie et pure ?
Et, finalement, qui ment si bien et si joliment que tous les autres devraient être condamnés à ne plus user que de fades et tristes vérités ?

On voit par là que ce n’est pas tout de mentir, encore faut-il savoir le faire en vérité.

dimanche 2 décembre 2012

extrait de :"Le temps de l'éternité"

Ce dimanche, pas de chronique mais un extrait d'un manuscrit en cours :

"Pijm n’en peut plus, il part en courant, un éclair illumine toute la maison, suivi aussitôt d’un coup de tonnerre formidable. Pijm court, trébuche, il tente de rallumer sa lampe qui redonne une lumière normale. Pijm se rend alors compte qu’il ne reconnaît plus le chemin. Il ne sait pas s’il est sur le bon chemin. Il s’arrête pour reprendre ses esprits. Il réfléchit : s’il s’est trompé de chemin, peu importe, car chaque chemin fait une boucle et revient vers le chemin initial. Il faut qu’il parte, qu’il retrouve sa voiture, son lit, sa femme, sa famille. Il se dit qu’il est fou de jouer ainsi avec le feu.

Pijm repart. Le chemin descend, cela l’inquiète un peu, mais soit, il continue, et tombe sur un autre imprévu : un autre chemin qui part sur la droite. Il décide de le prendre. Il descend encore et finit par arriver dans un vallon où le chemin part encore sur la droite en remontant. Un nouvel éclair illumine toute la vallée et Pijm voit devant lui, au bord d’un profond fossé, un pan de mur en ruine.
 A côté du pan de mur, un petit homme lui fait face, un tout petit homme, pas un enfant, mais un très petit homme. Cinquante ou soixante centimètres de haut. Il porte un manteau sombre et un chapeau noir tout simple, juste un court cylindre avec un rebord large.
Pijm garde sa lampe braquée sur le petit homme, mais celui-ci ne semble ni gêné, ni ébloui.

-         Qui êtes-vous ? demande Pijm.
-         Je suis un occupant de ces lieux, mon nom ne te dirait rien, répond l’homoncule.
-         Excusez-moi, je ne veux pas vous déranger, je veux retourner à ma voiture.
-         Tu ne me déranges pas, reste ici, la pluie commence à tomber très fort.
-         Mais ici je vais me mouiller…
-         Suis-moi, dit le petit homme.

Il entre dans une petite église que Pijm aperçoit tout à coup, comme sortie du pan de mur.

-         Mais où est-ce qu’on est ? Demande Pijm.
-         Dans l’église de La Furetière, c’est ici que j’habite et on y est à l’abri de la pluie, répond le petit homme.

Dehors, la pluie tombe bruyamment et l’orage gronde de plus belle. Pijm balaye de sa lampe l’intérieur de l’église. Elle est très simple, les murs sont crépis et chaulés, un autel dans le chœur, deux prie-Dieu, quelques chaises paillées. Le sol est fait de pierres calcaires un peu disjointes.

-         Mais cette église n’est pas sur la carte, objecte Pijm.
-         Bien sûr, puisqu’elle n’existe plus à ton époque, dit le petit homme.
-         Mais vous, alors, qui êtes vous ? Moi je suis Pijm, Pijm van Zwartkluut, je suis hollandais.
-         Disons que je m’appelle Tin Quiète, si cela te rassure.
-         Mais vous vivez ici ?
-         A ma manière, oui. Mais je ne suis pas comme toi. Je suis ce que les gens ici appellent un drac. Ou si tu préfères un lutin. Je suis ici, ou ailleurs. Il est très rare que des gens comme toi puissent me voir. Je me suis mis sur ton chemin pour éviter que tu te mettes en danger. On dit que les dracs sont des malfaisants ou des malicieux, mais c’est rarement vrai.
-         Mais qu’est-ce que vous faites ici ?
-         Je ne fais rien, je suis là, c’est tout. Je ne suis pas comme toi, je ne suis pas un humain, je n’ai pas besoin de m’occuper, de faire, de boire, de manger. Je suis présent là où je suis, c’est tout, répond Tin Quiète.
-         Mais alors tu es un esprit ?
-         Oui, on peut dire que je suis un pur esprit, mais pour autant je suis là, je m’occupe si je veux, je fais, je bois, je mange ce que je veux, quand je veux. Et cette nuit, je veux m’occuper à t’aider.
-         Mais alors, tu sais ce que je viens de faire ? Dit Pijm en passant lui aussi au tutoiement.
-         Je peux savoir qui tu es, ce que tu viens de faire, n’oublie pas que je suis un drac…
-         Tu sais que je viens de voir des fantômes ? Dans la maison, là-haut ?
-         Ce que tu as vu en bas dans la maison, ce ne sont pas des fantômes, tu as juste vu une scène du passé se refléter devant toi. Quand tu es monté dans la tour, tu as vu des esprits, pas des fantômes.
-         Et pourquoi la scène s’est-elle arrêtée ?
-         Parce que tu as bougé et que tu n’étais plus en état de la voir, la scène ne s’est pas arrêtée.
-         Et cela s’est passé dans cette maison il y a longtemps ?
-         Oui, il y a plus d’un siècle, autour des années 1870, dit le drac.
-         Et tu étais déjà là ? Demande Pijm.
-         J’étais là et je n’étais pas là, je n’ai pas connu ces gens, mais je sais qui ils sont. Tu ne sais pas ce que c’est qu’un drac. Je remonte à la nuit des temps. Je n’ai que peu de mémoire, mais j’ai un accès direct à toute l’information de l’univers. Il suffit que je pense à ces gens que tu as vus et je peux savoir qui ils sont, ce qu’ils ont vécu, où ils sont allés. Tout cela est trop difficile à comprendre pour toi. Est-ce que tu peux me dire en quelle langue je te parle ?
-         En néerlandais, tu parles la même langue que moi, répond Pijm.
-         Eh bien, si un français écoutait ce que je dis en ce moment, il dirait que je parle en français, et un russe dirait que je parle le russe. N’essaye pas de tout comprendre, tu n’es qu’un homme… Mais, assieds-toi, la pluie tombe encore trop fort pour que tu repartes. Je vais te raconter l’histoire de ces gens que tu as vus.

Effectivement, dehors la pluie tombe encore plus fort et Pijm entend l’eau qui coule dans le fossé. L’orage est toujours violent. Pijm s’assied sur une des chaises paillées, un peu surpris de se trouver sur une vraie chaise."