En vedette !

dimanche 31 août 2014

Chronique du temps exigu (120)


Contrairement aux idées reçues, il ne faut pas prendre l’Helvétie pour des lanternes. Nombre d’entre nous imaginent encore l’Helvétien en brodequins-chaussettes et bretelles, yodlant à en perdre haleine au sommet d’une montagne enneigée. Les temps ont changé et la Suisse itou. Qui de nous n’a vu, sur les routes, de grosses berlines sombres à la plaque ornée d’une croix blanche sur fond rouge filant à vive allure sans se soucier du qu’en-dira-t-on non plus que des pièges de la maréchaussée. Car l’Helvète est furtif et ne se décèle pas à l’œil nu. Et nos gendarmes à nous, avec leur œil de velours dans un gant de sévérité, ne peuvent donc repérer cet individu qui disparaît comme une souris dans une tranche d’emmenthal.
Relativisons tout de même : certes, le Suisse est furtif, multilingue et polyglotte. Mais méfions-nous des apparences : il faut distinguer l’Helvète suisse, d’appellation génétique protégée, de l’Helvète fiscal autrement appelé Suisse par nécessité. Ce dernier provient de pays divers et a obtenu l’asile helvétique en fuyant l’oppressepteur de son pays d’origine. Mais voyons comment le SPN (acronyme de Suisse Par Nécessité) réussit à échapper à l’oppresseption française : tout d’abord, il faut être riche ou à tout le moins non-nécessiteux-aisé car cela est une condition sine qua non. Ensuite, il faut désirer participer négativement à l’effort fiscal de son pays d’origine. Mais qu’est-ce donc qu’une participation négative ? Eh bien, c’est analogue à l’impôt négatif, à savoir : gagner de l’argent en France, par exemple, grâce aux infrastructures publiques payées par les contributions des citoyens et faire évader cet argent à l’étranger afin de ne pas contribuer soi-même à l’effort contributif général. Certains trouvent cela simple et de bon goût. Dernière condition : trouver un pays accueillant, sûr et peu exigeant fiscalement.
Bien sûr, il faut savoir comment passer la frontière avec son pactole. Et là est toute l’astuce. En effet depuis que nous sommes, en France, passés au quinquennat, le gouvernement passe à droite puis à gauche suivant un mouvement alternatif. Comment cela se peut-il ? On sait bien qu’il y a une masse de l’électorat qui vote toujours à droite, une autre masse toujours à gauche et, selon les spécialistes, ce sont les indécis (et non les imbéciles…) qui font la décision. Selon les spécialistes mais on sait bien que les spécialistes ont une nette tendance à se tromper ou à tromper les autres. Car en fait, ce sont les candidats à la nationalité helvétique (par nécessité !) qui font réellement pencher la balance. Il suffit de si peu pour faire la décision ! Donc, ces candidats SPN votent en masse pour le candidat socialiste car ils pourront sans état d’âme fuir la dureté fiscale du gouvernement de droite qui a précédé en prétendant fuir les rigueurs putative d’une gauche qui n’a pas encore eu le temps d’installer une politique fiscale quelconque. Mais ce nuage de fumée envoyé aux gogos permet de passer la frontière sans coup férir avec l’approbation des niais de toutes farines. Et ces futurs SPN sont bien les seuls votants à gauche qui espèrent sincèrement l’avènement d’un gouvernement socialiste.
Dernière astuce : faire émigrer assez de fric pour pouvoir en ramener une petite part en tant que repenti fiscal afin de faire plaisir à Bercy et laisser le gros du magot au frais dans les coffres helvètes. C’est ce qui s’appelle mettre de la fraîche à gauche.

On voit par-là l’argent est le meilleur ami de la gauche.

jeudi 28 août 2014

Le cabot de Fortunio (8)

Le lendemain matin, ce sont les jappements du chien qui me réveillent. Il est sept heures. La nuit fut un peu courte mais pendant toutes ces histoires, les chantiers continuent. La Flèche m’accueille chaleureusement dans la cuisine et je comprends qu’il lui tarde de connaître les alentours ainsi que les lieux de soulagement, ce qu’il fait dès que je lui ouvre la porte. Cela me permet de constater que ce chien est en fait une femelle. Le féminin du nom que je lui ai prêté, Flèche, lui convient donc parfaitement. Après un petit tour dans le champ de maïs voisin, elle revient vers moi comme si elle me connaissait de toute éternité.
Je trouve encore de quoi lui proposer à manger et j’en fais autant pour moi-même. Une fois sustentés, je m’apprête à monter dans mon véhicule, le clébard me suit illico. Je le fais monter à l’arrière et direction le chantier. Charles et Riton viennent d’arriver, ce dernier se roule consciencieusement une cibiche, Akim a attaqué une toute-cousue. Autant dire que je fais sensation avec mon clebs.
-          T’as acheté un roquet ou quoi ? slurpe Riton en léchant son clop.
-          Une roquette tant que tu y es, réponds-je. Sois poli, c’est une femelle…
-          A propos de femelle, intervient Charles en susurrant, t’as pas été trop retardé hier soir ? Ça nous gênait bien un peu de te laisser tout seul…
-          Connaud, va, t’as rien d’autre à penser ? J’m’appelle pas Récanier, moi et je t’ai toujours dit : pas avec les clientes !
-          Ouais, mais le chantier est fini, je croyais…
-          Fallait pas croyer, mon poteau. Le chantier est fini, certes, mais j’ai toujours dit : pas avec les clientes et dans le pire des cas - si je peux dire- en tout cas pas avant le parfait paiement des travaux. Et ce n’est pas toi qui vas me payer la retenue de garantie, je suppose, meussieur Duconnaud ?
-          Oh, si tu le prends comme ça, je crois que je ferais mieux de démarrer la bétonnière, allez Riton, on y va !
-          Attends, attends, dit Riton, arrête de baver et laisse le chef nous parler de son cabot, enfin de sa cabote…
-          Cabotin toi-même, réponds-je, mais l’histoire vaut le coup d’être racontée.
Je leur raconte comment il se fait que ce clébard soit entre mes mains puis nous nous mettons au travail. Vers dix heures, j’appelle la gendarmerie de Marmande. Le planton qui me répond n’est pas un affolé du neurone mais il finit par me passer Livron.
-          Monsieur Forelle, oui ! Alors, excusez-moi mais je n’ai pas encore appelé le chenil. Je ne peux pas tout vous raconter mais disons que l’enquête m’a pris plus de temps que prévu. Pouvez-vous passer à la brigade, j’appelle le chenil tout de suite mais il y a un document d’accompagnement à présenter. Vous comptiez aller au chenil ce matin ?
-          C’est pas que cela m’enchante mais il faut bien trouver une solution. Oui j’y vais ce matin…
-          Bien, vous passez à la brigade maintenant ? Je vais terminer mon service à onze heures et si vous passez avant, on se verra et je vous donnerai ce papier.

-          Tenez-le au chaud, j’arrive, dis-je en raccrochant.
(à suivre...)

dimanche 24 août 2014

Chronique du temps exigu (119)


Nous voilà partis pour quatre années de commémorations : la première guerre mondiale dite grande a débuté il y a un siècle et notre président n’en peut plus de gerber, de croiser les doigts et de se faire accoler. Fort heureusement pour lui, le quinquennat en cours se termine en 2017, ce qui lui permettra d’éviter les funestes séquelles des festivités plus grandioses encore qui commémoreront le traité de Versailles en 2018.
Notons au passage la judicieuse disposition des dates de la fin des deux dernières guerres qui ne coïncident avec nulle autre date de jour férié ou autres vacances.
Toutefois, pour pouvoir se remémorer encore et encore, on crée aussi des historiaux et des mémoriaux que l’on inaugure, améliore et enrichit. Jamais nos mémoires ne furent autant sollicitées, jamais la remembrance ne fut si prégnante.
Plus le temps passe, plus l’on commémore le passé, plus on célèbre le futur et moins on regarde le présent en face. Et pourtant, le présent est riche de possibilités et ce n’est rien de le dire : on ne parle pas assez de ces héros à la petite semaine (de 35 heures) que sont les salariés qui ont réussi à s’accrocher à leur emploi salarié pendant un nombre considérable d’années et ceci sans discontinuer, sauf cas particuliers. Et ce qu’il y a de plus merveilleux c’est qu’un nombre non négligeable d’entre eux font valoir leur droit à une médaille d’argent, de vermeil, d’or ou de grand-or sans avoir obligatoirement fourni un travail réel. Et c’est bien normal car une médaille, fût-elle du travail, ne sert pas à décorer des idiots qui auraient fourni des années de labeur acharné et néfaste mais des salariés intelligents qui ont réussi à perdurer obstinément sans coup férir. On ne va tout de même pas attribuer des médailles du travail à titre posthume, que diable !

On voit par-là qu’on ne peut pas avoir le labeur, l’argent du labeur et le revers de la médaille.

jeudi 21 août 2014

Le cabot de Fortunio (7)

Force est d’admettre que ce putain de toutou se réfugie chez moi comme si j’étais son maître. Mais je n’ai nullement l’intention de m’embarrasser d’un animal.
-          Un instant, dis-je, je veux bien le garder pour cette nuit mais demain je vous le dépose à la brigade si vous ne m’avez pas trouvé une solution. A la limite, je peux aller au chenil départemental mais à deux conditions : la première que vous me fassiez une attestation ou un truc du genre me permettant de juste jouer le transporteur et qu’aux yeux des gens du chenil je ne passe pas un gars qui se débarrasse d’un clébard…
-          Et la deuxième ? demande Moustache, le sourcil en accent circonflexe.
-          La deuxième, qui est de surcroît la seconde, est que ce cador monte dans ma fourgonnette de son plein gré et qu’il s’y tienne tranquille. Alors, qu’en pensez-vous ?
-          Je passerai un coup de fil au chenil demain matin, répond Livron, appelez-moi en milieu de matinée, disons… vers dix heures. Ça vous ira ?
-          Bien, alors passons à la suite si vous voulez bien. Allons, La Flèche, viens voir si tu acceptes de monter dans ma limousine de luxe.
Le cabot me suit comme si j’étais son maître et comme s’il s’appelait La Flèche. J’ouvre la porte arrière et il saute dans ma fourgonnette sans hésiter. Je ferme la porte.
-          C’est pas possible ou alors son maître est maçon lui aussi, dis-je, étonné.
-          Bon, nous on continue nos constatations, déclare Livron. A demain, monsieur Forelle ! déclare Livron.
-          A demain, dis-je à la cantonade. Bonne nuit, messieurs !
Les pompiers et les flics retournent à leurs occupations. Queutard me jette bien un sournois regard en biais et je réprime une violente envie de lui décocher un  subtil doigt d’honneur. Je monte à l’avant de mon coursier et retour dans mes pénates.
Arrivé à la maison, je fais sortir le clébard qui descend en frétillant, il  fait un petit tour du terrain mais lorsque j’ouvre la porte de la maison, il en profite pour se glisser à l’intérieur. Bon, pour une nuit, je ne vais pas me formaliser. Je cherche quelques restes de barbaque et une bouteille de lait dans mon frigo puis je lui prépare une soupe avec quelques bouts de pain. Mirza ne semble pas emballé par le pain mais il fouille un peu dans la gamelle et déniche les morceaux de viande qu’il avale avec plaisir. Je lui mets une autre gamelle avec de l’eau puis j’étends une vieille couverture dans un coin de la cuisine. Cela fait, je me prends un morceau de saucisse sèche, un quignon de pain et un verre de rouge car j’ai les crocs. Une fois sustenté, la Flèche  vient se coucher à côté de ma chaise en poussant un grognement que j’interprète comme étant de satisfaction. Je termine mon médianoche, je me lève et m’apprête à aller me coucher. Le chien fait mine de me suivre mais je lui indique fermement la direction du coin où une vieille couverture l’attend. Vu son refus de m’écouter, je l’y traîne et lui intime de rester sur place. Nouveau refus de l’intéressé qui recommence à me suivre. Cette fois, je me fâche et j’élève la voix. Je ne vais tout de même pas me laisser emmerder par ce clebs et j’ai sommeil, moi. Je le chope par le colback et le ramène à sa couverture. Il a le malheur de me grogner dessus et je me fous en rogne. L’animal est intelligent car il ne comprend pas mes paroles mais il a vite reconnu la musique : il se couche sur sa couverture et me regarde avec un air misérable. Sans un seul geste amical, digne, imperturbable, je quitte la pièce après avoir éteint la lumière. Non mais, il est plus de trois heures quand même avec tout cela !

*
(à suivre...)

dimanche 17 août 2014

Chronique du temps exigu (119)


Pendant les vacances, j’aurais pu vous offrir un spicilège des chroniques passées, une anthologie facétieuse, un florilège de bon goût, un recueil de bons mots, des miscellanées chroniquoïdes, des varia, une chrestomathie, j’en passe et des meilleures. Que nenni, nous explorerons le généreux trésor de la langue française, inépuisable source de surprises en tous genres.
Voyons par exemple les palindromes : il s’agit de mots ou de phrases pouvant se lire dans les deux sens. Un des plus courts est le mot ici, par exemple. Et le plus long serait ressasser ; il y a aussi des phrases comme : « Esope reste ici et se repose ». Mais, bien sûr, notre langue n’en a nullement le monopole puisqu’il y a la fameuse sentence latine, popularisée par Guy Debord, « In girum imus nocte et consumimur igni », ce qui veut dire, grosso modo, nous tournons dans la nuit et sommes consumés par le feu.
Toutefois, il ne faut pas confondre le palindrome avec le boustrophédon qui est la transcription graphique de droite à gauche sans pour autant retrouver un mot ou une phrase identique. Xueitécaf reicnamor en serait un bon exemple.
De même, l’allographe est un texte transcrit en d’autres mots homophones, citons Prévert avec : « Sceaux d’eau, mégots morts ». On n’est pas loin du calembour, de l’à-peu-près ou du mot-valise.
Enfin, il y a l’anagramme qui est en quelque sorte un palindrome dans le désordre. C’est ainsi que la crise économique devient le scénario comique[1] et la quadrature du cercle le calcul rare du détraqué. Les auteurs y voient la découverte du sens caché du monde.
Et, sur le rivage de ces procédés, il y a le néologisme, quelque fois simple hapax legomenon qui nous permet de jouer avec les mots. Mais foin de misonéisme, la langue est faite pour vivre !
On parlera une autre fois de la contrepèterie qui, à elle seule ferait l’objet d’une chronique. Il s’en promène, de-ci et de-là, dans mes romans. Félicitations à qui les trouvera.
On voit par-là qu’une boîte de riz ne trouve pas toujours un bénéfice horrifique.




[1] E.Klein & J. Perry-Salkow, Anagrammes renversantes.

jeudi 14 août 2014

Le cabot de Fortunio (6)

Nous passons une dizaine de minutes dans le break, Livron prend principalement mes coordonnées précises et une déposition rapide. Puis il me demande de passer à la brigade dans les jours qui viennent.
-          Bien, vous ne regrettez pas de ne pas avoir soufflé au ballon, j’espère ? dit-il en souriant. Vous avez déclaré venir de Bérac où vous aviez passé la soirée et je suppose que vous n’avez pas sucé des glaçons chez Guillaume.
-          Vous avez privé Monsieur Queutard d’un petit plaisir, je suis sûr qu’il aurait apprécié de me faire souffler…
-          Ayez pitié de lui, il a déjà un nom lourd à porter et peut-être pas ce qui va avec, rajoute Livron en se marrant carrément cette fois. Bon, cette fois, on ne va pas vous retenir plus longtemps si vous voulez rentrer chez vous…
Nous sortons du break, les autres s’affairent toujours mais n’ont trouvé aucune trace vivante dans les parages. Les seuls indices sont la plaque sur le tablier, une trace de sang sur le tableau de bord et les plaques d’immatriculation. Le véhicule serait une Béhème break et appartiendrait, aux dernières infos, à un toubib d’Angoulême, Charente.  Des recherches ont été lancées. Un des pompiers qui cherche toujours dans le bois s’écrie :
-          Eh, v’nez voir ce que j’ai trouvé !
Toute la troupe se précipite et traverse le fossé. Dans une clairière, ébloui par les lampes braquées sur lui, un clébard, le genre poilu  hérissé.
-          Attention à ne pas vous faire mordre ! s’écrie Queutard.
-          Boff, tu parles, ce clebs a l’air complètement perdu, arrêtez de lui braquer les lampes dessus, dit un des pompiers. Alors, Médor, qu’est-ce tu fous ici ? Viens me voir…
Plutôt que d’aller vers le pompier, le cabot vient vers moi et s’assied à mes pieds, face à moi.
-          Il est à vous, ce chien ? demande Livron.
-          Rien du tout, j’ai pas de chien, moi, réponds-je en caressant l’animal qui se met à trembler.
-          Il n’a pas de collier, il va falloir voir s’il est pucé ou tatoué, dit le pandore à moustaches.
-          Attendez, ne lui faites pas peur, on va d’abord regarder s’il n’est pas blessé, dit le pompier.
Je continue à caresser le chien pendant que le pompier-vétérinaire le palpe sous toutes les coutures.
-          Bon, il n’a rien de cassé en tout cas, diagnostique-t-il, on dirait qu’il n’est pas pucé et je n’arrive pas à voir s’il est tatoué. Il fait noir et il n’arrête pas de remuer la tête. Messieurs les gendarmes, à vous de le récupérer et de l’amener à la SPA ou au chenil départemental !
-          On n’est pas là pour jouer à la fourrière, déclare Queutard péremptoire.
-          Ah, mais nous non plus, répondent en chœur les pompiers.

-          Cet animal est en état de divagation, il faut faire quelque chose, intervient Livron. Il a l’air d’avoir confiance en vous, vous devriez le prendre, dit-il en s’adressant à moi.
(à suivre...)

dimanche 10 août 2014

Chronique du temps exigu (118)


« On fait ce qu’on peut, on n’est pas des bœufs, on chasse pas les mouches avec la queue ! »
On imagine sans peine le tollé qu’aurait déclenché dans les médias une telle réponse de la part de quelque ministre de la santé au moment de la canicule. Car et en effet, il y a eu LA Canicule de 2002, historique par les mouvements administratifs qu’elle a enclenchés. Et un mouvement, surtout s’il est administratif, cela n’est pas rien et cela fait des vagues d’autant plus lorsqu’on prévoit une vague de chaleur. Certains ministères ont été agités de vagues soubresauts et ce clapotis a mis en branle un raz de marée de  décrets, d’instructions et de circulaires visant à faire ingurgiter une quantité d’eau réglementaire par les vieux, dans les maisons de retraite en particulier. Tant que ces derniers ne seront pas gorgés de flotte à la moindre montée du thermomètre extérieur, point de quartier. Il faut faire boire les vieux, que diantre ! Et une fois bien imbibés, ils peuvent être parqués dans des salons climatisés car, bien sûr, les bâtiments ont été conçus pour protéger du froid mais nullement de la chaleur. Comme le dit le cahier des charges : « Y’a mieux, mais c’est plus cher ! ». Les travaux réalisés par les entreprises soumissionnant pour les appels d’offres de l’administration et des collectivités territoriales laissent toujours une large marge de manœuvre pour des travaux d’amélioration ultérieurs. Pourquoi faire bien tout de suite alors qu’on peut continuer à profiter, ad vitam et parfois ad nauseam, des largesses des élus et de l’administration. Donc, on prévoit des maisons de retraite chauffées mais non climatisées quitte à faire vendre ensuite des climatiseurs d’une qualité indubitable pour des montants sur lesquels moult donneurs d’ordres et intermédiaires prendront au passage leur commission. Au diable la varice, diraient les fabricants de bas Zadoc.
Donc, pour peu que le thermomètre s’énerve, on brasse du plan canicule : cela fait plaisir aux médias, cela enrichit les marchands et cela occupe la fonction hospitalière. Les vieux peuvent partir comme il leur chaut mais n’ont pas le droit de mourir de chaud car s’il est une chose admirable, ce n’est pas que l’espérance de vie augmente dans notre pays mais surtout que conséquemment l’espérance de mort diminue. Et plus cette dernière diminue, plus la première augmente. Tel qui, il y a vingt ans, se voyait promettre de vivre jusqu’à 68 ans (et demie environ) se voit aujourd’hui contraint de retarder l’échéance sous peine d’encourir les foudres des statisticiens.

On voit par-là que lorsque la médecine est impuissante la mathématique triomphe.

jeudi 7 août 2014

Le cabot de Fortunio (5)

-          Y sont où, les blessés ? me hurle un pompier sur un ton militaire.
-          J’ai trouvé personne sur place, réponds-je, je suis arrivé après l’accident, j’ai cherché partout…
-          Un instant, brigade de Marmande. Vous n’êtes pas témoin de l’accident ? Vous n’êtes pas blessé ? me demande un gendarme.
-          Non, je suis arrivé, tout était déjà comme ça, j’ai rapidement regardé, j’ai vu personne et j’ai fait le 112, je ne peux pas vous en dire plus.
-          Vous êtes monsieur Forelle, non ? demande l’autre flic que j’identifie comme étant un certain Livron.
-          Oui, en effet, dis-je.
-          Ah, alors on se connaît un peu. Bon, récapitulons : vous êtes arrivé sur les lieux vers quelle heure ?
-          Vers minuit et quart…
-          Vous n’avez touché à rien ? C’est votre véhicule, là ? Vous devriez éteindre les lumières ou mettre les veilleuses.
-          Oui, vous avez raison.
-          Bon, reprend-il, vous n’avez vu personne ? Il faut chercher, vous avez du matériel pour éclairer ? On va déjà voir ce qu’on peut faire comme photos, dit Livron aux pompiers.
Un pompier braque un projecteur, les flics s’affairent avec leur matériel de photos et les deux autres pompiers battent les fourrés pour voir s’ils trouvent un blessé.
-          Vous avez encore besoin de moi, ici ? dis-je aux gendarmes.
-          Ne partez pas, surtout ! On a encore besoin de vous, il faut faire une déposition, au minimum laisser vos coordonnées. Attendez un peu, vous pourriez peut-être chercher avec les pompiers. Je vais appeler du renfort, je sais bien que ce n’est pas passionnant mais ne nous laissez pas tomber ! dit Livron en rigolant.
-          Bon, bon, je vais jouer au pompier volontaire avec ma lampe de poche mais je n’ai pas grande envie de dénicher de la viande froide.
Je rejoins les deux pompiers-chercheurs pendant que les flics-photographes font des clichés de la scène de crime. On bat les fossés et les fourrés sans succès durant une dizaine de minutes quand un autre gyrophare tournoie à l’horizon, venant dans le sens inverse..
-          Ah ! Les renforts, ça doit être Vézeral, dit le collègue de Livron.
Un autre break arrive et je vois descendre mon Queutard, chef à Vézeral, affublé d’un autre pandore moustachu. Il salue ses collègues et le pompier éclairagiste puis, découvrant ma présence, il fait un sursaut et s’écrie :
-          Qu’est c’qui fout là celui-là ?
-          Bonjour, chef, lui dis-je en lui braquant ma torche dans les yeux.
-          Monsieur est notre témoin, occupez-vous de la voiture et de chercher ce qu’on peut trouver, je vais prendre sa déposition, coupe Livron.
-          Comme témoin ? éructe Queutard.
-          Comme témoin, oui. C’est Monsieur Forelle qui a appelé les secours et qui a eu l’amabilité de nous attendre sur place, répond Livron. L’enquête étant de notre ressort, c’est moi qui prends les dispositions. Vous n’y voyez pas d’inconvénient ?
-          Non, mais vous avez pris son alcoolémie ?

-          Allons, allons, mettez-vous au boulot, il faut chercher, prendre les relevés puis dégager la voie, ne perdons pas de temps, dit Livron en m’invitant à le suivre dans le break.
(à suivre...)