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jeudi 29 mars 2018

René-la-Science (95)



Roger regarda René avec un air perdu. René le dévisageait avec son sourire retrouvé, son sourire carnassier. Il eut une petite moue, puis tendit le canon du browning vers sa bouche.
— Suce-le, oui suce-le et espère qu’il ne jouisse pas trop tôt !
Roger le regarda, incrédule. René lui flanqua une bourrade avec le canon sur la bouche. Une de ses lèvres se mit à saigner. Roger ouvrit la bouche, avala le bout du canon et se mit à le sucer frénétiquement.
— Regardez, mademoiselle Desclain, Magali, regardez le cette omelette, s’il suce bien. On se l’achève ou on s’en débarrasse, à votre avis ?
— Connard, dit Magali voyant Roger déglutir en suçant le canon du browning et roulant des yeux globuleux. Tu ne mérites même pas une balle. Suce, enfoiré…
D’une autre bourrade, René ressortit le browning en disant :
— Maintenant tu vas sortir d’ici à genoux et à reculons. Toi, là, derrière la table, le Marco Carbiat si je ne me trompe, j’ai pas envie de m’occuper de toi. Tu te barreras aussi. Et tu iras touiller la merde ou te faire pendre ailleurs. Parce que toi aussi tu mourras comme tu as vécu : comme une nouille. Tu vois ce que je veux dire ou je dois te le dessiner aussi à la pointe de mon flingue ?
— Je ferai comme vous dites, monsieur, je ferai…, répondit celui qui répond au nom de Marco Carbiat.
— Mais il y en a un autre, parce que les trois mousquetaires étaient quatre, bien sûr ! Monsieur Vitteaux, je vous gardais pour la fin. Monsieur Vitteaux, qui c’est ce monsieur Vitteaux ? Antoine Vitteaux, le petit milicien qui a vite tourné sa veste juste à la libération avec quelques autres qui se sont tous fait passer pour des résistants ? Des résistants dont le seul acte de bravoure a été de faire chier le Gaby dans son froc ? D’accord, c’est pas toi mon petit Vitteaux qui l’as secoué, mais tu y étais. Et tu sais toi qui a donné les maquisards aux boches, oui tu le sais… et tu sais où il est en ce moment ce traître. C’est l’innocent au calbar plein, le Siméon. Revenons au petit Antoine, celui qui s’est fait des sous à la libération et qui a monté son entreprise avec l’argent pillé. Il t’en fallait plus encore et tu t’es ré-acoquiné avec ces minables pour essayer de récupérer de quoi renflouer ta boîte. Car elle va mal, la boîte de Meussieur Vitteaux, elle aurait bien besoin d’un peu de fraîche pour se régénérer. Alors, je te dis : pas de chance, il n’y a plus rien à récupérer, tout est parti et si un seul d’entre vous fait le malin, on fait sortir les cadavres du placard. Vous allez tous vous barrer maintenant, toi Siméon tu laisses ta canne par terre et tu pars en serrant les fesses. Toi, Roger, à genoux jusqu’à la voiture. Les deux autres pingouins, dehors. Et que je n’entende plus parler de vous, j’ai encore des balles et des trous de balle à votre disposition.
Il pivotait le buste, les deux mains tenant toujours le pistolet, les talons joints et les pointes des pieds écartées, le sourire étincelant.
Les quatre hommes sortirent comme il le leur avait demandé, on les entendit démarrer. René se tourna alors vers Michel :
— Mais, dis-donc, tu nous as causé mon pote ou j’ai des acouphènes ?
(à suivre...)

dimanche 25 mars 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs III (26)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. S’il est un moment traditionnel pour tout président de notre république, c’est bien la visite du salon de l’agriculture. Notre actuel et enmarchiste président ne s’y est pas soustrait et ne s’en est pas trop mal sorti si on le compare à ses deux prédécesseurs mais il est bien loin d’en faire un parcours de santé comme Jacques Chirac avant eux. Bien sûr, les agriculteurs officiels ont toujours une préférence pour les notables de droite - sinon plus – mais, quoiqu’énarque, le grand Jacques avait le feeling pour tâter le pouls des agriculteurs et le cul des vaches. Sans compter un généreux coup de fourchette et une bonne descente pour accompagner le tout. Mais je ne suis pas là pour faire l’apologie ou l’oraison funèbre précoce de ce vieux coquin et, pour en dire tout le mal nécessaire, il faudrait bien plus de temps que celui qui m’est imparti.
Et à propos d’agriculture, s’il en est en ce moment qui se préoccupent de la ruralité, ce sont bien les sénateurs. Il a été question il y a peu de leur empressement au chevet des maires de France qui sont, outre leur vivier naturel, leur électorat et il est grand temps pour eux de se préoccuper de ces électeurs qui sont appelés grands, non pour leur haute taille ou leur grande bravoure, mais pour leur poids dans les urnes. Et comme les prochaines élections sénatoriales auront lieu en 2020, il ne faudrait pas se laisser oublier de cet électorat gourmand en attentions diverses. Et, par-delà les coups de brosse à reluire que les sénateurs leurs envoient, il est une chose qui, de nos jours, est d’une efficacité redoutable, c’est de savoir reconnaître à ses affidés un statut de victime. En effet, qu’y a-t-il de mieux que de savoir se faire plaindre pour faire parler de soi en bien ? Même lorsqu’on profite des largesses et prébendes de l’Etat, il faut dire et faire savoir que l’on souffre, par exemple d’être incompétent, de gaspiller l’argent public et que c’est une dure épreuve de toucher des indemnités, des jetons de présence et autres rétributions. En réalité, ce n’est pas tout à fait de cela que se plaignent ces élus et, pour le savoir, les sénateurs ont diligenté une enquête exhaustive auprès de ces trente-six mille personnes ou plus. Et les résultats de la dite enquête ont comblé de félicité les hôtes du palais du Luxembourg qui se sont empressés d’en faire part aux médias. Bien sûr, lorsque l’on fait une enquête et que l’on n’obtient pas les résultats escomptés, on n’en parle pas ou on ne cite strictement que ce qui vous convient. Mais une telle enquête est-elle faite pour amener de mauvaises réponses ? Certainement pas et pour obtenir les réponses que l’on souhaite, quoi de mieux que de poser des questions subtilement orientées dans le sens voulu. Et dans le cas qui nous intéresse, le sens voulu c’est démontrer que les maires de France sont de malheureuses victimes qui se sacrifient en abusant tant de petits fours que de pouvoir, qui en ont marre de jouer les petits potentats locaux et qui ne veulent plus assumer les responsabilités qui sont les leurs. Donc et par conséquent, une proportion considérable d’entre eux envisage de ne plus se représenter. Envisage seulement car on peut être certains qu’une forte proportion de cette proportion se fera douce violence au moment des élections, susurrant des choses telles que : « je n’en voulais plus mais on a tellement insisté… vous comprenez bien que personne n’en voulait » et patin couffin. C’est l’hypocrisie habituelle qui fait que des octogénaires et même plus sont encore aux manettes et surtout évitent d’ouvrir leur succession. Parfois, ne s’étant plus représentés comme premier édile, ils continuent toutefois d’émarger dans des syndicats de voirie, des eaux ou d’électrification… ou mieux encore, au Sénat.
On voit par-là que les ânes se frottent aux ânes mais qu’il faudra encore du fric pour leur remplir la mangeoire.

jeudi 22 mars 2018

René-la-Science (94)



Il s’approcha en levant sa canne.
Il me sembla entendre un bruit léger derrière moi, comme si un autre véhicule était passé derrière la maison. Je ne sus plus que dire, le Siméon s’approcha encore, pointant sa canne vers moi.
— Si vous me menacez, je refuse de parler avec vous, reculez immédiatement, dis-je.
Le Siméon s’avança encore comme pour me frapper. A ce moment-là, la porte arrière vers le cellier s’ouvrit et je vis mon pote René, oui René-La-Science, se précipiter, souple comme un chat, vers le Siméon. Il braquait le browning sur le Siméon qui s’arrêta, interloqué.
— Alors, et moi, on ne m’invite pas quand il y a une petite fête ? Dit-René d’une voix douce. Et mon ami a raison, vous pourriez reculer un peu, allez allez, un peu d’espace ou je me fâche…
— Pas… pas question, répondit Siméon, blême.
— Ou je me fâche, répéta René, ou je me fâche…
— Pas… pas…
Il y eut une déflagration terrible, le coup était parti, la balle traversa l’imposte vitrée de la fenêtre mais n’avait apparemment pas touché le Siméon qui, de blême était passé au vert. Il laissa tomber sa canne et regardait dans le vague devant lui, les lèvres tremblantes. Il lâcha un son mouillé, trahissant une flatulence incongrue. Les autres étaient tétanisés. Seul, Vitteaux dit :
— Oh, les gars c’est bon on se tire.
Mais personne ne bougea. Je regardai le Siméon qui était planté, les bras un peu écartés du corps et les genoux légèrement fléchis, et vis au niveau de sa braguette une tache s’élargir. Pas de doute, il avait vraiment eu peur. Et on entendit Michel crier :
— Ga… Ga… Gaby, il… il… son froc…
Un silence suivit, puis Roger s’ébroua, venant vers moi. En une fraction de seconde, comme un danseur fait un entrechat, René lui fit face, sourire carnassier aux lèvres, le browning tenu à deux mains, braqué sur la poitrine de Fauchet fils.
— J’ai plus envie de rire, dit René, ton père ne méritait pas une balle dans la peau, mais toi peut-être. Je sais bien des choses sur toi et je sais ce que tu mérites. A genoux, Fauchet, à genoux…, ajouta-t-il en lui poussant le canon sur le plexus. A genoux, j’ai dit, cria-t-il sèchement. Et les mains sur la tête !
— Oui, dit Roger en s’agenouillant et croisant les doigts sur le sommet de son crâne, oui, oui…
— Et maintenant, tu vas me faire un petit plaisir, dit René en lui donnant un coup sec du canon de son arme sur le sommet du crâne. Un joli petit plaisir. Tiens, suce !
(à suivre...)

dimanche 18 mars 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs III (25)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Ma mère océane, c’est une Garonne chantait Claude Nougaro. La première fois que j’ai entendu cette chanson, il était sept heures un matin d’août il y a quelques 25 années, dans ma petite voiture en arrivant en haut de Castels à Valence d’Agen. Devant moi s’étalait la plaine de Garonne se couvrant de vapeurs au soleil levant, les formidables tours de Golfech et la petite cité sortant de son sommeil. Le spectacle sonore tenait du hasard merveilleux. Je dus m’arrêter, sortir de la voiture et sentir toute la vigueur du fleuve qui coule des Pyrénées à Toulouse et s’étale vers Agen puis Bordeaux pour devenir Gironde jusqu’à la Pointe de Grave. Le puissant fleuve y joue le bras de fer du mascaret avec l’océan pendant les grandes marées. Il est renforcé par la Dordogne qui l’alimente au Bec d’Ambès des eaux du Massif Central. Remontons le et, à notre gauche, nous voyons confluer le Lot, si beau dans ses sinuosités quercynoises puis à droite la Baïse si modeste qu’elle couvre son nom d’un joli tréma, qu’elle soit Petite Baïse ou Baïse Devant comme à Lannemezan.
Je ne citerai pas tous ses affluents mais après la Baïse, à notre droite qui est la gauche du fleuve, voilà le Gers sous Layrac, dont a parlé Jacques Sadoul qui écrivait : « Entre les coteaux de F., les méandres du Gers et le village d’A., s’étend le domaine de R., celui-là même où dès le haut Moyen Age se livrèrent, dit-on, tant de sacrilèges sorcelleries. Dans le pays, on évite d’en parler, on se dérobe aux questions des curieux. » Ce Gers mystérieux dont la vallée est si propice aux maléfices du redoutable Lodaüs, personnage aussi fascinant qu’anagrammatique et dont je parlerai, j’espère, bientôt.
Reprenons notre remontée de la Garonne avec, à gauche, la Séoune, discrète elle aussi mais que je ne peux m’empêcher de citer car son affluent l’Escorneboeuf remonte lui aussi une vallée thaumaturgique  avec Saint Maurin et son céphalophore et, en remontant les petits affluents dont l’énigmatique ruisseau du Furet, on arrive sur les herbages du chroniqueur par les canyons de l’ombrageuse Gatte.
Mais foin de nostalgie ou de chauvinisme et continuons à remonter le cours de notre mère océane : après la Barguelonne et son mignon pont canal, voilà le Tarn avec son giboyeux plan d’eau et, en le remontant lui-même un peu, on trouve un endroit unique au monde, un riverain me l’a attesté : c’est bien le seul lieu au monde où l’Aveyron se jette dans le Tarn. Nous laisserons ensuite le haut du cours de notre fleuve avec la Save, le Touch, l’Ariège ou la Neste, cette Garonne qui, du Pont d’Aquitaine au Pont-Neuf sera passée aussi sous le majestueux Pont Canal d’Agen et sous l’aérienne passerelle qui relie Agen au Passage et où, certaines nuits, la jubilation des amants emportés dans cette promenade romantique au-dessus des flots, les met en accord avec la nature généreuse de la frayère d’aloses.
Les êtres humains, à l’instar de Vénus, sont aussi nés de l’écume de la mer et c’est seulement en remontant le cours des fleuves qu’ils ont pu découvrir puis s’approprier les terres : les conquistadors sur l’Amazone ou l’Orénoque et ces explorateurs qui ont tant cherché les sources du Nil. Sans oublier Stanley remontant le fleuve Congo, retrouvant Livingstone et le saluant avec une urbanité toute britannique au milieu des indigènes d’Afrique : « Dr Livingstone, I presume ? »
Toujours les grands fleuves furent les artères de notre planète, tutoyant les mers et taquinant les océans, donnant à qui savait leur parler la connaissance du monde intérieur.
On voit par-là que La Garonne n'a pas voulu, Lanturlu! Quitter le pays de Gascogne.