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jeudi 30 avril 2020

Appelez-moi Fortunio (64)


-          Yes Sir ! Donc, ton plan c’est qu’un de nous deux, peu avant l’heure fatidique, soit vers neuf et quart, soit planqué non loin du lieu fatidique. Et il fait quoi, ce rombier une fois quand il se passera quelque chose ?
-          L’intelligence du moment, mon cher ! C’est pour cela que nous sommes ici, toi et moi. Je compte sur toi pour te déguiser en buisson touffu ou en statue de Vénus !
-          Le buisson serait plus adapté à mon corps peu vénusien. Bien, il va falloir examiner les lieux à distance tant qu’il fait clair pour que je puisse me faire une idée des possibilités. Et pendant que je me les gèlerai dehors, monsieur fait quoi ?
-          Je fais semblant de regarder la télé avec une bonne dose de yoguet.
-          Dose de yoguet, qu’ès aco ?
-          L’œil au guet, tu connais pas ? Bon, j’observe depuis l’intérieur et, dès que l’ectoplasme a disparu, je fonce en direction du grenier pour coincer jambe-de-bois et son minou.
-          Il a un chat ?
-          Oui, je crois l’avoir entendu miauler la première fois. Peu importe, c’est le pilon que je veux coincer.
-          Un peu rustique comme plan mais je ne vois rien à redire. Mais si tu coinces jambe-en bois et que l’autre s’échappe ?
-          Ouais, je sais pas mais faut essayer comme ça. Bon, on va à l’étage, de la fenêtre du couloir, on a une bonne vue sur le parc.
Ils montent à l’étage. Albert explique qu’on voit, à moitié cachée dans les arbres, une gloriette dans laquelle Rambaud père avait été relégué dans ses derniers jours.
-          Et tu me dis qu’elle a été bâtie sur les fondations d’une ancienne tour ?
-          Oui, une tour Khazare, je n’en sais guère plus. Il y a un truc étrange aussi, il parait que son ombre apparait toujours alors qu’elle n’existe plus, mis à part ce petit bâtiment dont l’ombre est bien moins haute.
-          Je crois que le Monbazillac t’a un peu tapé sur le ciboulot, mon petit Fortunio. On ira vérifier cela dès qu’on pourra. Si l’ombre n’apparait pas, tu me devras un pot !
-          Un pot sur le revenant ? Bien sûr !
-          Et une fois que tu a coincé JDB la jambe-de-bois, tu en fais quoi ? Du bois allume-feu ?
-          A bonne question, bonne réponse : je le coince dans le grenier en attendant que tu appelles les flics.
-          Je me vois déjà galopant d’un côté à l’autre ! Tu vas lui dire de se tenir sage en attendant ?
-          Mais, cher monsieur, j’ai de l’artillerie à mon service ! Un flingue apparemment en état de marche…
-          Apparemment, ça veut dire quoi ?
-          Je te ferai voir, dans le bureau. Maintenant que tu as vu les extérieurs, je vais te présenter le grenier.
Ils montent au grenier et inspectent minutieusement les lieux sans arriver à comprendre d’où peuvent provenir les bruits ni par où il serait possible d’entrer et sortir. Après cela, ils redescendent au rez-de-chaussée.
-          Mon cher René, it’s tea time ! Prendriez-vous une tasse de thé ?
-          Avec un nuage de lait si possible, volontiers, mon cher Fortunio, répond René.
(à suivre...)

dimanche 26 avril 2020

Chronique de Serres et d’ailleurs V (33)

Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Il y aurait bien des choses à dire sur la situation actuelle mais, pour ne pas ajouter à la cacophonie ambiante, je vous parlerai une fois encore d’un livre, un beau livre intitulé « Pigeonniers de France », édité en 1991 chez Privat à Toulouse et dont l’auteur est Dominique Letellier qui fut architecte des bâtiments de France et notamment chef du service départemental de l’architecture en Haute-Garonne. Il peut paraître étrange que je mette en valeur ce que l’on appelle de façon simpliste un ABF mais le maçon que je fus se doit de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain même s’il a parfois eu maille à partir avec certains de ces ABF.

Ce livre est largement illustré de belles photographies et nombreux sont celles et ceux qui reconnaîtront des petits bâtiments qu’ils ont déjà vus et admirés dans notre région car il fait la part belle au bâti en Midi-Pyrénées, région riche en pigeonniers. Ceux-ci rivalisent d’originalité et sont pour beaucoup de vraies créations artistiques tout en respectant les nécessités fonctionnelles de l’élevage du pigeon. Pendant la révolution, beaucoup d’édifices de caractère ont été rasés, ou vandalisés. Toutefois les pigeonniers ont été respectés, même s’ils étaient quelquefois un attribut des seigneurs, et ce principalement pour épargner un instrument de travail.

La première partie du livre aborde l’histoire économique et sociale. D’une part, l’élevage des pigeons dans notre région était d’un rapport intéressant et, d’autre part, l’esthétique particulière montrait l’importance et le goût du propriétaire. En outre, chaque pigeonnier est le reflet du sol dont il est issu, que ce soit la pierre, la brique, le bois, le torchis…L’auteur évoque rapidement les pigeonniers mobiles, l’usage militaire du pigeon voyageur et la colombophilie.

La deuxième partie a pour sujet la typologie régionale et architecturale. On visite ainsi l’Artois, la Normandie, le Tarn, le sud-ouest de l’Aveyron et Midi-Pyrénées. Et il cite, en les expliquant, les différents styles de pigeonniers, la gariotte, la tourelle et le balet, le porche et le grenier, la tour, le pied-de-mulet et les pigeonniers sur pieds et arcades. Ensuite, il passe en revue les épis de faîtage dont le but n’était pas seulement de relever l’esthétique de l’ouvrage mais aussi de donner un point de repère aux pigeons.

Ensuite, il nous fait un éventail des lieux et œuvres les plus typiques du Quercy car c’est une région qui possède un grand nombre de pigeonniers qui, pour la plupart ont été conservés et restaurés. Ji dirai entre parenthèses que je si maintenant on n’a plus le droit, en théorie, de démolir un de ces bâtiments, il est encore au moins un paysan – pardon, un exploitant agricole, s’il vous plaît – qui, s’étant vu refuser sa demande de démolition au prétexte que son pigeonnier était dans son champ, s’est permis de l’arroser au canon d’irrigation pendant un nombre d’heures suffisant pour qu’il s’écroule. Il n’y a pas qu’en Béotie qu’il y a des béotiens…

En quatrième partie, l’architecte donne des conseils de restauration, tant pour la pierre, la terre crue, la brique, les joints, les charpentes et les divers types de couvertures. Puis, à la fin, il donne un glossaire et c’est un délice de retrouver ou d’apprendre tant de termes du jargon des artisans. J’en citerai un : la randière qui désigne cette rangée de tuiles vernissées en façade pour empêcher les rongeurs de monter dans le pigeonnier, ornementale autant qu’indispensable.

Ce livre m’a enchanté, je l’avais acheté sur les conseils d’un vrai libraire, celui que, sous les cornières d’Agen on appelait Quesseveur, un homme de goût, lui ! Une prochaine fois, je vous décrirai l’un ou l’autre de ces si gracieux pigeonniers.

jeudi 23 avril 2020

Appelez-moi Fortunio (63)


-          Maintenant, passons à mon plan opérationnel, si j’ose parler ainsi, déclare Albert. On est obligés d’attendre le soir pour agir. La dame blanche est apparue les deux fois entre neuf et demie et dix. L’apparition ne dure, à bisto de nas, pas plus de deux à trois minutes. Il faut qu’un de nous deux arrive à se glisser dans les bois, discrètement cela va sans dire, un peu avant l’heure prévisible. Uniquement pour voir cela de plus près, pas question de s’approcher.
-          Ce qui voudrait dire qu’il y a un trucage ?
-          Alors, voici ce que j’ai découvert : tu n’as pas encore vu la bibliothèque, c’est un vrai cabinet de curiosités. Avec une quantité d’objets bizarroïdes mais pour la plupart étiquetés ! La première chose qui m’a frappé, tu sais que je m’intéresse aux bouquins, c’est quand j’ai jeté un coup d’œil sur les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Quand il raconte l’histoire du fantôme à la jambe de bois du château de Combourg.
-          C’est quoi, cette histoire ?
-          Tu liras, cela manque à ta culture, mon pote.
-          Bofff, pour moi le Chateaubriand c’est un steak…
-          Et toi une patate ! Je continue, monsieur de la Béotie, il se fait donc que je jette un coup d’œil en diagonale sur les bouquins, il y a beaucoup d’ésotérisme ou apparentés. Cela ne me dit rien. Mais il y a un rayonnage sur le côté avec de la littérature. Pour m’occuper, vu que ça manque un peu de polars, je feuillette et je tombe sur l’endroit où il parle du fantôme à la jambe de bois du château de Combourg et de son chat ! Je ne tombe pas dessus par hasard, il y a un signet, une note d’épicier d’il y a huit mois. Donc, quelqu’un a lu cette histoire il y a peu ! Et ça, c’est le coup de marteau de trop, comme on dit dans le bâtiment. Faut savoir taper sur un clou juste ce qu’il faut, si on tape trop, on marque le bois ou on éclate la pierre et pour un rien, on a tout faux. C’est ce qui m’a mis la puce à l’oreille. Il y a ce couple de jardiniers qui lorgnent l’héritage, donc à qui le crime profite-t-il ? A eux, bien sûr, s’ils arrivent à rendre Daniel fou. Ils ont réussi une fois à le faire encabaner, pourquoi pas une seconde… Alors, je continue. Je t’avouerai que s’il n’y avait pas eu cette histoire de jambe de bois, je croirais encore à la dame blanche.
-          Ton côté romantique, ton côté Fortunio… qui j’ose aimer…
-          Ouais, quand tu la verras, tu comprendras, mon vieux la-Science ! Donc, venons-en à l’apparition : je m’ennuyais ferme l’autre soir et j’ai été jeter un œil à la bibliothèque…
-          Tu avais déjà fini les Mémoires de Chateaubriand ? Ricane René.
-          A franchement parler, je préfère quelque chose de plus palpitant. Je vois un Jules Verne, pourquoi pas, ça va me rappeler ma jeunesse…
-          Ah ! L’île mystérieuse, Vingt-mille lieues sous les mers…
-          Justement ni l’un ni l’autre mais un que je ne connaissais pas, pas trop long en plus, je me le chope. Cela s’appelle Le Château des Carpathes. Tu connaissais ?
-          Inconnu !
-          Eh bien, je vais te dire, c’est assez passionnant, cela reste du Jules Verne, avec de la belle érudition mais aussi des personnages forts. Et… je te le donne en mille : une histoire d’ectoplasme, une machine qui fabrique des visions, en quelque sorte. Je me dis que c’est incroyable, ces gens auraient été puiser dans la bibliothèque pour trouver leurs idées ! Et, ce qui m’intrigue un peu, c’est qu’il n’y a que ce Jules Verne en tout et pour tout. J’avais le temps de gamberger, je refais un inventaire des bouquins, pas un autre. Bon, pourquoi pas ? Le propriétaire de la bibliothèque n’était pas forcément un passionné du Jules. Cela me trotte que trotte par la tête et les neurones mais j’en avais un peu marre de me creuser la cervelle et je me détends en regardant les curiosités. Il va falloir que tu voies cela, ça vaut le coup. Ainsi, je flâne un peu, je regarde les étiquettes d’un œil distrait lorsque, dans un coin sombre sur la tranche d’une étagère, je vois un petit cartel indiquant « Machine des Carpathes ». Sauf qu’à sa place supposée, il y a divers bibelots. Holà, me dis-je, y’a un truc ! Je monte sur un petit escabeau et, à l’aide de ma poquette lampe, j’examine l’endroit. Si on a enlevé quelque chose sur cette étagère, on n’a pas pris soin de faire la poussière. Les quelques bibelots font illusion mais il y a nettement un carré moins poussiéreux, comme si on avait enlevé une sorte de caisse carrée. Et, si c’est la machine des Carpathes, je comprends mieux pourquoi il y a ce bouquin. Bon, on est là sur des suppositions, mais je crois quand même que je vois clair dans cette histoire. Bon, le tout n’est pas de découvrir le pot-aux-roses, ce qui compte c’est aussi de coincer ceux qui en sont les instigateurs. De les coincer officiellement, si je puis dire. Pour les décrédibiliser et surtout pour les empêcher de continuer à nuire à Daniel. J’ai accepté le boulot à titre provisoire et je ne me vois pas revenir ici tous les six mois, tu comprends ?
(à suivre...)