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dimanche 30 août 2015

Chronique du temps exigu (161)

Pastiche...
C'était à Neuilly, faubourg de Paris, dans les jardins du Sâr Cossy. Les députés qu'il avait commandés au long de son quinquennat se donnaient un grand festin pour célébrer le jour anniversaire de la défaite de 2012, et comme le maître était absent et qu'ils se trouvaient nombreux, ils mangeaient et ils buvaient en pleine liberté. Les élus, portant des écharpes tricolores, s'étaient placés dans le chemin du milieu, sous un voile de pourpre à franges d'or, qui s'étendait depuis le mur des garages jusqu'à la première terrasse de la résidence ; le commun des électeurs était répandu sous les arbres, où l'on distinguait quantité de vélums avec des victuailles de toutes sortes, des fosses pour des gauchistes féroces, une prison pour les centristes indépendants. Des figuiers entouraient les cuisines ; un bois de sycomores se prolongeait jusqu'à des masses de verdure, où des grenades resplendissaient parmi les touffes blanches des cotonniers ; des vignes, chargées de grappes, montaient dans le branchage des pins : un champ de roses s'épanouissait sous des platanes ; de place en place sur des gazons, se balançaient des lis ; un sable noir, mêlé à de la poudre de corail, parsemait les sentiers, et, au milieu, l'avenue des cyprès faisait d'un bout à l'autre comme une double colonnade d'obélisques verts. La résidence, bâtie aux frais de la princesse, en marbre chinois tacheté de jaune, superposait tout au fond, sur de larges assises, ses quatre étages en terrasses. Avec son grand escalier droit en bois de cheik, portant aux angles de chaque marche l’étendard des circonscription perdues, avec ses portes rouges écartelées d'une croix de Lorraine, ses grillages d'airain qui le défendaient en bas des morpions, et ses treillis de baguettes dorées qui bouchaient en haut ses ouvertures, elle semblait aux élus, dans son opulence farouche, aussi solennelle et impénétrable que le visage du Sâr. Le Conseil du parti républicain leur avait désigné sa maison pour y tenir ce festin ; les élus battus qui couchaient dans le carreau du temple, se mettant en marche dès l'aurore, s'y étaient traînés avec leurs casseroles. A chaque minute, d'autres arrivaient. Par tous les sentiers, il en débouchait incessamment, comme des torrents qui se précipitent dans un lac. On voyait entre les arbres courir les serveurs du Fourquet’s, effarés et à demi nus ; les secrétaires sur les pelouses s'enfuyaient en bêlant ; le soleil se couchait, et le parfum des citronniers rendait encore plus lourde l'exhalaison de cette foule en sueur. Il y avait là des hommes de toutes les régions, des Normands, des Bretons, des Alsaciens, des Lorrains, des Gascons et des transfuges du parti socialiste. On entendait, à côté du lourd patois languedocien, retentir les syllabes celtiques bruissant comme des chars de bataille, et les terminaisons alsaciennes se heurtaient aux consonnes de l’Auvergne, âpres comme des cris de chacal. Le Limousin se reconnaissait à sa taille mince, le Lorrain à ses épaules remontées, le Cantalou à ses larges mollets. Des parisiens balançaient orgueilleusement les plumes de leur casque, des policiers marseillais s'étaient peints avec des jus d'herbes de larges fleurs sur le corps, et quelques Lyonnais portant des robes de femmes dînaient en pantoufles et avec des boucles d'oreilles. D'autres, qui s'étaient par pompe barbouillés de vermillon, ressemblaient à des statues de corail. Ils s'allongeaient sur les coussins, ils mangeaient accroupis autour de grands plateaux, ou bien, couchés sur le ventre, ils tiraient à eux les morceaux de viande, et se rassasiaient appuyés sur les coudes, dans la pose pacifique des lions lorsqu'ils dépècent leur proie. Les derniers venus, debout contre les arbres, regardaient les tables basses disparaissant à moitié sous des tapis d'écarlate, et attendaient leur tour. Les cuisines du Sâr Cossy  n'étant pas suffisantes, le Conseil du parti leur avait envoyé des emplois fictifs, des valises de billets, des enveloppes et du caviar de gauche ; et l'on voyait au milieu du jardin, comme dans un bureau de vote quand on brûle les bulletins, de grands feux clairs où rôtissaient des bœufs. Les pains saupoudrés d'anis alternaient avec les gros fromages d’Auvergne et du Jura, et les flûtes pleines de champagne, et les cruches pleines d'eau auprès des corbeilles en filigrane d'or qui contenaient des fleurs. La joie de pouvoir enfin se gorger à l'aise dilatait tous les yeux çà et là, les chansons commençaient : on aura laissé les socialos se goinfrer pendant cinq ans et après on s’y remettra à bouchées doubles pendant cinq années de plus, en 2017. C’est ce que l’on appelait les lustres de la république.

jeudi 27 août 2015

Le cabot de Fortunio (60)

Parti à minuit, la route et le temps de quelques arrêts aussi bénéfiques tant pour le chien que pour moi, un solide petit déjeuner et je trouve à me garer Boulevard de Port-Royal. C’est pas trop loin et c’est à l’ombre. Je laisse donc mon coursier et mon chien sur place. Je me dirige vers l’hosto en appelant Bonnefoi. Il vient d’arriver sur le parking et nous nous y retrouvons. L’atmosphère est un peu particulière dans cet hosto mais on est pas venu pour l’ambiance.
 On nous fait entrer dans la chambre et j’ai un choc en la voyant, livide, tubée, immobile, les deux mains blêmes sur le drap. Il me vient à l’esprit ce poème de jeunesse de Rimbaud : « La blanche Ophélia flotte comme un grand lys / Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles. »
Je suis là, pétrifié, je voudrais pleurer, je voudrais crier, rien ne sort de moi. Combien de temps sommes-nous dans cette chambre ? Je n’en sais rien. Finalement ce sont des infirmières qui, venant  pour des soins, nous font sortir. Dans le couloir, je prends François par la manche :
-          Y’a un endroit où on peut causer par-là ? lui soufflé-je.
-          Viens, il y a un bistro pas trop loin, ça nous fera prendre l’air.
Nous y allons en silence. Il fait un peu frais mais nous choisissons de nous installer en terrasse. Nous commandons deux grands noirs et c’est François qui attaque :
-          Ça fait un choc, non ?
-          Comme tu dis… Bon, alors, les toubibs, ils disent quoi ?
-          Le professeur Stalle a déjà extrait une balle mais, je te l’ai dit, pour l’autre c’est très, très délicat. Donc, il attend d’avoir des examens complémentaires et des avis compétents. Juste à côté de la colonne, c’est pas de la tarte et, crois-moi, je suis sûr et certain qu’il fera tout ce qu’il faut pour la sauver… mais pour la sauver vraiment, si tu vois ce que je veux dire ! Et ce professeur Stalle, on me l’a confirmé de partout, c’est quelqu’un, c’est du costaud.
-          Oui, je vois, je vois… mais j’enrage de la voir comme ça. En tout cas, je comprends bien une chose, c’est que je ne peux rien faire.
-          Ecoute-moi, c’est pas une question de moyens, inutile de croire qu’avec du pognon on va trouver un meilleur chirurgien. Maintenant, il faut attendre. Eliane sera peut-être transférée ailleurs s’il le faut, si c’est nécessaire, mais toujours sur la région parisienne. Tout ce qu’on peut faire, c’est ce qu’on vient de faire, venir la voir. Tu sais, on peut parler à quelqu’un qui est dans le coma. On ne sait pas si la personne entend ou n’entend pas mais moi je crois que ça sert à quelque chose. Rien que pour lui donner le courage de tenir, de tenir encore. Je te jure…
-          Tu as raison. Mais là, tout à l’heure, j’étais tétanisé. J’ai besoin de me reprendre, je reviendrai en début d’après-midi…

-          Tu sais ce qu’on va faire ? Tu vas aller faire un petit tour au jardin du Luxembourg du temps que je règle encore des formalités. On se retrouve là-bas et on va manger un morceau. Après, tu reviendras voir Eliane. On fait comme ça ?
(à suivre...)

dimanche 23 août 2015

Chronique du temps exigu (160)

Ça y est, on nous en promet une autre! Par Toutatis, le ciel va nous tomber sur la tête au mois de septembre, un astéroïde va s’écraser sur la Terre et la fin du monde est proche.
Voire ! Car la NASA, toujours prête à nous renseigner, dément formellement une telle éventualité. Mais alors, qui croire ? Car d’une part, si la NASA disait toujours la vérité, cela se saurait et, d’autre part, pourquoi la NASA s’applique-t-elle à démentir ce qu’elle considère comme des rumeurs et des billevesées ? Bien sûr, avec un nom pareil, il est normal que la NASA fourre son nez partout et l’on ne peut tout de même pas croire qu’il s’agisse d’une fausse NASA… Concluons donc que la fin du monde pourrait possiblement arriver en septembre 2015 et que, dans le cas contraire, elle sera remise à une date ultérieure.
Tout cela veut dire qu’il vaut mieux se préparer à toute éventualité car ce n’est pas la fin du monde qui est, à mon avis, la plus à craindre mais c’est l’après fin du monde qui peut poser quelques problèmes. Au cas où elle surviendrait en ce mois de septembre, je propose quelques précautions élémentaires comme d’avoir fait pipi avant de partir et d’emporter une petite laine, le temps se rafraîchit et il est certain que la fin du monde perturbera gravement les conditions météorologiques. Cela dit, on peut penser que, pour le reste, il n’y aura que de bonnes nouvelles : la Grèce se verra libérée du remboursement de ses emprunts, Madame Merkel et son argentier Monsieur Wolfgang Schope-le perdront à coup sûr les milliards que leur partie de poker-menteur a fait gagner sans coup férir à leur gouvernement et il n’y aura plus de journaux télévisés ni de journaux annonçant la fin de la fin du monde.
Relativisons les choses : quand on parle de fin du monde, ce n’est pas forcément la fin de tout mais seulement la disparition de notre petit monde. Ce n’est donc pas la fin du cosmos et les plus frustrés ne seront pas ceux qu’on pense. En effet, d’après un certain nombre de milieux bien informés, la MSA (Martian Spatial Agency), après avoir envoyé des sondes sur la Terre, a déterminé qu’il y existe une certaine forme de vie. Toutefois, il leur a semblé qu’il n’y a qu’une forme de vie très élémentaire et dépourvue d’intelligence. Gageons que leurs sondes ont atterri dans les jardins du FMI, de l’Elysée ou du château de Buckingham. Quoiqu’il en soit, tout évènement fatal pour notre terre mettrait à néant les recherches des martiens à notre sujet.
On voit par-là que si nous prenons un coup de barre, avec Mars cela pourrait repartir.

jeudi 20 août 2015

Le cabot de Fortunio (59)

-          Et si tu les retrouves, tu fais quoi ? me demande Raymond.
-          Je ne sais pas mais j’ai bien l’intention de ne pas laisser tomber. Mon problème, c’est pas le fric, mon problème, c’est ce qu’ils ont fait à Eliane. Et ça, tu vois, ça passe pas et ça passera pas comme ça !
-          Je comprends, mais ne fais pas de connerie. Cherche si tu veux mais ne t’attaque pas à ces gars-là. Tu vois bien qu’ils sont dangereux et sans scrupules…
-          Je sais, je sais. Mais si tu sais quoi que ce soit…
-          Tu vois bien, c’est ce que je fais. Bon, maintenant, je peux parler de mon enquête ?
-          Parce que c’est ton enquête ? Je suppose que tu veux parler de cette histoire de trafic de chiens ?
-          Mais oui car c’est toujours mon enquête. J’ai carte blanche pour fouiner mais au niveau hiérarchique, on m’a fait comprendre de faire en douceur. N’amener que du solide, du crédible quoi !
-          Ben oui mais on en n’a pas assez vu, là-bas ?
-          Pas assez pour déclencher une perquise dans les lieux. Et même si c’était le cas, ce seraient les collègues qui interviendraient, pas question d’aller leur marcher sur les pieds. Et si la perquise est faite en dépit du bon sens, ça risque d’être pire que si on n’avait rien fait. Donc, je me contente d’engranger, j’enquête, je mets l’un ou l’autre collègue à contribution et j’avance. Déjà un premier point : la bande à Sameli, c’est le style trafics en tous genres, alcools frelatés, drogue, bagnoles… Rien de bien terrible à première vue mais les bagnoles, c’est déjà pas mal pour amorcer le boulot. Sinon, les chiens, le trafic de chiens, c’est un truc sensible sur le département. Tu as peut-être entendu parler du procès d’Agen ?
-          Il y a bien une dizaine d’années, non ?
-          Oui, largement. Mais ce sont principalement les fournisseurs - si je puis dire - qui ont été jugés et condamnés. Ce qui est déjà pas mal, certes, mais il y a encore et toujours de la demande, ce qui donne des idées à certains. Ce que je veux dire, c’est qu’il y avait du beau monde - et en haut lieu - qui n’a guère été inquiété et tu comprends bien que c’est le genre de personnes qui ont de l’influence et qui feront tout pour mettre des bâtons dans les roues. Donc, j’y vais mollo, en douceur, mon chef me laisse les coudées franches pour le moment mais j’ai intérêt à lui ficeler un dossier en béton, le genre de truc où le proc ne peut pas se défiler. Voilà en gros… ce qui est sûr c’est qu’il y a trafic de chiens – certainement des chiens volés – et que la majorité des clébards finissent en laboratoire.
-          C’est répugnant et je me félicite d’avoir récupéré ma Flèche à temps…
-          Attends, un snotenberg comme elle aurait peut-être trouvé preneur, même non inscrite au livre des origines ça se vend bien à un bon gogo.
-          Encore pire alors, mon chien chez un gogo, non mais !
-          En effet. Enfin, voilà, je n’avais pas grand-chose à t’apprendre mais on continue à se tenir au jus, ok ?
Il paie l’addition et repart vers sa caserne. Je commande un autre café et je réfléchis. Je suis à la gare, je peux prendre mon billet pour Paris. Cela ne me plaît guère et je décide de partir en bagnole. Il y a sept heures de route mais cette fois je peux partir avec mon chien. Je ne vais pas tout le temps la laisser chez Méva, ils vont en avoir marre, lui comme elle. Et puis, je me sentirai plus libre, je pars quand je veux et je reviens quand ça me chante. C’est bien décidé et j’appelle Bonnefoi pour lui donner rendez-vous demain à neuf heures au Val de Grâce : le premier sur le parking appelle l’autre. Enfin, je suppose qu’il y a un parking là-bas.

*
(à suivre...)



dimanche 16 août 2015

Chronique du temps exigu (10b)

Un train peut en cacher un autre… cette phrase lapidaire a fait rêver bien des gens arrêtés à un passage à niveau. En effet, un train normalement en retard sur l’horaire peut en cacher un autre qui arriverait sournoisement à l’heure. Le piéton (ou le cycliste) qui traverse le passage à niveau n’imagine pas qu’un train puisse arriver à l’heure, ce dernier étant de plus obligé de se cacher derrière un autre pour ne pas se faire voir.
Le retard des trains est une source inépuisable de découvertes culturelles pour qui a la chance de s’y pencher.
Vous est-il arrivé d'être dans un train quand tout à coup des haut-parleurs situés on ne sait où dans le wagon se mettent à éructer une annonce bruyante et incompréhensible ? Après un coup d’œil à votre montre, vous supposez que l’on vous apprend que votre train aura du retard sur l’horaire annoncé, que le président de la société ferroviaire viendra en personne vous tenir la main pour prendre votre correspondance et qu’une agréable collation sera servie en compensation du préjudice subi. Légère déception, seule la première de ces suppositions se révèlera exacte.
J’ai eu la chance dernièrement de voyager au côté d’un sémiologue érudit qui a longuement analysé ces éructations ferroviaires et qui a fait une découverte étonnante. Ces messages que nous entendons dans les trains ne sont nullement en langue française ni en une autre langue en usage dans nos pays occidentaux. Il s’agit en fait d’une langue hiéroglyphique non écrite et uniquement émise par ce que l’on appellera une voix. Cette langue n’est pratiquée que par des locuteurs ignorant la signification de ce qu’ils disent mais ayant bien la sensation d’avoir une parole imagée autant que sensée.

On voit par-là que les agents du chemin de fer ne diffèrent guère, sur ce point précis, du commun des mortels.

jeudi 13 août 2015

Le cabot de Fortunio (58)

Bien, je repasse sur mon chantier pour avertir Charles et les autres de mon nouveau départ puis je reviens à la maison. J’ai besoin de gamberger : Eliane est entre la vie et la mort, les gars qui lui ont tiré dessus ont délibérément cherché à la descendre et en plus ils ont le fric.
Mon téléphone sonne et, cette fois, c’est Raymond Livron. C’est vrai que je l’avais complètement oublié, celui-là.
-          Albert ! Alors, tu nous fais des frayeurs ?
-          De qui, de quoi ? dis-je. De quoi qu’tu m’causes ?
-          Ecoute, j’avais sollicité mes contacts comme tu sais. Ce matin, mon contact m’a rappelé en me demandant si j’avais des nouvelles. Bien sûr, je lui dis que non. C’est donc lui qui m’a raconté que les choses avaient mal tourné. Bon, mais tu as un peu de temps à me consacrer, ce soir par exemple ?
-          Ce soir, non, mais cet après-midi, si toi tu as le temps…
-          Ah oui, mais je pensais que tu travaillais cet après-midi.
-          Je me demande bien quand je travaille, en ce moment, dis-je avec ironie. Tu viens à la maison ? Viens dès que tu peux…
-          Attends, tu as mangé ?
-          Non, pourquoi ?
-          Moi non plus, ma femme est absente, on va se manger un morceau en ville ou au buffet de la gare, ça te dit ? C’est moi qui paie…
-          Alors, si c’est toi qui paies, je ne peux qu’accepter.
-          A tout de suite, devant la gare ?
-          A tout de suite.

Nous nous retrouvons donc devant deux larges bavettes à l’échalote assistées d’un rouge de Duras. Raymond connaissait donc les grandes lignes de mon aventure mais surtout son contact lui avait donné quelques renseignements au sujet des ravisseurs. D’après cette personne autorisée, les ravisseurs ne sont ni des politiques – ils auraient revendiqué leur acte, exigé des libérations de prisonniers politiques, par exemple – ni une bande organisée. Il s’agirait plutôt de voyous, une petite bande qui aurait voulu faire du fric vite fait. La preuve, ils ont bien vite lâché sur le montant de la rançon. Ce qui confirme ce que me disait Paréguy. Mais l’info la plus importante, c’est que les services ne sont pas très motivés pour rechercher ces voyous. Je demande donc à Raymond de continuer à se tenir au courant parce que, moi, je me sens motivé pour les retrouver.
(à suivre...)

dimanche 9 août 2015

Chronique du temps exigu (9b)


La vie à la campagne n’a pas que des inconvénients, elle réserve aussi des surprises agréables. Parmi celles-ci, la découverte (et le ramassage) des champignons. Bien sûr, il n’y en a pas qu’à la campagne. A Paris, il y a les champignons dits de Paris qui ressemblent, serrés dans leurs barquettes, aux Parisiens dans leurs métros. Il traîne aussi dans la capitale quelques mycoses et autres mérules mais là n’est pas notre propos.
Le champignon a longtemps excité l’imagination des dessinateurs qui le font cohabiter avec le petit peuple des bois et des forêts. Il a aussi été le fantasme de cohortes de babas et autres pileux à sandalettes en tant que pourvoyeur d’hallucinations. Meurtrier parfois, il a aussi fait rude violence à bien des intestins de ramasseurs imprudents. 
Dans les prés, le suave rosé émerge de l’herbage et l’ample coulemelle déploie avec majesté son ombrelle déguenillée. Le faux mousseron, doux marasme d’oréade, se répand en ronds de sorcière dans l’herbe rase et le coprin chevelu érige sa cloche claire.
Dans les bois, le clitocybe et la chanterelle d’automne créent des taches de couleur dans les feuilles mortes. Le cèpe, dodu et parfois imposant parfume les sentiers et la lumineuse girolle éclaire le sous-bois. La trompette de la mort s’organise en troupes sombres et le pied-de-mouton scintille doucement sous les feuillus. Ailleurs, lactaires et oronges brillent de tous leurs feux.
Et dans les assiettes, en sauce, sur une croûte ou farcis, ils sont le régal de qui sait les aimer.

On voit par là que la vie à la campagne n’est pas de tout repos…

jeudi 6 août 2015

Le cabot de Fortunio (57)

IV. Assieds-toi au bord de l’oued…
Nous arrivons à Blagnac en fin d’après-midi. Un taxi nous attend et je me fais déposer à Matabiau. Je vais au buffet de la gare commander un JBC[1] avec un demi et j’essaye d’appeler François. Répondeur. Je laisse un message signalant que j’ai rejoint la ville rose et s’il ne m’appelle pas, je prends le train dans une heure pour revenir chez moi. J’achète Liberté, le quotidien du peuple des nantis de gauche et le Parico, journal de l’élite des nantis de droite, et je les feuillette rapidement. Aucune nouvelle mais ce sont les éditions du week-end.
François ne rappelle pas et, avant de monter dans le train, j’appelle Méva pour négocier le rapatriement de ma Flèche. Autant dire que c’est lui qui mène la négociation et que je me vois donc contraint de récupérer mon chien ce soir, de prendre un souper avec la sympathique famille Méva et de coucher sur place pour éviter tout danger sur la route.
Cela me fait du bien de me retrouver dans une ambiance chaleureuse et de reprendre contact avec Flèche qui me fait la fête. Pour elle, chez Méva, c’est pas mal mais ça ne vaut pas sa vraie gamelle et son vrai patron, on le sent bien. Ce qui me fait aussi du bien, c’est de raconter mon histoire.
-          Mon bel Albert, déclare Méva, j’en ai déjà entendu de vertes et de pas mûres mais là, si un autre me que toi me racontait une histoire pareille, je ne la croirais pas.
-          J’ai déjà bien du mal à y croire moi-même, lui dis-je en guise de conclusion.
*
Le lendemain matin, mes gars sont surpris de me voir déjà de retour. J’aimerais bien leur raconter mes aventures mais on n’est pas là pour s’amuser… et puis, pour moi, cette affaire n’est pas terminée. Je quitte le chantier vers onze heures pour donner des coups de fil tranquillement. Bien sûr, je suis encore au volant quand François en profite pour m’appeler.
-          Fortunio ! Tu vas bien ? demande-t-il. Et il enchaîne sans attendre de réponse : Ecoute-moi, je suis à Paris, tu as le temps de m’écouter ?
-          Oui, je viens de me garer. Dépêche-toi de me dire comment va Eliane.
-          Disons, état stationnaire, en bref : le chirurgien a extrait une balle près du poumon mais il y en a une autre et celle-là, il y a des risques. Apparemment, ça, c’est la première balle qu’elle a prise, elle est plantée juste à côté de la colonne vertébrale… alors tu comprends pourquoi il hésite à l’enlever. Il y a un risque, un très gros risque !
-          Et elle est dans le coma ?
-          Oui, un coma artificiel…
-          Et il attend quoi, le chirurgien ?
-          Des examens complémentaires, c’est, paraît-il, extrêmement risqué : soit elle ne se réveille pas, soit elle peut se réveiller paralysée… il y a peu de chances que tout se passe bien, c’est-à-dire qu’elle puisse remarcher, tu comprends ?
-          Il faut voir un autre chirurgien, on a déjà dépensé du fric pour la sortir de là et on fera ce qu’il faut pour qu’elle s’en sorte…
-          Attention, Fortunio, ce n’est plus une question de fric, crois-moi, on a affaire à une grosse pointure, ce Stalle est un crack mais il a besoin d’examens complémentaires et d’avis compétents. Tu sais, la chirurgie, c’est pas de la maçonnerie ou de la mécanique, excuse-moi du peu…
-          Bon, tu as sans doute raison. Et on peut la voir, là-bas ?
-          Tu viendrais à Paris ?
-          Je veux, mon n’veu. Avec ce que tu me dis…
-          Oui. Tu viendrais quand ?
-          Si tu me dis que je peux la voir aujourd’hui, je fonce !
-          Attends, je te propose un truc : tu vas prendre le train de nuit à Cahors, Montauban ou Toulouse et demain tu viens à l’hosto, je serai encore sur place.
-          Et l’hosto, il est où ?
-          Val de Grâce, tu trouveras facilement. Passe-moi un coup de fil tout à l’heure, quand tu connaîtras ton heure d’arrivée. Je viendrai te chercher à la gare et on prendra le métro.




[1] Acronyme de Jambon/Beurre/Cornichons.
(à suivre...)

dimanche 2 août 2015

Chronique du temps exigu (8b)

Où l’on en remet une couche…
L’humour a-t-il un prix ? Plus aucun maintenant que les émoticônes sont gratuites.
Dans un roman de Huxley, il y a un personnage qui se ferait pendre plutôt que de se priver d’un bon mot. C’était une autre époque, celle où vous pouviez vous faire virer du collège pour mauvais esprit… et ceci est un simple exemple.
Imaginons une conversation. Vous êtes gourmandé par un gendarme sous l’œil d’un passant :
-      Monsieur, dit le pandore, vous avez commis une infraction, je vais vous enlever un point.
-      Quoi, répondez-vous, vous voulez prendre mon point ?
-      Monsieur, vous dit-il en retour, vous me menacez ?
Vous pensez avoir fait de l’humour. Le passant, observateur plus ou moins neutre, y a vu de l’ironie. Quant au représentant de l’ordre, il y verra dans le meilleur des cas du persiflage et dans le pire, une menace. Vous avez courageusement bravé l’autorité en risquant de vous faire accuser de rébellion.
Aujourd’hui, vous ne risquez plus rien. Allez donc voir sur le vèbe. D’après l’Institut Périamétri, plus de soixante-dix pour cent des phrases échangées dans les forums de discussion finissent par ce bizarre assemblage appelé émoticône formé du deux points – tiret sous le six – fermeture de parenthèse, aussi appelé « smiley ».  D’après Médiapétri, on passerait même les quatre-vingt pour cent ! De fait, bien des émetteurs de messages qui ne comprennent pas leur propre message, se satisfont de ce petit drapeau pour dire : «  c’était pour rire ». Et bien d’autres agitent ce drapeau au cas où il y aurait de l’humour dans ce qu’ils ont écrit. Et je n’ai pas encore parlé de l’expression « Lol », d’origine douteuse quoiqu’anglo-saxonne (à moins que cela ne soit le contraire ?) que d’aucuns traduisent par « mort de rire ». De nos jours, il y a plus de gens qui ressuscitent après ce genre de décès que d’individus qui trépassent. L’humour, comme le crime, ne paie plus.

On voit par là que quand l’humour n’a pas de prix, il est aussi sans valeur.