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jeudi 18 août 2022

Dernier tableau (90)

 

– D’accord c’était donc cela la parotidite, c’étaient les oreillons !

– Pourquoi ? demande Fred.

– Madame Secondat m’a envoyé un dossier sur Leyden. Il y avait un dossier médical concernant une parotidite. Je n’avais pas compris quand j’ai lu et je crois qu’elle non plus. C’est énorme ce que tu as trouvé là. Tu as le bras long !

– Non, de bonnes relations, pas forcément haut placées mais bien placées, au bon endroit…

– Et tu ne pourrais pas m’obtenir des infos sur un petit margoulin à qui j’ai eu affaire ?

– Doucement, ce n’est pas une agence de renseignements ici. De qui s’agit-il ?

– Un soi-disant Renato, de son vrai nom René Luruquin, je crois. Ou éventuellement Gian-Marco Cobrizzi. Ce gars c’est le copain de Sara, il a cherché à me truander. Il a été un peu déçu, je te raconterai. Mais j’aimerais en savoir un peu plus sur lui et aussi sur Sara.

– Oh oh, je pensais que vous filiez le parfait amour ?

– Moi aussi je le pensais, jusqu’à hier.

– Ce type, c’est celui avec lequel elle était à l’inauguration où on s’est connus ? Ce bellâtre qui faisait ami-ami avec les Le Blévec et Lepetiot ?

– C’est lui. Tu crois que tu peux faire quelque chose ?

– Je vais essayer mais je ne te promets pas une enquête en règle. Ou ce type est bien connu des services de police, comme on dit, et alors là no problème je te rappelle rapidement. Ou c’est un illustre inconnu et c’est tout. Tu as dit René Luruquin, dit Renato. Et Sara, rappelle-moi son nom ?

– Sara Weill-Lucet.

– Ok, je vois cela et je te rappelle en fin de matinée pour te dire s’il y a de la matière. à plus.


Il raccroche. Son café a refroidi. Il le jette et s’en sert une autre tasse.

Ce sacré Leyden ne me lâche pas, se dit-il. Avec lui, il se passe toujours quelque chose, comme s’il fallait absolument qu’il arrive jusqu’à la vérité dans cette affaire.

Il sirote une autre tasse de café et se met devant son ordinateur. Il ne cherche rien de particulier, il regarde un peu les infos, il fait des réussites et le temps passe. Le téléphone sonne, c’est Fred.


– Eh bien, tu vois, j’ai de quoi parler, dit-il. Ton René Luruquin n’est pas un inconnu. Il a même un casier. Oh, c’est pas la grande truanderie, c’est plutôt le petit escroc. Il a fait dans la fausse monnaie et les faux fafs.

– Je m’en doutais un peu, je te raconterai plus tard.

– Mais il est aussi tombé pour proxénétisme : pas le mac de grande envergure non plus, mais il a eu son heure de gloire. Il avait deux gagneuses, ça roulait pour lui et un jour, pour dieu sait quelle raison, elles l’ont chopé par le colback et rossé d’importance. L’histoire a fait le tour de la capitale. Il a laissé tomber le pain de fesses et s’est mis à vivre de petites escroqueries. Il a rencontré tu sais qui ?

– Sara ?

– Perdu, une certaine Antoinette Lucet, divorcée de Lucien Weill. Enfin, mariée à dix-huit ans et divorcée à vingt-huit. Elle tombe sur ce Luruquin qui monte aussitôt un négoce de ses charmes et de ses talents. C’est une vraie artiste, peintre de talent et copiste de qualité. Acoquinée avec Luruquin, elle devient une vraie faussaire et une authentique gourgandine. Vraie faussaire, mais sans génie : elle copie. Luruquin vend les copies à prix réduit à des bourgeois friqués à qui il laisse sous entendre que le tableau est un original probablement volé. Acheter ce tableau est un investissement à long terme, il faut attendre que les choses se tassent et le bourgeois pense qu’il laisse une fortune cachée à ses descendants. D’où, peu de plaintes de la part des acheteurs. Mais quand on ne vend pas cher… on vend beaucoup et quand on vend beaucoup il y a toujours un risque de tomber sur un os. Ils avaient même réussi à couillonner un avocat. Mais ils sont tombés sur un épicier en gros qui a porté le pet. Ils auraient été coincés s’ils n’avaient pas pris en vitesse un vol pour Buenos-Aires. Les flics ont enquêté, ils avaient plusieurs autres pistes mais aucune plainte. Les deux lascars sont revenus deux ou trois ans plus tard et auraient repris leurs activités. Il y a aussi eu des plaintes pour chantage et extorsion de fonds. Antoinette draguait des bourgeois, les ramenait chez elle et René débarquait et faisait un foin terrible, ne se calmant qu’à la vue d’espèces sonnantes et trébuchantes. Mais ils sont toujours passés entre les gouttes, les plaintes n’ont jamais abouti. Ensuite, pour la police, Antoinette a disparu. Renato a continué à bricoler ici ou là. Il a une activité officielle, il est le secrétaire d’un financier et il s’occupe de sa collection de voitures anciennes.

– De là la BM, dit Hervé in petto.

(à suivre...)

jeudi 11 août 2022

Dernier tableau (89)

 

– Ma tire, comme tu dis, c’est comme un coffre-fort ! Jamais personne n’y a rien volé. Ma main à couper que tes tableaux t’attendent bien gentiment.

– Bon, si tu le dis, je te crois. Je voudrais encore te demander une petite chose : je ne veux pas que la Visa reste sous mes fenêtres. J’ai toujours les clés et la tête de Delco chez moi. On va chercher les tableaux, on les ramène chez moi, je prends les clés et la pièce, on descend mettre la punaise en route, je la gare sur le boulevard Laparrat et tu me ramènes ici. Et à ce propos, je vais te filer des sous pour te défrayer de ta soirée et de ton essence.

– Tu ne me files rien, à charge de revanche qui sait ? Mais pour le taxi depuis le boulevard, c’est Ok. Tu as la flemme de marcher ?

– Oui, un peu. Et je ne veux pas trainer près de chez Sara, je pourrais faire une mauvaise rencontre…

– Tu ne veux plus la revoir ?

– Je me méfie maintenant, j’aurais peut-être dû le faire plus tôt, mais c’est comme ça…


Ils consomment leurs cafés et leurs croissants et vont ensuite constater que les tableaux sont toujours dans la fourgonnette. Ils les remettent en place chez Hervé, puis redescendent. Hervé prend la Visa et la gare sur le boulevard. Il saute ensuite dans la fourgonnette d’André.


– Tu as laissé les clés dessus ? demande ce dernier.

– Non, elle a peu de chances de tenter les voleurs, mais tout de même…

– Et tu comptes en faire quoi ? Les balancer dans un égout ?

– Quand même pas, je ne sais pas…

– Alors, passe-moi cela, dit André en prenant les clés. Tu m’as dit quel numéro dans la rue Onfray ?

– Le 27, tu ne peux pas te tromper, il y a un panneau « atelier d’artiste ».


André sort de la voiture et part dans la rue Onfray. Il revient deux minutes après et reprend le volant de la deux-chevaux.


– Les clés sont dans la boîte aux lettres, restons galants jusque dans l’adversité !


Il dépose Hervé rue Équoignon et repart vers ses activités habituelles.


*


Arrivé dans son appartement, Hervé met un peu d’ordre et se prépare du café. Le téléphone sonne.


– Hervé Magre ? C’est Tucaume, Fred.

– Salut Fred, comment vas-tu ?

– Bien, bien. J’ai des nouvelles pour toi. Tu te souviens, je t’avais dit que je pouvais tenter de retrouver quelque chose du dossier Veudenne dans les archives.

– Le dossier Veudenne ?

– Le dossier Madeleine Veudenne, le dossier Leyden si tu préfères. L’archiviste que je connais m’a laissé le consulter. Mais juste consulter, pas question de faire des photocopies, pas question de prendre des notes. Mais je peux te dire ce qu’il y a dedans. Et ce qu’il n’y a pas. Car l’archiviste m’a dit qu’il manquait au moins une pièce, sinon deux. Il y a en tout cas un premier procès-verbal d’audition d’Artur Leyden, concernant ses relations avec Madeleine Veudenne. Puis il y en a un autre dans lequel il est question d’un certificat médical établi par un médecin de l’hôpital de Rennes. Il en ressort que, suite à une maladie dite infantile – les oreillons – qu’il avait contractée vers l’âge de trente ans, Leyden était devenu stérile. Le médecin a aussi été auditionné, j’ai vu le PV. Apparemment, l’enquête en était à ce point-là lorsque Leyden est décédé. Et c’est là qu’il y a un deuxième point très intéressant : le dossier a été classé, le dossier dit « Madeleine Veudenne » je te rappelle, mais pas sur ordre du procureur. Il y a dans le dossier une note du secrétaire de la sous-préfecture. Il y est fermement demandé de classer le dossier suite au décès des deux protagonistes. C’est bien le mot employé. Le gendarme qui a reçu cet ordre a noté qu’il avait appelé le bureau du procureur. Il n’avait eu qu’un substitut qui lui avait répondu « ne vous posez pas de question, faites ce qu’ils vous disent ». Le gendarme a noté cela, il voulait sans doute se couvrir. Voilà, c’est tout, mais cela tendrait à prouver que Leyden était pour ainsi dire innocenté. Stérilité ne veut pas dire impuissance, bien sûr, mais il n’avait en tout cas pas mis la gamine enceinte. Ensuite, il y a eu intervention de la part de l’exécutif. Je ne dirais pas que cela n’arrive jamais, mais c’est quand même ce que l’on appelle une intervention venue de haut. Troisième point, il manque une ou plusieurs pièces dans le dossier. Ce n’est pas un coup de vent fortuit qui a fait cela. Je ne dirais pas non plus que cela n’arrive jamais, mais cela pose toujours question.

(à suivre...)

jeudi 4 août 2022

Dernier tableau (88)

 

– Sans commentaire, tu vis du fric de la sécu et tu fais du Schwarz pour pas la financer. T’es bien un petit cochon comme je disais. Tiens, sers-moi un coup de la boutanche que tu as payée avec le fric de la sécu.

– Voilà, voilà. Mais faut pas m’en vouloir, je suis tout en bas de l’échelle. Je te signale que les toubibs, avec les dépassements d’honoraires et autres, ils s’en font aussi du Schwarz comme tu dis.

– On va pas refaire le monde, tu m’as avoué tes turpitudes, elles sont à moitié pardonnées.


La conversation continue ainsi, languissante et sur un mode pâteux. Ils finissent la bouteille, ils se lèvent et, en titubant, vont payer leur dû à la patronne, rassurée lorsqu’ils lui déclarent qu’ils ont cent-cinquante mètres à faire pour rentrer à pied à la maison.

La fraicheur de la nuit les dégrise légèrement, mais ils ont un peu de mal à arriver sereinement à la maison d’Édith.


– C’est là qu’on va voir si on est bons, dit Hervé. Pas question de réveiller madame Lemond. On monte doucement l’escalier et tu serres les fesses !

– T’inquiète, je prends mes précautions, répond André avant de franchir le seuil.


Il largue une autre caisse sur le trottoir et entre. Ils montent l’escalier sans bruit et arrivent dans l’appartement d’André.


– Je vais ouvrir le canapé.

– Surtout pas, ce serait bien trop long, dit André qui enlève ses chaussures et s’affale de tout son long. Dis-moi seulement dans quelle direction sont les chiottes, ça peut toujours servir.

– C’est ici à gauche, répond Hervé. Bonne nuit, ma poule.


André ne répond pas, il dort déjà. Hervé entre dans sa chambre et, lui aussi, une fois déchaussé, se laisse tomber tout habillé sur le lit.


*


Le réveil est un peu difficile pour les deux comparses. André ouvre les yeux le premier, il reste un moment la tête entre les mains. Hervé sort de la chambre.


– Oh, déjà habillé, monsignor ?

– Il est l’or, monsignor. Soyons francs, j’ai moi aussi dormi tout habillé et je me réveille la tête dans le cul.

– Écoute-moi, il est presque dix heures. Tu vas te passer sous une douche froide puis tu me laisses la place. Ensuite, sans te commander, on va retourner au troquet d’hier soir avaler deux croissants et deux maxi cafés. Sans cela, on n’y arrivera pas. Exécution !


Sans discuter, Hervé entre dans la salle de bains. Il prend une douche froide puis laisse la place à André. Ensuite, ils partent au bistrot. La patronne les reçoit avec un petit sourire admiratif :


– Il y en a qui assurent, couchés tard et chargés, ils arrivent à émerger avant midi. Et pour ces messieurs, ce sera un petit jaune peut-être ?

– Beuh, non, dit André. Vous avez bien encore quelques croissants ?

– Je n’ai jamais de croissants. Si vous en voulez, la boulangerie est à côté, vous allez vous les acheter.

– Alors, deux très grands noirs et j’arrive avec les croissants.


Hervé s’assoit à une table et attend André qui revient peu après avec un sachet de croissants.


– Bon, on en est où maintenant ? dit-il.

– On en est qu’on a laissé les tableaux toute la nuit dans ta tire, répond Hervé.

(à suivre...)