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jeudi 30 octobre 2014

Le cabot de Fortunio (17)

Le samedi matin, j’emmène ma Flèche à Mussidan et elle s’en donne à cœur joie avec les lévriers de Méva, Othello surtout qui est fort intéressé par cette femelle. Desdémone est plus réservée car elle allaite une portée de six chiots.
-          Ton chien est magnifique, me dit Méva, mais Snotenberg ou pas, il faut que tu l’éduques sinon tu vas te faire marcher sur les pieds. Bien sûr, c’est ton problème mais si tu veux te sentir bien avec ton chien et que lui aussi se sente bien avec toi, il faut que chacun trouve sa place. Le chien est un animal de meute et si c’est toi le chef, il n’en sera pas frustré si –et seulement si – tu assumes ton rôle. Le chien ne demande pas d’affection, il est en recherche de reconnaissance. Et si tu n’assumes pas ton rôle de chef de meute, il n’en sera pas plus heureux. A toi de choisir… Je te donne un conseil : éduque ton chien, tu as plusieurs possibilités. La première, c’est de payer quelqu’un pour cela, la solution bourge. La seconde, tu vas chaque semaine dans un club et vous apprendrez tous les deux à vivre ensemble.
-          Franchement, ça me gonfle d’aller faire le pingouin tous les dimanche matin, j’ai autre chose à faire…
-          Tu fais cela pendant quelques mois, le temps qu’il faudra. Tiens, je te propose un truc : tu restes ici ce soir, je t’offre le gîte et le couvert, cela va de soi, et demain matin nous allons ensemble au club canin de Mussidan. Tu verras ce que c’est, on fera comme si tu étais un nouveau, même si tu vas ailleurs ce n’est pas un problème. Mais au moins tu ne pourras pas dire que tu ne sais pas ce que c’est. Alors, ça marche ?
-          Allons, je boirai donc la coupe jusqu’à la lie, réponds-je sans réfléchir.
-          Ah non, me répond le Méva, tu passes la soirée avec nous mais je ne regarde pas la coupe de foot, c’est bon pour les débilot’s mais pas pour nous. Tu te souviens qu’on y jouait, au foot, chez les Samaritains ?
-          Oh bais oui mais on était pas des champions tout de même…
-          Oui, même au tennis on se faisait ratisser, t’étais pas meilleur que moi. Mais… dum Argos oppugnaret…
-          Interiit, réponds-je sans hésiter, de viris illustribus… sacré Pyrrhus !
-          Ah, la grammaire latine ! C’est pas qu’on était les meilleurs, mais tout de même…
-          Et Xénophon, Lucien de Samosate !
-          Eh bien, va t’faire voir chez les Grecs, on dirait des anciens combattants de la guerre du Péloponnèse ! conclut Méva.
Je passe donc la nuit chez lui et le lendemain matin nous allons au club canin. Nous y restons deux bonnes heures et je comprends vite que ma Flèche a besoin d’être cadrée et que moi-même j’ai beaucoup à apprendre.

Nous revenons à la maison et je constate avec intérêt que Flèche est nettement plus calme. Je compte bien passer une après-midi au calme, tranquille, dans le canapé. Avant de m’installer confortablement, je vais jeter un coup d’œil à ma boîte aux lettres que je n’ai pas relevée hier samedi, histoire de relever mes factures. Il y a une lettre qui vient de l’étranger ; l’émotion me submerge quand je vois que c’est une lettre d’Eliane, oui c’est bien elle, Eliane Bonnefoi !
(à suivre...)

dimanche 26 octobre 2014

Chronique du temps exigu (128)

2014, année de glands : le chroniqueur qui, d’un pas toujours leste mais digne cependant, s’élance des chênaies du Quercy  aux mythiques frondaisons du septentrion le constate jour après jour. Une preuve de plus : le président persiste, l’ex-président revient et les radicaux restent. Le radical-socialisme est à la politique ce que le suppositoire est à la pharmacopée : il est rare qu’on en goûte toute la saveur.
Mais foin de telles considérations, il y a des glands ailleurs que chez nos élus. Les économistes, par exemple, ne manquent pas des chênes en puissance. L’économie est un panel de doctrines qui se proclament sciences. Mais nous la considérerons plutôt comme un art : l’art de toujours donner raison aux riches. Pour être un bon économiste, il suffit de réinventer le passé en le baptisant histoire, de fantasmer le présent en le nommant réalité et en conséquence de prédire l’avenir en fonction de ces adroites affabulations. L’économiste normal est rarement pauvre et a exceptionnellement tort. S’il est pauvre, on l’appellera de préférence philosophe et s’il reconnaît ses erreurs ce sera un imbécile ; il n’y a pas de place pour les idiots dans une telle discipline. Cependant les riches ont bien le droit d’être riches… mais pourquoi vouloir en plus avoir toujours raison de l’être ? Reconnaissons que, si on a souvent tort d’être pauvre, c’est parfois une erreur d’être riche. Pensons par exemple aux pays pauvres qui, pour avoir raison comme les riches, essayent de gaspiller autant - sinon plus - de ressources naturelles non renouvelables que les pays riches. Mais s’ils sont pauvres, la science économique leurs donnera tort et il se trouvera des directrices (teurs) de fonds monétaires pour leurs infliger des leçons de bienpensance et d’écologie. Car l’écologie officielle est encore une autre manière de renforcer le contrôle social de ceux qui ont tout sur ceux qui ont peu.
La seule manière de prendre en défaut un économiste est de lui faire passer une nuit dans un hôtel new-yorkais. Sinon, ils peuvent brosser les tapies dans le sens du poil sans être inquiétés outre mesure et poignarder les démunis jusqu’à la garde en se faisant applaudir.

On voit par-là que plus il y a de glands, plus les porcs sont gras.

jeudi 23 octobre 2014

Le cabot de Fortunio (16)

Le chien se tient piteusement sur le seuil de la porte mais je tiens à lui faire comprendre que je lui en veux. Si je ne prends pas des mesures énergiques, ce clébard va me pourrir la vie. Mais quelles mesures énergiques ? D’abord, je vais aller chez un véto pour le faire ausculter. Je prends l’annuaire et j’appelle celui de Vézeral qui accepte de me voir le chien si je m’y rends tout de suite. En avant, me voilà sur la route de Vézeral. Le véto est un gars sympa à qui je raconte brièvement mon histoire. Il ausculte le chien. Les traumatismes sont sans gravité, il fait quand même une piquouze d’un machin en flacon et m’extorque une somme rondelette en me conseillant d’acheter un bouquin sur l’éducation des chiens ou de faire appel à un comportementaliste, d’après lui les blessures physiques guérissent plus facilement que les traumatismes psychologiques. Ça, je peux le comprendre.
Je vais donc faire un tour en ville mais je ne trouve rien sur l’éducation des chiens et je reviens à la maison. Et là, il me vient une idée de génie : téléphoner à Méva, mon vieux copain Enguerrand Mevano. Lui saura me dire quelque chose, il est éleveur tout de même ! Il est enchanté de me parler et cela l’amuse beaucoup. Il n’a pas envie de se mettre à causer au fil et m’invite à manger chez lui le lendemain. Il présentera ses cadors, Othello et Desdémone, à ma Flèche et il affirme que la rencontre sera bénéfique pour tous, moi compris.
A peine ai-je raccroché, un break bleu arrive dans ma cour : la volaille marmandaise en la personne de Livron. La Madame guenon l’a appelé pour lui faire une relation à sa manière de notre entrevue et pour lui suggérer de surveiller ma manière de gérer le cabot. Le style glisser des peaux de bananes, ça doit être son fort à cette chieuse. En fait, ma relation à ma manière amuse assez Livron qui n’était pas venu pour cela mais pour me raconter l’avancée de l’enquête. Un expert est venu de Bordeaux, il estime que, vu l’état du véhicule, l’accident a dû se produire à une vitesse nettement supérieure à 200 km/heure. Pour le reste, tout a été ramassé et envoyé au labo mais il y a peu d’espoir d’en sortir quelque chose. La voiture aurait bien été vendue mais ils ne savent pas à qui, pas encore me dit-il. Grosso modo, il ne sait rien de plus que ce matin et c’est moi qui lui donne du grain à moudre en lui parlant d’une part du Robico propriétaire-fantôme du chien et d’autre part de l’aventure de Bretonet. Pour lui, il n’y a pas grand-chose à pêcher chez Bretonet –quoique…- mais côté Robico, voilà qui l’intéresse et qui l’intrigue. Il s’en va en me promettant de me tenir au courant.


*

jeudi 16 octobre 2014

Le cabot de Fortunio (15)

Avant de partir, le gonzier me lâche quand même une info intéressante : il a des voisins, les Bretonet, des paysans qui ont pas mal de hangars et de matériel. Au petit matin, ils ont entendu aboyer les chiens. Le mari s’est levé pour aller voir, il n’a rien remarqué de spécial puis il a entendu un bruit de moteur. Il a une vieille Express dont il se sert pour aller dans les champs, la clé est toujours sur le contact. La bagnole lui est passée sous le nez, volée. Bien sûr, Bretonet n’était pas content mais on aurait pu lui faucher sa 605. Sauf qu’il n’y avait pas les clés dessus. Ça le faisait bien marrer, un peu jaune, car le réservoir était quasiment à sec, c’est le genre d’utilitaire dans lequel il met le gas-oil par coup de cinq ou dix litres, pas plus. Il a couru chercher les clés de la 605, il a foncé au cul du gonze mais trop tard, le gars avait déjà disparu, impossible de savoir dans quelle direction. Donc, le Bretonet est allé directement à la Gendarmerie de Vézeral pour porter plainte. Le planton de service lui a dit de revenir plus tard, la brigade a été sur les dents toute la nuit avec une histoire d’accident. Donc le Bretonet est revenu chez lui, histoire de casser la croûte, c’est pas un bileux, lui. Et il a bien raison car, à peine son petit déjeuner terminé,  un paysan de Saint-Barthélemy qu’il connait vaguement lui téléphone pour lui demander si c’est bien sa voiture qui est dans son champ, à moitié dans un fossé, la portière ouverte et les clés sur le contact. Le gars avait trouvé cela bizarre, personne dans les parages. Il avait trouvé du courrier au nom de Bretonet dans le véhicule, et avait décidé d’appeler chez Bretonet. Ce dernier, ni une ni deux, il fonce sur place et récupère son Express. Tout est bien qui finit bien, la voiture n’a rien et il y a encore un peu de carburant. Ils en étaient à se demander pourquoi le voleur avait abandonné la caisse à cet endroit-là quand un vieux qui revenait des champignons à mobylette leur a expliqué qu’il avait vu une voiture noire garée le long de la route, puis cette fourgonnette est arrivée, elle est entrée dans le champ, un gars en est sorti comme une fusée sans fermer la portière et il est monté dans la voiture noire. Bon, le vieux a vu ça de loin, il était dans le bois à trois ou quatre cents mètres, lui aussi ça l’avait intrigué mais il a continué son tour dans le bois en se disant qu’il jetterait un œil en repassant par là. Le propriétaire du terrain conseillait à Bretonet de ne toucher à rien et de prévenir les flics mais l’autre était content de récupérer sa vieille bagnole et il est reparti avec. Avant d’arriver chez lui, il a croisé Dingley et lui a raconté l’histoire en lui disant de se méfier car maintenant les voleurs piquent n’importe quoi pourvu que ça roule.
Une fois Dingley hors de ma vue, cette histoire me laisse rêveur. Dingley habite à moins d’un kilomètre de chez Bretonet, ce dernier est, à la louche, à trois ou quatre kilomètres du bois des Copiaudes. Le cascadeur à la béhème aurait eu bien le temps de faire le trajet à pied… et me voilà parti dans des conjectures invraisemblables. Je repense au chien qui est toujours dans ma fourgonnette, je vais aller le délivrer car il y est depuis près de deux heures.

J’ouvre la porte arrière, le chien saute en vitesse et je constate l’étendue des dégâts. J’avais – je dis bien j’avais – deux sacs de ciment. L’emballage est déchiré et il m’a foutu du ciment partout, un foutoir incroyable. Je vois mon cador qui se promène et s’ébroue en levant un nuage de poussière. La rogne me prend. Je commence par l’engueuler après l’avoir saisi par le collier ensuite je le traîne jusqu’au hangar où, avec une brosse en chiendent, j’essaye d’évacuer la poussière qu’il a dans les poils. Je lui fais prendre une douche colossale au tuyau d’arrosage pour diluer au maximum tout ce qui reste. Et enfin, je nettoie ma fourgonnette qui en avait certainement bien besoin.
(à suivre...)

jeudi 9 octobre 2014

Le cabot de Fortunio (14)

Comme son nom l’indique, Dingley est anglais. Un de ceux qui sont venus en France pour soutirer du fric à leurs compatriotes fortunés. J’explique : des Anglais friqués viennent acheter une belle maison en pierre dans le sud-ouest. Les Anglais aiment l’Aquitaine, certains croient revenir  chez eux en oubliant que Talbot a pris une déculottée à Castillon. Mais ils n’aiment guère les Français et leur langue et leurs préjugés autant que leur monolinguisme les poussent à une erreur fatale : faire travailler des compatriotes anglophones. Ces derniers manient mieux la langue des Stones que la truelle ou le marteau et ils ont une forte propension à surévaluer leurs prestations. Une fois que ces requins ont suffisamment écumé la région, ils lèvent l’ancre et partent plus loin taxer d’autres congénères. Ceux d’entre eux qui ont acheté une maison la revendent sans scrupules à un prix très élevé, toujours à des Anglais qui se disent qu’une maison aussi chère doit valoir son pesant d’or. En fait d’or, ils ramassent plutôt des peanuts et ils vont de surprise en surprise. Dingley, lui, c’est un cas spécial, il a acheté une ruine qui est resté ruine malgré les quelques tonnes de béton qu’il y a mises et qui en ont fait une moins-que-ruine. Il y habite vaille que vaille, seul car sa femme et son gamin sont repartis dans les brumes d’Albion. Asocial quoique jovial, alcoolique et de plus radin, il ne sort de sa tanière que pour aller boire chez l’un ou l’autre mais il ne paie jamais à boire lui-même. Après un épisode d’entreprise au black chez ses congénères, il s’est recyclé dans l’entretien de piscines et d’espaces verts et je l’emploie de temps à autre lorsque j’ai vraiment besoin d’un gars en plus, ce qui, d’après lui, lui donne le droit de venir me taxer ma réserve d’alcool. Et là, il me prend par surprise : je n’ai pas le temps de planquer mes boissons alcoolisées. Il arrête son char, un antique Ford Transit, devant ma porte d’entrée et déboule en anglicisant :
-          Foootunioowww, c’est moâ !
Cette entrée en matière n’est pas du goût de La Flèche qui lui fonce dessus en aboyant.
-          Wooow ! Sale béte, shut up bad dog !
-          Sors ta trapanelle de mon soleil, perfide anglais, tu m’emmerdes à toujours te garer là, dis-je avec autorité.
Il s’exécute en maugréant et je récupère le cador. Puis il revient en s’écriant :
-          Mais tu as un chien, maintenant ?
-          Oui, c’est toute une histoire. Mais je suppose que tu veux boire quelque chose…
-          Oh, si tu veux oui mais je ne venais pas pour ça…
-          Ne me dis pas que tu ne bois plus !
-          Si, si, mais je suis pressé ! Tu regardes le match ?
-          Le match ? Quel match ?
-          Le match France-Allemagne, la coupe du monde, c’est maintenant !
-          J’en sais rien moi. Et tu comptes le regarder chez moi ?
-          Well, oui Foootunioww, mon télé est en panne, je vais rater le match, tu vas le regarder quand même ?
-          J’en ai rien à foutre de ce match, tu vas pas m’emmerder avec ça !
-          Allez, Foootuniowww, ça va commencer !
-          C’est sur quelle chaîne ?
-          La dou, vite vite !
-          On dirait que t’as envie de pisser, allez entre, on va voir ça !

J’ai en effet une télévision mais un vieux poste en couleur quand même. Je l’allume et tout de suite on entend les hurlements dans le stade, ce qui déclenche des hurlements à la mort du côté du clebs. Le chien devient fou et mon Dingley commence à péter un câble. Je chope La Flèche et la confine dans la fourgonnette puis je reviens à la maison où j’installe quelques boissons acidulées pour mon rosbif saignant. Je me promets, une fois le match terminé, de le mettre dehors et je surveille donc la quantité d’alcool qu’il ingère. Bien sûr, ce sont les Français qui mènent le jeu sans toutefois arriver à conclure. Dingley tient pour les Allemands, ce qui me paraît assez déplacé pour quelqu’un qui se fait inviter chez un françouze mais c’est Dingley. On ne devient pas rosbif, on nait rosbif, aurait dit la Simone. Et un engliche préfère encore soutenir les Allemands que supporter les Bleus… ah perfide Albion ! Evidemment, on va aux prolongations après un zéro à zéro, les Bleus marquent deux buts pendant la première, les Fridolins deux autres pendant la seconde et aux tirs au but, ce sont eux qui gagnent. Gros plan sur le gardien bleu qui pleure, sur les supporters qui gémissent et larmoiements des journalistes sportifs. Je coupe le son et j’intime à mon britannique l’ordre de rentrer chez lui ou à Abbey Road, comme il lui chantera. Il me taxerait bien encore une mousse mais il a son quota, je reste inflexible. Et puis, un traître à la patrie ne mérite pas une mousse de plus.  Il y a un autre match ce soir mais je lui dis d’aller ailleurs, c’est pas un bistro ici.
(à suivre...)

dimanche 5 octobre 2014

Chronique du temps exigu (125)


Le 3 août, j’étais chez notre ami Ernesto Che Cussotile et je l’invitai à m’accompagner dans la ville haute de Caracapenata pour boire un anisette bien fraîche.
Nous nous assîmes à la terrasse de l’Ecu Sonnant, un bistrot qui me parut vivant et accueillant. Mon ami semblait réticent, s’assoyant après avoir essuyé la chaise avec son mouchoir. Il jetait des regards inquiets autour de lui et accepta à grand peine que je lui commande une anisette. Disons bien que les anisettes de la ville haute sont généreusement servies et accompagnées de tapas de toutes sortes. Dès que nous fûmes servis, une demi-douzaine de joyeux compères nous interpellèrent :
-    Señores, nous ne vous connaissons pas mais nous vous saluons ! Pouvons-nous savoir si vous êtes de Caracapenata ?
-    Je ne suis pas d’ici, en effet, mais mon ami ici présent, le señor Cussotile, est de la ville, répondis-je.
-    Hombre, vous d’ici ! Ma jé né vous ai jamais vou, déclara un moustachu basané.
-    C’est qu’il est de la ville basse, interviens-je.
-    Pauvre homme ! reprit le premier. De la ville basse en effet, je comprends votre air si mélancolique. Je suppose que vous venez ici pour voir si vous pouvez changer de quartier, la ville basse est si triste…
-    Non, non, je ne veux nullement changer de quartier, répondit Ernesto, je suis venu ici à l’invitation de mon ami PJRF mais je ne compte pas m’attarder…
-    Allons, allons, señor, venez nous voir plus souvent, vous verriez comme la vie est plus agréable ici, loin de vos rues tracées au cordeau, de vos trottoirs en pavés de Chine et de vos petites maisons avec vos petits portails et vos petites clôtures…
-    Comment osez-vous dire cela ? s’exclama notre Ernesto.
-    Ma, señor, reprit le moustachu, aussi vrai qué jé m’appelle Serge-Jean Garcia jé vous dis qué jé souis allé dans vos Calle basses et jé vou dé mé zio vou cé qu’il dit !
-    Señor, reprit le premier, je ne juge pas chez vous, seulement je vous dis : venez de temps en temps nous voir, venez boire une anisette avec nous et vous verrez comme la vie est belle et fraîche ici. Nous vous présenterons nos amis, nous vous ferons visiter notre quartier…
Ce fut à ce moment qu’un petit troupeau de chèvres passa au son de légers grelots et semant derrière elles un tapis de petites perles noires. Ernesto les regarda, comme pétrifié. Je fus le seul à comprendre ce qui se passait en lui, il pensait revivre le rêve qu’il m’avait raconté certainement. Puis il jeta un regard circulaire sur notre petite assemblée avant de finir son verre cul-sec.
-    Il se fait tard, messieurs, je dois rentrer à la maison car c’est l’heure de la télévision. Mais je vous promets que je reviendrai encore cette semaine. Vous me ferez connaître la ville haute ? demanda-t-il.
-    Oui, je n’ai qu’une parole, señor ! déclara le premier. Si vous ne me trouvez pas ici, demandez Bernardo. Tout le monde me connaît !
-    A bientôt, señores, comptez sur moi ! déclara Ernesto avec emphase.

-    Arrivederci, señor Cussotile ! Qué lé cou vous pèle et…, conclut Serge-Jean. 
(…)

jeudi 2 octobre 2014

Le cabot de Fortunio (13)

-          Vous voyez bien, elle n’en n’a rien à foutre de s’appeler Kara. Son nom, c’est Flèche et elle le sait.
-          Tout va bien alors. Donc, allez voir votre vétérinaire dès que possible.
-          Oh, doucement, j’ai pas de véto de famille, moi, pas de véto traitant non plus. Déjà que j’ai pas de médecin traitant. J’en connais aucun.
-          Bah, vous prenez les pages jaunes, vous trouverez bien. C’est votre problème maintenant. Mais contactez le club de la race Snotenberg pour savoir si ce chien est inscrit au Lof.
-          Faut pas rêver, je vais pas m’emmerder avec ces conneries. J’ai déjà assez à faire comme ça sans me lancer dans ces conneries…
-          Ne devenez pas grossier maintenant. Vous savez ce que m’a dit Madame Tenel après votre départ, ce matin ?
-          Non et je me demande si j’ai bien intérêt à le savoir…
-          Après votre départ, elle est restée quelques secondes sans rien dire, elle a pouffé de rire puis elle s’est tournée vers moi en me disant : « Cet homme ne manque pas d’allure malgré son abord un peu rustique. Et puis, sachez, ma petite –oui, ma petite, elle m’a dit !- que, pour une femme, il vaut mieux se faire insulter par un homme comme lui que de se faire draguer par un lourdaud. Cela dit, notez bien ses coordonnées et passez-lui un coup de fil, histoire de lui rappeler qu’il s’est mis dans son tort, faites-lui un peu peur. ». Vous l’avez tout de même traitée de vieille guenon !
-           Nuance, j’ai dit Madame vieille guenon !
-          C’est certainement cette nuance qui l’a fait pouffer de rire, ou alors votre départ à la Belmondo, style cape et d’épée…
-          Passons et pardonnez-moi mon parler rustique. J’ai entendu vos conseils et j’y réfléchirai. Je ne sais pas dans quoi je me suis embringué avec ma Flèche, ni pourquoi je l’ai fait d’ailleurs. Cela dit, sans vouloir paraître lourdaud, j’ai été enchanté de faire votre connaissance. Si vous êtes libre ce soir, je vous inviterais volontiers…
-          Laissez-moi votre carte, coupe-telle vivement. Je la ferai passer à mon copain, il est au chômage, vous embauchez peut-être ?
Je me sens un peu douché mais je ne vais pas perdre contenance pour autant.
-          Il peut toujours essayer mais prévenez-le : moi je n’ai pas besoin d’un mois de période d’essai pour juger un ouvrier, en deux jours je sais si le mec vaut le coup ou non !
-          Ah ! Vous avez de la chance de pouvoir juger les hommes en quarante-huit heures. Finalement, c’est peut-être moi qui pourrais avoir besoin de vos conseils…
Nous rions tous les deux, je lui dis au revoir et repars vers mon domicile. Sur la route, je voudrais bien réfléchir mais le clebs a maintenant l’idée de m’aboyer dans les oreilles et cela m’exaspère. Mais là aussi, je m’interdis de perdre contenance.

Nous arrivons à la maison, Flèche s’est calmée et je me prépare un café, histoire de m’accorder une petite pause de réflexion. Et j’entends un fourgon arriver. Au bruit, aucun doute, c’est Dingley, l’illustre emmerdeur !
(à suivre...)