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jeudi 31 juillet 2014

Le cabot de Fortunio (4)

Que quoi ? Bon, il est dix heures, je vais aller boire un godet à Berac, histoire de ne pas rentrer tristement chez moi. Je suppose que le bistro est ouvert, je vais me jeter une mousse dans le gosier. Le bistro de Bérac, c’est pas le Fouquet’s, c’est pas demain la veille que la sarklique viendra faire la fiesta chez Guillaume, pas la peine de commander du champagne, ici c’est pastis pour tous, ouiski pour les grosses gueules et bière pour la soif. Le rouge, c’est pour les vieux, manière de les conserver dans le vinaigre, comme les cornichons.  Ce soir-là, je tombe à pic, il manque un quatrième, Desgouils (prononcer Dessgouilss) vient de déclarer forfait. Il boit trop vite son ouiskard et au dixième il sent l’appel du plumard. Il va jusqu’à son 4x4 Pacheco, sur le parking, et ronfle au volant pendant deux heures, après quoi il se considère comme clean. Donc, lorsque je passe la porte, je suis accueilli comme le messie, pas question de se dérober. Guillaume me tire une mousse. Sottier trempe ses bacchantes dans un pastis et Lémarie, dit Taste, sirote un verre de rouge. Le pinard à Guillaume, c’est un rince-gencive du siècle dernier, bouteilles étoiles consignées en caisses de douze, pas plus de dix degrés mais fatal pour les chaussettes. Quant à Lémarie, un cas celui-là. Personne ne l’appelle par son nom, on l’appelle Taste, diminutif de Tastepiot (prononcer le t final), un souvenir de jeunesse mais comme l’ensemble est quelque peu tendancieux, on se contente de Taste. Il fait soixante-quinze berges et sa biographie tiendrait une dizaine de volumes. Guillaume, le patron, ne boit que de l’eau, il dit avoir atteint son quota il y a dix ans et qu’il se remettra à boire le jour où quelqu’un lui prouvera qu’il a réussi à picoler autant que lui. Les trois compères sont à une table avec un jeu de cartes, papier crayon et cendard. J’accepte de jouer à la seule condition qu’on ouvre une fenêtre, qu’on joue sans annonces et qu’on s’arrête à minuit dernier carat. Sottier et Taste font équipe, je m’acoquine avec Guillaume. C’est pas le plus mauvais équipier car il n’est pas troublé par l’alcool. Taste et Sottier commencent par nous mettre dedans, puis capot, rien à faire les cartes sont contre nous. Un mille, la revanche, la belle et à minuit on se dit sans rancune aucune et à une autre. Je repars avec ma fourgonnette et, en comptant l’apéro Debassac et les cinq petites kros que je me suis enfilé, je me dis que ça craint un peu mais pas trop, on est jeudi soir. Bon, je vise quand même les routes secondaires histoire de ne pas tenter le diable. Je passe par le bois des Copiaudes, c’est un endroit que je connais bien, il y a des coins à champignons, cèpes, girolles et autres, mais inutile de le proclamer sur les toits… La route traverse le bois en ligne droite sur plus de trois kilomètres mais la nuit faut faire gaffe, le gibier traverse sans crier gare. Je suis donc particulièrement attentif, essayant de discerner une éventuelle traversée. Je balaie des yeux à 180 degrés tant et si bien que je tarde à apercevoir une carrosserie de bagnole en plein milieu de la route. Le truc incompréhensible, il y a de la pièce détachée sur toute la route, un siège dans un fossé, une portière au pied d’un arbre. Je m’arrête sur la droite de la route en orientant ma fourgonnette de telle sorte que les phares éclairent la scène de ce que je suppose être un accident. Je sors, armé d’une lampe torche, un peu inquiet. Il y a de bonnes chances pour que je découvre l’un ou l’autre blessé, pourquoi pas un macchabée… Le spectacle est incroyable, il y a de la pièce partout, il n’y a plus qu’une portière arrière accrochée à la carrosserie qui elle-même n’a plus ni pare-brise ni lunette arrière. Il y a des éclats de verre partout. Le tableau de bord pend lamentablement, le siège arrière est disloqué. Impossible de reconnaître le modèle et la marque du véhicule, de ce qui était une bagnole. Personne dans la coque, je suppose que le chauffeur et ses éventuels passagers ont été éjectés et je me mets en devoir d’inspecter les fossés. Rien. Je passe à côté du bloc moteur-boîte qui fume encore légèrement. Je pose la main dessus, il est encore chaud donc l’accident a eu lieu il y a peu. J’ai beau faire le tour, je ne vois personne. Dans un fossé, je trouve l’essieu arrière avec un pneu déjanté, un peu plus loin une portière et un siège avant. J’appelle, pas de réponse. Bien, il va falloir ameuter la cavalerie, je ne vais tout de même pas me défiler. J’appelle donc le 112. Je peux indiquer l’endroit avec précision mais mon interlocuteur me demande de rester sur place. Ça ne m’enchante pas de jouer le planton mais j’ai mis le doigt dans l’engrenage, je promets d’attendre l’arrivée des bleus. Je passe près d’une demi-heure à battre la semelle et à continuer l’inspection des fossés et des fourrés puis je vois arriver des gyrophares bleus, un break de gendarmerie et un camion de pompelards. Ça s’arrête en X sur la route, deux gendarmes déboulent du break et trois pompiers du camion.
(à suivre...)

dimanche 27 juillet 2014

Chronique du temps exigu (116)

Sous le Pont Mirabeau coule la Seine et je pensai soudain à Ernesto Che Cussotile… Avais-je donc promis de faire un geste pour le sortir de l’anonymat où il croupissait, de donner un peu de lustre à son existence si terne ? Il me fallait m’en préoccuper sans tarder et honorer la parole donnée. Je ne suis pas sans savoir non plus que sans ignorer que, de nos jours, bien peu sont ceux qui se moquent bien des promesses et des engagements qui sont les leurs ; mais pour ce qui est de respecter,  s’il n’en reste qu’un à respecter ses dires, que ce soit moi, diantre !
J’enfourchai donc ma quadruplette à énergie scolaire, don de mon ami cap, et fonçai à toute allure en direction de l’aéroport où je me garai en double file. Un membre des forces de l’ordre un peu voûté m’intima aussitôt de garer proprement mon attelage mais je lui fourrai sans barguigner un billet de 12,5 caracapenatos dans la main afin qu’il s’en occupe lui-même. Après s’être emparé de la coupure en question, il entama un redressement productif de la colonne vertébrale et siffla le concierge de l’aéroport qui se chargea de mon véhicule après force courbettes. On dit que l’argent ne fait pas le bonheur mais qu’est-ce qu’il fait gagner comme temps !
Je pris donc un billet pour Gucheco et montai dans un aéroplane de grand luxe avec sièges rembourrés. Le voyage ne durant guère plus de deux heures, je n’eus pas l’occasion de consommer quelque boisson acidulée ou autre car je me réservais pour la fraîche anisette locale. A l’aéroport, je ne retrouvai pas la petite friponne qui m’avait loué une voiture mais un solide commercial cravaté à chemise blanche qui me loua une antique voiture néerlandaise à embrayage automatique pour un prix avoisinant le prix d’achat d’une berline allemande à crédit. Fort judicieusement, je m’étais muni d’un paquet impressionnant de monnaie locale et je fonçai sans tarder vers Caracapenata.
Arrivé sur place, je m’attardai comme prévu dans le quartier haut et me fis servir une première anisette à la terrasse du café central où je fis la connaissance de joyeux lurons à qui je payai une tournée générale.
Les meilleures choses ayant une fin, je quittai mes commensaux et descendis vers la ville basse, retrouvant le morne quartier d’Ernesto Che. Sa maison me parut encore plus triste que dans mon souvenir, même la sonnerie me sembla comme affligée. Il apparut et sa sombre figure, lorsu’il m’aperçut, s’éclaira d’une lueur fugace.

-    Entrez, me dit-il, j’ai fait un rêve étrange, un cauchemar !
(...)

jeudi 24 juillet 2014

Le cabot de Fortunio (3)

-          Je n’en sais rien. Bon, on a causé un peu mais cette nana a commencé à me pomper l’air en me reprenant sur ma manière de parler. Car mademoiselle est prof de français, faut dire. J’abrège, j’ai passé la nuit dans son appartement…
-          Dans son lit, je suppose ?
-          Oui mais je me suis endormi avant toute festivité, dirais-je. Mademoiselle n’est pas rancunière car le lendemain elle me laissait partir avec un panier casse-croûte, sa voiture et sa bénédiction…
-          Mais, et votre voiture ?
-          Elle manquait de discrétion alors que la sienne, c’est une petite berline passe partout. Donc, je suis reparti à la chasse au magot, je n’en dirai pas plus car il y a des détails sordides. Et quand j’ai voulu rendre la voiture à sa propriétaire, elle s’était envolée…
-          C’est-à-dire ?
-          Elle avait laissé ma fourgonnette dans un garage avec un petit mot disant qu’elle était partie pour l’Afrique -en coopération ou que sais-je ?- et qu’on se reverrait peut-être un jour…
-          Et alors ?
-          Et alors, pas de nouvelles…
-          Elle a ton adresse, tout de même ? Excuse-moi si je tutoie mais on est entre nous.
-          Oui, bien sûr, elle est sur ma fourgonnette, mon adresse !
-          Et alors, c’est d’elle qu’il s’agit, tu es amoureux d’elle, mon petit Fortunio !
-          Oui, boff…
-          Je résume : tu as retrouvé ton pécule, tu es amoureux, tu ne le sais pas, heureusement que je suis là pour te le dire sinon tu continuerais à te mentir à toi-même. Et les autres femmes, c’était quoi ?
-          Des complices ou des comparses, c’est tout.
-          Voilà, c’est tout ce que je voulais savoir. Tu sais, je t’aime bien, comme maçon mais aussi comme mec. Et ça me plairait bien de savoir que tu es heureux. Bon, on a couché une nuit ensemble, mais cela ne m’empêche pas d’avoir de l’amitié pour toi : tu vois, je suis sans rancune moi aussi !
-          Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
-          Pas d’embrouilles entre toi et moi, mon petit Fortunio, je plaisante. Allons, je dois y aller. Je suis sûre que tu ne m’as pas raconté toute l’histoire mais c’est bien, je me contenterai de cela. Ce que je veux que tu saches c’est que je suis et je resterai ton amie. Promets-moi que si tu as un problème, un vrai, tu feras appel à moi !
-          C’est promis, Juliette.
-          Ah, tu vois que tu sais parler gentiment. Hop, on se fait la bise et je te mets dehors, comme ton copain Récanier. Celui-là, j’aurais préféré lui coller une paire de claques mais il y a des fois où il faut savoir se retenir.

Je reprends ma vaillante fourgonnette et quitte La Bertoude. Ce que m’a dit Juliette me laisse pensif. Elle a certainement raison. J’avais un peu tenté d’oublier Eliane après cette histoire mais je dois bien reconnaître que… que…
(à suivre...)

dimanche 20 juillet 2014

Chronique du temps exigu (115)

La suite du poème d'Aragon
(…) Nous avons fait des clairs de lune
Pour nos palais et nos statues
Qu’importe à présent qu’on nous tue
Les nuits tomberont une à une
La Chine s’est mise en commune
Nous avons fait des clairs de lune

Et j’en dirais et j’en dirais
Tant cette vie fut aventure
Où l’homme a pris grandeur nature
Sa voix par-dessus les forêts
Les monts les mers et les secrets
Et j’en dirais et j’en dirais

Oui pour passer le temps je chante
Au violon s’use l’archet
La pierre au jeu des ricochets
Et que mon amour est touchante
Près de moi dans l’ombre penchante
Oui pour passer le temps je chante

Je passe le temps en chantant

Je chante pour passer le temps

jeudi 17 juillet 2014

Le cabot de Fortunio (2)

Nous voilà donc tous les deux dans le grand hall de La Bertoude. Je me demande in petto si elle compte me rejouer la scène de la sortie de taule.[1] Une fois que les véhicules ont démarré dans la cour, elle pointe un doigt vers mon plexus.
-          Monsieur Fortunio, vous me devez quelques explications. Je n’ai guère eu l’occasion de vous voir tranquillement pendant le chantier pour en parler mais il s’en est passé des choses après votre départ, une certaine nuit… je pense que vous me devez bien cela. Rassurez-vous, je me contenterai, en tout bien tout honneur, d’entendre la suite de vos aventures. Et tâchez d’être concis, je dois rejoindre mon mari à sa réception avant onze heures. Tenez, vous allez m’aider à ranger un peu les verres et les bouteilles en me racontant tout cela.
-          Bien mais c’est une histoire à la fois très simple et très compliquée…, commencé-je.
-          J’ai bien dit soyez bref. Alors il ne faut pas me prendre pour une conne, cher monsieur. Vous avez disparu en laissant vos hommes sur le chantier et il y a une chose dont je suis à peu près certaine, c’est que vous êtes amoureux. Vous ne le savez peut-être pas : moi je le vois, vous n’êtes plus le même que celui que j’ai fait sortir de prison il y a six mois. Alors, je vous écoute et ne traînez pas, j’ai un train à prendre comme l’on dit ! Et supprimez l’adverbe « mais » de votre vocabulaire…
-          Bien, toutefois et néanmoins vous avez certainement raison. Je résume : après être sorti d’ici un certain petit matin, je suis revenu sagement chez moi où j’ai découvert que j’avais été cambriolé. Bien sûr, je ne tenais pas à faire de pub et je suis parti à la recherche de mes cambrioleurs…
-          Car ils étaient plusieurs ?
-          Oui, mais c’est le cerveau qui m’intéressait, si je peux dire. Donc, après quelques péripéties, j’ai retrouvé mon bien.
-          Ah ! Non ! C’est un peu court, jeune homme !
-          Oui, je sais, Madame ! En bref, je me suis retrouvé enfermé dans une cave à Toulouse, je me suis échappé, j’ai retrouvé la trace de mes monte-en-l’air, de Clermont-Ferrand à Périgueux en repassant par Toulouse. Ce fut dur mais j’y arrivai…
-          Et la femme dans tout cela ? Car il y en a une, certainement.
-          Plus d’une, deux ou trois ou quatre…
-          Passons. Et vous avez récupéré votre bien : c’était quoi, ce bien, pour que vous n’ayez pas voulu porter plainte ?
-          Primo, je n’allais pas déposer une plainte à la gendarmerie, c’est bon, j’ai déjà donné. Ensuite, le plus efficace est bien de courir plus vite que les voleurs. Bon, disons que j’avais un petit magot planqué sous mon matelas.
-          Du black, quoi. Il y en a qui ont un compte en Suisse et d’autres qui planquent leur fric sous leur matelas.
-          C’est une question d’échelle, mon magot était modeste mais j’y tenais. Et j’ai bien fait puisque je l’ai récupéré. Ce qui intéressait vraiment mon cerveau, ce n’était pas mon petit magot, il a fait cela en passant. Il visait plus haut au détriment de quelque connaissance à moi et j’ai réussi à déjouer ses manigances…
-          On se croirait dans les aventures de Tintin. Bon, je comprends que vous n’entrerez pas dans les détails. Mais, allez allez, je veux savoir, pour la femme, celle qui compte, pas les deux ou trois autres…
-          Cherchez la femme, dit l’adage. Eh bien je reconnais que cette histoire s’est terminée bizarrement. Je disais donc que je me suis fait boucler dans une cave toulousaine, un vrai cul-de-basse-fosse, un trou à rats. Mais vraiment boucler. J’ai eu du mal à forcer la porte. Je me suis retrouvé dans les rues de la Daurade à dix heures du soir, crade et affamé. J’ai fort heureusement trouvé un bistro-restau, le genre boui-boui où je ne craignais pas de me faire refouler. Le truc qui marche à fond sur le plat du jour à midi et mollo le soir avec quelques habitués. C’est là que je me suis fait, pour ainsi dire, draguer par la nièce du patron.
-          Et monsieur est tombé raide de la bistrotière ?

(à suivre...)

[1] Voir : « Le magot de Fortunio ».

dimanche 13 juillet 2014

Chronique du temps exigu (114)

Tiens, tiens, tiens… et si j’avais la flemme en ce week-end patriotique ? Alors voici un poème de Louis Aragon :
Je chante pour passer le temps
Petit qu’il me reste de vivre
Comme on dessine sur le givre
Comme on se fait le cœur content
A lancer cailloux sur l’étang
Je chante pour passer le temps

J’ai vécu le jour des merveilles
Vous et moi souvenez-vous-en
Et j’ai franchi le mur des ans
Des miracles plein les oreilles
Notre univers n’est plus pareil
J’ai vécu le jour des merveilles

Allons que ces doigts se dénouent
Comme le front d’avec la gloire
Nos yeux furent premiers à voir
Les nuages plus bas que nous
Et l’alouette à nos genoux

Allons que ces doigts se dénouent (…)

jeudi 10 juillet 2014

Le cabot de Fortunio (1)

« Don Quichotte avait raison. Sa position est la seule défendable. Toute autorité imposée par la force est à combattre. Mais la force, la violence, ne sont pas toujours du côté où l'on croit les voir. » Henri Laborit, Eloge de la fuite.

Il y a des jours où on ferait mieux de rester au lit. Des jours où la poisse vous tombe dessus sans crier gare. Comme qui dirait : « si j’aurais su, j’aurais pas v’nu ! »
Avant de vous parler du jour en question, il faut que je vous raconte ce qui s’est passé la veille puisque ce jour-là, c’était le lendemain de la veille. Aujourd’hui, on est vendredi donc hier, comme qui pourrait dire, on était jeudi.
Madame Debassac, Juliette pour les intimes, avait offert l’apéro à La Bertoude pour fêter avec les artisans et les ouvriers la fin du chantier de rénovation de son petit château. Deuziaud, l’architecte, avait été invité aussi mais il s’est éclipsé très vite. Il y avait donc l’équipe des « Maisons de Fortunio », à savoir Charles et Riton, l’apprenti Akim et moi-même. Ensuite, Golo le charpentier avec un de ses gars, l’électricien dit « courant d’air », Dédé « Caruso » le plombart, avec son nouvel apprenti et enfin, mais non des moindres, Récanier le menuisier. Plus deux couples d’amis des Debassac, plutôt sympas et venus non seulement pour voir le travail réalisé mais aussi pour prendre contact avec les entreprises.
Récanier était dans le collimateur de mes gars : il avait trop parlé sur le chantier devant mes gars et Dédé. Il leur avait sorti à deux ou trois reprises : « la mère Debassac, je me la ferai, vous verrez, avant la fin du chantier. Elle est chaude, celle-là, vous verrez, oui vous verrez… ». Bon, évidemment, on avait rien vu et il lui restait bien peu de temps pour tenter d’arriver à ses fins. La soirée avait commencé avec tout ce beau monde. Monsieur Debassac, chirurgien et politique, était passé en coup de vent, juste manière de serrer les paluches comme à son habitude. Il était reparti car il avait un raout à Bordeaux et un avion à prendre le lendemain à l’aurore. Apéro sympathique mais aussi ambiance studieuse car les amis de Madame étaient sur place pour, entre les petits fours et les godets, prendre date en vue de travaux dans leurs propriétés.
Vers neuf heures, Madame a fait comprendre à l’ensemble de la troupe que les festivités étaient terminées et que nous étions autorisés à reprendre nos véhicules. Récanier a bien tenté de s’incruster mais Madame, avec un instinct sûr et une autorité sans appel, l’a poussé vers la porte d’entrée devenue pour l’occasion porte de sortie.
-          Monsieur Récanier, il faut que vous dégagiez votre camion, il gêne, vous voyez bien. Mais allez, je vous fais la bise aujourd’hui. Sans rancune, Monsieur Récanier ?
-          Méé, il n’y a pas de rancune, répond celui-ci en passant au rouge soviétique.
-          Alors c’est parfait, déclare-t-elle en lui claquant deux bises. Allez, bon retour, Monsieur Récanier !
Le Monsieur en question flageole jusqu’à son camion sous les ricanements muets de ses collègues. Madame m’interpelle :

-          Monsieur Forelle, juste deux minutes avant que vous ne partiez. Je voudrais que vous me donniez un renseignement.
(à suivre...)

dimanche 6 juillet 2014

Chronique du temps exigu (113)


En France, la démocratie directe est en marche : avec six-cent dix-huit mille trois-cent quatre-vingt-quatre élus (environ), on pourrait se dire qu’il y a environ un habitant sur cent qui représente les quatre-vingt-dix-neuf autres. Cela est, bien sûr, une vue de l’esprit car certains d’entre eux cumulent plusieurs fonctions, surtout si elles sont indemnisées. Et c’est aussi une vision angélique car il peut arriver qu’un de vos représentants vous passe sous le nez sans même penser à vous saluer (sauf pendant les deux ou trois mois qui précèdent les élections…). Mais n’en faisons pas une généralité.
Il y a deux-mille ans, il a été dit qu’il y aura beaucoup d’appelés et peu d’élus. On n’arrête pas le progrès car de nos jours il y a beaucoup d’élus et certainement bien moins d’appelés. De là à prétendre que n’importe qui peut être élu, je ne m’y risquerai pas, je serais mal placé pour dire une telle chose. Mais gageons que l’avenir sera à faire partie des appelés.
Néanmoins, il ne suffit pas d’avoir des dispositions pour être appelé, encore faut-il que quelqu’un appelle. Ils y a des électeurs qui élisent des élus, y aurait-il des appeleurs qui appelleraient des appelés ?
De plus, nous avons vu toutes les faiblesses de nos élus. Nous les avons vues ou nous les subodorons. En effet, un grand nombre d’entre eux – suivez mon regard… - fonctionne avec une remarquable parcimonie de moyens affectifs et intellectuels, cette sobriété de moyens permet le fonctionnement des institutions sans surcoût neuronal et sans renouvellement synaptique inutile. Ce fonctionnement, économiquement intéressant peut-être, manque toutefois de créativité et d’originalité. Alors que de simples appelés pourraient faire preuve d’une imagination fertile, d’un amour immodéré du beau et d’une intelligence pénétrante sans compter que si on ne les charge de rien ils seront d’une probité sans faille.

On voit par là que si on trouve des élus à la pelle, l’appel se fait sans effets de manches.