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jeudi 30 juin 2016

René-la-Science (4)



— Surtout pas, laisse tomber, mais merci quand même.
J’avais réussi à lui redonner une figure acceptable en l’essuyant avec un chiffon humide.
— Vous voulez vos vêtements ? Lui demandai-je.
— Oui, je commencerais presque à avoir froid, et puis ce n’est pas une tenue…
— Je vais vous aider à vous relever, vous avez dû tomber brutalement par terre.
— Tu parles, Charles, ce con m’a carrément assommé.
— Ce n’est pas prudent non plus de cocufier un malabar, avançai-je insidieusement.
— Oh toi, tu veux tout savoir sans rien payer…
— Attends, attends, d’accord pour tout savoir, mais j’ai un peu payé d’avance. J’avais l’autorisation de dormir ici cette nuit. Je m’endors et je suis réveillé par vos soupirs quelque peu bruyants. Je vais pour me rendormir et vous me jouez la grande scène du vaudeville. Et pour finir, je joue les infirmières…
— D’accord, je vais tout te raconter, je finis de m’habiller, j’ai des bougies dans ma bagnole, du pinard et du saucisson. On va bien trouver des godets, une table et des chaises dans cette turne.
— Je vois que monsieur est un amant, que dis-je un Roméo, organisé. Le petit souper aux chandelles, picrate et sauciflard ! Bonjour le romantisme !
Pour le coup, je fis rigoler le Roméo qui se releva en gémissant. Il partit chercher le ravitaillement dans sa voiture et revint. Nous nous installâmes autour de la table de la cuisine.
— D’abord, je me présente, mon prénom c’est Michel.
— Appelle-moi Fortunio, lui répondis-je.
— C’est ton nom ?
— Mais non, c’est un petit surnom que m’a donné le copain que je suis venu voir ici. C’est lui qui connaît le propriétaire de la maison. Et toi, tu avais son autorisation pour faire de sa baraque un baisodrome ?
— Non, bien sûr, mais il y avait urgence, je connais la maison et Valin, le propriétaire. Je sais qu’il y héberge de temps en temps de la famille, l’été. Mais il n’y avait pas de voiture, je ne pouvais pas savoir. Bon, mais inutile de lui en parler.
— Moi je veux bien me taire, mais tu nettoies votre bordel sinon je cause…
— D’accord, tiens bois un coup, dit Michel en remplissant au cubi deux verres Duralex qu’il avait trouvé dans un placard.
— A ta santé, à ton nez, à tes femmes, tes chevaux et à ceux…
— A notre santé tout court, coupa-t-il. J’ai pas de chevaux.
(à suivre...)

dimanche 26 juin 2016

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (40)





Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour.  « Vous n’en avez pas marre de la crise ? »
J’ai eu la surprise de recevoir un courriel ainsi intitulé. Cela n’est-il pas intelligent de poser une telle question ? Je vous le demande car c’est bien le premier qui s’adresse ainsi à moi.
Rappelez-vous : j’en ai marre, marabout, bout d’ficelle, selle de ch’val, ch’val de course, course à pied et y’a qu’un ch’veu sur la tête à Mathieu… Ces comptines remontent à notre enfance et il y a bien toujours quelque chose dont nous pouvons avoir marre. Il y a le temps, une fois trop chaud, une fois trop froid, une autre fois trop tiède. La pluie, le soleil, la grêle. Et les impôts, les tracasseries administratives, la lenteur des rentrées d’argent, les factures qui arrivent trop vite. Et à cela s’ajoutent les embarras de la circulation, les imbéciles qui ont eu leur permis dans un paquet de lessive, les péages d’autoroute, les hirondelles, les pervenches, les prunes qui se transforment en redevances. Il y a aussi les tracteurs, les piétons, les cyclistes, les nids de poules, les déviations et les circulations alternées. N’oublions pas le marketing téléphonique, les bonimenteurs, les élus menteurs, les rages de dent, les déjections canines sur les trottoirs et les olibrii (un olibrius, des olibrii, un abribus des abribi…) en tous genres.
Il y a donc tant et plus de choses dont nous pouvons avoir marre et parmi celles-ci citons les gens qui nous demandent si nous avons marre et surtout ceux qui nous parlent de la crise. En effet, quel meilleur moyen pour ajouter de la crise à la crise que d’en parler et d’en reparler ? Donc, si la crise n’existait pas au départ, elle finira par exister par la grâce des commentateurs qui en parlent sans la connaître, la commentent sans savoir ce qu’elle est et pontifient en étalant leur ignorance de ce que pourrait être une vraie crise.
Mais il y a aussi et surtout ce dont nous n’avons nullement marre et dont nous pensons fermement que nous n’en aurons jamais marre : les fragiles et brumeux levers de soleil, les forets profondes, les rivières indociles, les campanules légères, les boissons fraîches et capiteuses, les salades douces et craquantes, les grasses noix de cajou et les sèches amandes… j’en passe mais des meilleures : l’amour, la tendresse et l’amitié, l’humour, le plaisir, les souvenirs heureux et la douce espérance, la beauté, la bonté et l’intelligence de la vie.
Le jour où la crise viendra, nul ne l’aura vue arriver car quand on veut assécher le marais, on ne prévient pas les grenouilles.
Plutôt que d’en avoir marre, il vaut mieux jeter un pavé dans la mare.