En vedette !

jeudi 30 avril 2015

Le cabot de Fortunio (43)

Des phares percent le brouillard de l’autre côté du vallon. Le bruit est poussif et je suppose qu’il s’agit d’un camion. Les phares apparaissent maintenant plus nettement et le véhicule commence à descendre vers la ferme par la petite route goudronnée. Il entre dans une nappe de brume, ses phares transpercent à peine cette vapeur. Au bruit, je comprends qu’il ralentit, il doit être devant la maison. Un grincement de freins, on entend un coup de klaxon discret. Une lueur apparaît aussitôt, depuis l’habitation. Quelques cris, le camion embraye et repart. Il monte dans notre direction. Raymond me fait signe de ne pas bouger. Nous attendons à l’abri du fourgon. En se haussant, on arrive à voir au travers des fenêtres de la cabine sans être vu. Le camion, car maintenant c’est sûr que c’en est un, émerge du brouillard, il tourne devant le hangar où nous étions il y a peu, manœuvre et se met à cul vers le hangar. Le moteur stoppe, un puissant phare arrière éclaire l’entrée du bâtiment et deux gars en sortent. Ils ouvrent l’arrière, le camion est équipé d’un hayon. A grand bruit, ils font descendre des cages vides qu’ils entassent sur les côtés. Deux gars arrivés à pied de la maison viennent les aider. Une fois qu’ils ont sorti une vingtaine de cages, ils se mettent à charger les caisses avec les chiens. On entend quelques jappements vite couverts par le bruit de ferraille des cages. Ils les chargent puis referment bruyamment l’arrière et remontent le hayon. On entend parler sans pouvoir discerner ce qui se dit. Ils sont encore à l’arrière du camion, Raymond s’avance vers le camion, prend une photo puis revient vivement. Juste à temps car les gars remontent dans leur véhicule et démarrent. Les deux autres retournent vers la maison. Le camion tourne, manœuvre un peu, Livron en profite pour faire encore une photo avant de se remettre en planque puis tout redevient calme. Le jour commence à se lever  et d’un commun accord nous allons vers le hangar. Ce sont bien d’autres cages qui ont été déposées, Raymond prend encore des photos et je remarque dans un coin le cadavre d’un clebs. Je fais signe à mon photographe qui agit aussitôt. Nous repartons vers le bois, tout semble calme lorsqu’un jars déboule d’on ne sait où en cacardant, les ailes écartées et tendant le cou en direction de Raymond qui accélère. Mais rien à faire, l’autre le chope au fond du froc. Je me marre intérieurement tout en saisissant un vieux balai en paille de sorgho qui traîne par-là et j’en fustige le volatile, assez pour qu’il se taise et lâche la fesse gendarmeuse. Nous fonçons vers le bois. En me retournant, je vois que rien ne bouge du côté de la ferme, seul le jars regarde encore dans notre direction.
-          Ben dis donc, il t’aurait bouffé, dis-je en arrivant dans le bois.
-          Chut ! Merci quand même mais taisons-nous, dit Raymond en zoomant son appareil vers la ferme.
Il prend encore quelques photos avant de me faire signe de revenir à la Clio. Il note un truc sur un bout de papier, démarre, sort du bois et reprend la route.
-          Pas la peine de s’attarder, suffirait qu’un couillon passe par-là…
-          Un couillon lève-tôt, ricané-je.
-          Je sais mais on en sait déjà beaucoup sur ce qui se passe là-dedans. Tu as entendu parler de cette série de disparition de chiens sur la région ?
-          Non, pas particulièrement mais je lis très peu les journaux.
-          Oh mais les journaux en ont très peu parlé. Et pour cause car on préfère ne pas ébruiter. Si peu que tu leur en dises, ils t’en font toute une tartine et ça affole la population. Je dirais qu’on nous avait demandé d’ouvrir l’œil, sans plus. Mais ce coup-ci, on dirait bien qu’on a affaire à une bande organisée…

-          On cherche pas à rattraper le camion ?
(à suivre...)

dimanche 26 avril 2015

Chronique du temps exigu (153)



« Si c’est pour mal voter, alors vous pouvez rester chez-vous ! » Ainsi parlait Sara Toussetra, inépuisable commentatrice de l’actualité et aphoriste sans scrupule.
Et en effet, lorsqu’on entend nombre de commentateurs médiatiques, qu’ils soient des milieux autorisés ou non, on comprend que le choix est simple : il faut voter, certes, mais bien voter.
Qu’est-ce donc que bien voter ? Prenons un exemple : le référendum sur le traité constitutionnel européen. Le Président de la République, à l’époque, avait souhaité prendre officiellement l’avis des électeurs en posant une question à laquelle on ne pouvait répondre que par oui ou par non. Un choix était donc possible. Possible, dirions-nous, mais non souhaitable de l’avis des commentateurs compétents et autorisés pour qui le oui se devait d’aller de soi. Cela n’est-il pas surprenant d’avoir le choix entre une bonne et une mauvaise réponse ?[1]
Il ne manque pas de sociologues ou de philosophes pour nous faire comprendre les ressorts du vote extrémiste, ce faisant, ils semblent chercher à excuser les pauvres idiots qui votent mal, non pas de leur faute, mais simplement parce que c’est la faute à la société (concept si vague qu’il en devient gyrovague). Pour citer Bernard Stiegler : «Les gens qui perdent le sentiment d’exister votent Front national ». Allons bon, s’ils perdent ce sentiment, qu’ils se pincent, voyons ! Et je crois bien qu’ils n’en demandent pas tant, ces gens-là car, comme bien d’autres, ils votent de-ci et de-là, plus facilement encore qu’ils achèteraient un paquet de lessive.
La sottise transcende les partis politiques et, réciproquement, les partis transcendent la stupidité, la preuve : bientôt les idiots demanderont la parité idiots / non idiots dans les élections sans avoir pensé un seul instant que ce sont eux les plus nombreux. Quand on voit le nombre de sots dans la vie civile, on est amené à s’étonner de n’en pas voir plus dans la vie politique. Le consommateur abruti et aliéné amène à établir une tyrannie démagogique dont le plus grand nombre se satisfait : ils consomment de la politique comme des hamburgers puis ils s’étonnent de l’odeur répugnante de leurs effluents.
On voit par-là que le scepticisme n’est pas de mise là où il n’est pas possible de douter.


[1] Il faut tout de même signaler que les commentateurs compétents et autorisés proposaient rarement de lire le traité soi-même puisqu'il fallait, à l’époque, des heures de téléchargement pour accéder au document qui, en Lisbonne simplifié, fait encore près de 400 pages. Du reste, moult experts ne l’avaient pas lu non plus, ce qui ne les empêchait pas d’en parler…

jeudi 23 avril 2015

Le cabot de Fortunio (42)

-          Je sais, c’est un peu plus fort que moi et puis je ne suis pas seul sur le coup : t’es là, toi !
-          Non, mais je veux dire, si tu dégottes un petit trafic de bagnoles c’est pas ce qui va te faire passer capitaine de gendarmerie…
-          Tu as raison mais si je pouvais mettre ça dans la vue à Padhovak, mon chef, ça me plairait assez. Faut pas croire mais ce con, il me fait chier. Je demande depuis un bout de temps à monter en grade et il ne s’y oppose pas mais si je change de brigade. Comme je veux rester à Marmande, il bloque mon avancement. Et il est certain que si je fais un peu parler de moi, il devra faire quelque chose.
-          Arriviste quand même, le Livron, dis-je avec sarcasme.
-          Boff, appelle-ça comme tu veux, j’en ai rien à braire. Bon, allez on approche, je vais essayer de trouver le petit bois. Ah, voilà la petite route goudronnée certainement, voilà le panneau Bordevielle. Je continue, ça fait un sacré tour pour contourner le bois.
-          Essaye de ne pas nous faire marcher sur des kilomètres, tant que possible…
-          Je ne garantis rien mais ça devrait aller.
Nous arrivons passons en effet à côté d’un petit bois et, après au moins 500 mètres, il y a un chemin qui y pénètre. Raymond ralentit et entre dans le bois. Après cinquante mètres de cahots, nous trouvons une clairière. Il gare la voiture.
-          Terminus, on descend ! C’est parfait, la voiture n’est pas visible de la route. Tins, voilà une petite lampe de poche mais il faut essayer de ne pas trop s’en servir et surtout d’éclairer le plus possible vers le bas.
-          Bien chef, j’ai glissé, chef !
-          Déconne pas ! Allez, on y va.
Nous continuons le chemin à travers bois et, après quelques minutes, s’amorce une descente au moment de sortir du couvert. Nous avons une vue étonnante sur la ferme, assez loin encore en contrebas. De gros flocons de brumes montent de la vallée sans arriver à cacher totalement les bâtiments, à savoir une grosse maison, une grange et plusieurs petits hangars recouverts de tôle ondulée. Du matériel agricole, des tas de boules de foin et des véhicules de toutes sortes sont éparpillés tout autour de cet ensemble. Un léger rayon de lune sur le brouillard donne un aspect fantomatique aux lieux. Le hululement d’une chouette perce le silence. Nous arrivons près d’un petit hangar rempli d’un bric-à-brac incroyable : des ferrailles, des tonneaux et des planches de toutes sortes. Un peu plus loin un autre hangar nous réserve une surprise qui nous glace. Dans le rai de lumière de la lampe, il y a des cages métalliques et, dans ces cages, des chiens. Des chiens qui nous regardent, l’air hébété. Pas un seul qui aboie, pas un seul qui s’agite. A peine l’un ou l’autre qui remue légèrement la queue. Le regard est triste. Il y en a de toutes les couleurs, de toutes les tailles, des oreilles pointues, des qui tombent, des mâles, des femelles. Et tout cela dans une odeur âcre de crotte et d’urine. Torpeur, tristesse, ordure, nous sommes ébahis.
-          Eteins ta lampe, me souffle Raymond, il se passe quelque chose, faut se barrer.
Nous remontons le chemin. En effet nous entendons un bruit de moteur sans pouvoir identifier d’où il vient. Arrivés plus haut, nous nous mettons derrière un fourgon délabré pour observer.
(à suivre...) 

dimanche 19 avril 2015

Chronique du temps exigu (152)

Les élections sont derrière nous, sortons donc de l’obligation de réserve que nous nous étions imposée en période pré-électorale.
L’écologie est une provende intellectuelle pour la basse-cour politique de toutes espèces, qu’ils soient élus ou seulement candidats. De nos jours, tout le monde se dit prêt à protéger la planète, tout un chacun est plus écologiste que les autres même si personne n’est d’accord sur le sujet. Déjà les chasseurs se déclarent les premiers défenseurs de la nature, ensuite le premier syndicat agricole du pays prétend laver plus blanc que blanc, les fabricants d’électroménager, de bagnoles et autres babioles industrielles sont plus verts que les Verts. Les socialistes recyclent à tout va, la preuve ils récupèrent une ancienne candidate à la présidence pour en faire une ministre de l’écologie. La droite fait du tri sélectif sans arriver à éliminer les ordures et les extrêmes se douchent à l’eau claire. Si l’on en croit les programmes politiques, hier on rasait gratis et demain on sauvera la planète.
Evidemment, le mot écologie, victime de son succès et d’un glissement sémantique, jouit aujourd’hui d’une fâcheuse polysémie : d’étude des sujets vivants dans leur milieu et de leurs interactions avec ce système, ce mot est devenu l’appellation de ceux qui se disent les défenseurs de la nature, pour le meilleur et pour le pire. Il est donc accommodé à toutes les sauces. Ceux qui disent que l’écologie, c’est – cuicui – l’amour des petits oiseaux, devraient alors dire de l’économie que c’est le désir – blingbling - de donner de l’argent à plus pauvre que soi…
Et que dire des néologismes que nous vaut cette nouvelle idéologie ! On parle de « Grenelle de l’environnement », de RT2012, de durabilité soutenable (et inversement réciproquement). Les mieux nantis peuvent se donner bonne conscience en achetant et en utilisant de l’écologie estampillée, subventionnée et crédidimpotisée pendant que les moins favorisés sont montrés du doigt pour leurs attitudes et habitudes néfastes pour la Gaïa maternelle dont ils rongent le sein sans vergogne.

On voit par-là que le salut de la planète passera par l’éradication des pauvres.

jeudi 16 avril 2015

Le cabot de Fortunio (41)

Je lui raconte ce qui est arrivé à Eliane et, après la fin de mon récit, un long silence se fait.
-          Ecoute-moi, me dit Raymond, je peux peut-être t’aider…
-          Je te remercie mais qu’est-ce que tu pourrais faire pour moi dans cette affaire ?
-          Laisse-moi t’expliquer. Mais une chose avant tout : je te demande la plus absolue discrétion sur ce que je vais te dire. Ce n’est pas que ce soit un secret mais je préfère que tu gardes ce que je vais te dire pour toi.
-          Tu peux compter sur ma discrétion, je suis capable de tenir ma langue…
-          Alors voilà, je te raconte en bref : mon père travaillait aux RG, les renseignements généraux, il y avait un poste assez élevé. Il a pris sa pris sa retraite l’année dernière mais il a toujours ce que l’on appelle un carnet d’adresses bien rempli. Mon frère ainé est entré, lui aussi, dans le même service devenu depuis la DCRI. Je dirais que, par eux comme par bien d’autres relations, je peux avoir pas mal d’informations sensibles. Ce n’est pas de piston dont je veux parler mais de sources d’info… vraies, si tu vois ce que je veux dire…
-          Ah ! D’accord, mais qu’est-ce que tu fous toi dans la gendarmerie ?
-          Ça, ça serait un peu long à expliquer. Disons que je passe un peu pour l’idiot de la famille car j’ai de plus une sœur qui occupe un poste assez élevé dans l’administration, alors tu vois !
-          Bien bien bien… Alors tu crois que tu pourrais me procurer des tuyaux sur mon affaire ?
-          Dès que tu en sauras plus, je te propose de me contacter. D’ores et déjà, je vais essayer d’en savoir un peu plus. Pas aujourd’hui dimanche, bien sûr, mais à partir de demain matin. Je t’appellerai mais je ne te donnerai jamais d’info par téléphone…
-          Ça sera pas commode si je suis au Gondo, je sais pas trop comment on fera…
-          T’inquiète, de toute façon, tu n’y resteras pas six mois, là-bas, et tu n’es pas encore parti. Donc !
-          Donc donc donc, merci de penser à moi au cas zoù…
-          Cela dit, il y a un petit brouillard qui commence à monter, j’espère qu’on va arriver à trouver la ferme de nos gonziers…
-          Un peu de brouillard, un peu de lune, ça pourrait nous arranger…
-          A voir. Je table sur le fait que ce petit monde est plutôt du genre lève-tard et qu’on va pouvoir faire un petit tour d’inspection tranquillement.
-          Et tu cherches quoi, en fait ?
-          Faut pas chercher, faut trouver. Et cette histoire me paraît peu banale : la bagnole, passe encore, mais le chien abandonné dans la forêt, le vol –l’emprunt, disons – de la fourgonnette de Bretonet… Disons que c’est le genre de truc qui peut réserver des surprises. Pas de grosses surprises car on a pas affaire à un gros trafiquant mais faut voir, à mon avis. Disons que c’est le pifferlingue qui parle…
-          Le piffer…quoi ?
-          Le flair du flic qui lui dit où il faut aller sans chercher à tout prix…

-          J’ai compris, faut chercher, pas trouver ! Mais tu en attends quoi de cette affaire ? T’es là hors service, si tu trouves rien et que tu te fais voir par-dessus le marché, tu risques de passer pour un con, excuse-moi !
(à suivre...)

dimanche 12 avril 2015

Chronique du temps exigu (151)

En quittant son vaisseau, aux voiles fatiguées dans les mers, Ulysse revint riche d’espace et de temps (Ossip Mandelstam).
De retour à Ithaque, Ulysse a certainement ramené bien des motifs de satisfaction à Pénélope pour agrémenter son interminable tapisserie, il a rencontré la nymphe Calypso, la princesse Nausicaa, la magicienne Circé, il a affronté le chant des sirènes et le Cyclope. Grâce à son intelligence rusée, sa métis, il s’est sorti des situations les plus difficiles et les plus scabreuses. Il en a vu des choses et si ses voiles sont fatiguées sa ruse est toujours en éveil.
De nos jours, il faudrait bien être Ulysse pour arpenter nos routes, qu’elles soient vicinales, communales, départementales ou nationales car de mystérieux quoique subtils hiéroglyphes apparaissent au sol, auxquels le commun des mortels n’y entrave que pouic : des cercles, des carrés, des flèches, des cercles fléchés, des cercles yin et yang ou avec des croix, des ovales, des ankhs, j’en passe car les mots me manquent. Le plus étonnant est de pouvoir, parfois, admirer les hiératiques scribes fluogiletés qui pratiquent cette cabalistique routière : les avez-vous vus, l’air important, sanglés dans leurs gilets, la bombe BTP au bout des doigts ? Dans les meilleures occasions, ils sont surmontés d’un casque dit de chantier, de couleur rien moins que discrète. Ils vont souvent par deux, par trois, flanqués de chefs de toutes sortes. D’abord il y a le chef, le vrai, le seul, le pur mais il est rare qu’il participe à ce genre de réjouissances. Ensuite, la chefferie se décline suivant nombre de possibilités : il y a les sous-chefs, les chefs-adjoints et les cadres intermédiaires. On les remarque au fait qu’ils ont toujours un peu de recul sur le groupe afin de pouvoir garder le geste ample et la parole altière. Ensuite, il y a les entre-chefs qui sont à la chefferie ce que le jambon est au sandouiche. Puis les contre-chefs qui sont à la maîtrise ce que le contre-ténor est à la musique, une voix flûtée sous les nuages. Et tous ces cadors, l’air grave et l’œil vers le bitume, discourent entre eux jusqu’à ce que, soudain, celui qui est équipé de la bombe fluotante tende un bras impérieux et scriptural afin de délivrer son abscons message sur le goudron qui n’en peut mais.

Alors, pour nous qui ne sommes en rien des champollions et qui ne savons rien de ces savants idéogrammes, il ne nous reste plus qu’à mélancoliquement supputer sur ces mystérieux signifiants. Car ces inscriptions ne sont pas forcément suivies d’effets visibles, de travaux routiers ou de pose de mobilier urbain. En fait, tout se passe comme si des bureaux d’études venaient réaliser ces graffiti techniques afin d’annoncer des réalisations possibles, probables mais putatives. Cela fait plaisir aux élus, cela rassure et intrigue la population et surtout cela rassérène le commentateur qui voit par-là que l’argent public n’est pas dépensé en vain. 

jeudi 9 avril 2015

Le cabot de Fortunio (40)

Comme c’est samedi, c’est la matinée du chien et on part au club de Courtlieu. C’est fou comme ce clebs est doué, bien plus que moi certainement. Il apprend à toute vitesse. Par contre, j’ai un peu de mal avec les commentaires à son sujet : « Oh ! Un snotimbère ! Oh, et il est lofé, tu fais des concours avec ? » J’ai bien tenté de répondre malicieusement qu’il avait la queue trop longue pour un concours mais il y en a toujours l’un ou l’autre qui remet ça sur le tapis. Patience, me soufflé-je in petto.
A midi, c’est mon Livron qui me bigophone pour bien vérifier que je pense toujours à notre opération du petit matin, il viendra chez moi et on partira avec son véhicule. Je confirme brièvement puis, contrairement à mon habitude, je me mets à réfléchir.
Et plus je réfléchis, moins je vois les choses clairement. Donc, je prends une décision : préparer mon éventuel départ. Primo, envisager l’organisation de mes chantiers pour une durée non déterminée. Secundo, battre le rappel de mes caldés et de mes chaussettes, brosse à dents et chose et autre. Tertio, voir où en est mon passeport, depuis que je ne m’en suis servi. Et, comme de bien entendu, je commence par le tertio. Il me faut bien un quart d’heure pour le dénicher et il est encore en période de validité. De ce côté-là, c’est donc ok. Ensuite je me prépare un petit sac de voyage puis j’attrape le téléphone et j’appelle Charles, l’homme précieux qui m’a bien des fois déjà remplacé au pied levé. Je lui dis l’essentiel de ce qu’il y a à dire, on devrait quand même se voir lundi matin. Mon premier plan d’action étant dans les clous, je prends un atlas pour un peu situer le pays où je risque d’aller traîner mes guêtres. Ça me donne bien une vague idée mais assez vague. Comme il n’est pas trop tard, je vais faire un tour en ville, dans une librairie, et j’ai le bol de trouver non seulement une carte du Gondo mais aussi un guide style routard pas trop mal ficelé. Puis, après avoir flâné dans les rues, je décide de me payer un restau et pourquoi pas aller à Lamothe, à « La queue de poêle » chez Emma. Elle n’a pas son pareil pour préparer la caille au chou et, il y a quelques années, je lui ai appris que la caille est un petit gibier délicieux dont le nom se prête aimablement à bon nombre de contrepèteries. Emma est une jeune femme charmante mais désespérément fidèle à son mari. Elle m’a bien promis que si un jour elle décidait de le tromper, je serais le premier sur la liste d’attente mais je la soupçonne de dire la même chose aux autres couillons de mon acabit. Toujours est-il que la cuisine est bonne et ils ont un petit vin rouge de Cocumont qui accompagne judicieusement les plats.
 Après un excellent repas, je reviens à la case maison et me couche aussitôt.
*
C’est Livron qui me réveille en tournant dans la cour un quart d’heure avant l’heure fixée. Il est bien impatient ce gus. Je me lève donc et enfourne à la va-vite un petit déjeuner tristement accompagné d’une réchaufiote de café et je monte dans la Clio grise de Livron.
-          Parfait, cette couleur de bagnole, pour passer inaperçu, dis-je pour entamer une conversation.
-          En effet, opine-t-il. Ça va toi ?
-          Ah, Livron, il faut que je te raconte un truc… Excuse-moi de t’appeler Livron, Raymond.

-          Pas de problème. De quoi s’agit-il ?
(à suivre...)

dimanche 5 avril 2015

Chronique du temps exigu (150)

« On vit dans une société où la maîtrise de soi et le respect de l’autre ne sont plus forcément des valeurs partagées ». Voilà ce que disait un sous-haut-fonctionnaire dernièrement et des paroles aussi sensées ne m’ont pas échappé.
En effet, il parlait bien sûr des incivilités qui émaillent nos vies quotidiennes et je crois avoir bien pénétré sa pensée – sinon ses arrière-pensées - en comprenant qu’il parlait des incivilités  commises par ceux qui nous administrent, caïds petits ou grands qui considèrent les lieux qu’ils gèrent comme étant en dehors des territoires de la république et comme leur bien propre. Il est certain qu’un aussi éminent personnage ne peut s’intéresser aux petites incivilités et à la délinquance minable mais qu’il se préoccupe de la vraie délinquance, celle qui se croit au-dessus des lois, celle qui est protégée par le silence de ceux qui devraient en être les contempteurs, celle qui agit sous le couvert de l’honorabilité.
Qui ne partage plus avec la population un certain nombre de valeurs, qui prêche ces valeurs tout en les foulant aux pieds, qui exige pour soi-même un respect immérité ? Qui est incapable de maîtriser son ambition médiocre et qui est devenu inapte à respecter l’autre ? Si vous voulez en connaître la réponse, suivez mon regard… Evidemment, ces gens-là, comme l’arbre se cachant dans la forêt, profitent de l’honnêteté des autres et ils jouissent de l’impunité car ils se tiennent entre sournois par la barbichette : « si tu parles de moi, je te dénonce ». Et pourquoi donc partageraient-ils des valeurs alors qu’ils ne partagent rien d’autre ? Pendant ce temps-là, dormez bonnes gens, un sous-haut-fonctionnaire se lamente, les journaux lui font écho, le bon peuple opine du chef.
On voit par-là que l’on peut dire comme Ruy Blas :

Ce pays qui fut pourpre et n'est plus que haillon.
L'état s'est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !

jeudi 2 avril 2015

Le cabot de Fortunio (39)

-          Ah ! Fortunio, j’allais t’appeler mais je comprends ton impatience, j’ai été plus que laconique hier soir…
-          Oui, raconte-moi tout maintenant.
-          Voilà : hier vendredi en fin de matinée, quatre gus armés jusqu’aux dents ont débarqué à l’école du village où travaille Eliane. Ils se sont tout de suite emparés d’elle et ont réclamé José, l’infirmier. Quand ils ont su que José s’était absenté, ils ont commencé à embarquer Eliane dans leur Jeep. Un enseignant africain a voulu s’interposer et ils lui ont tiré dessus - le gars est actuellement entre la vie et la mort – avant de déguerpir avec Eliane. Je ne sais rien de plus, il n’y a pas encore eu de revendication. On a contacté l’ambassade qui a contacté les Affaires étrangères qui ont contacté le secrétaire général de l’Elysée qui a contacté le Président qui lui-même ne peut guère s’en remettre qu’au père éternel, enfin tu vois ce que je veux dire… Disons qu’ils ne sont pas très motivés, ils marchent sur des œufs car la région est pour le moins troublée, les rivalités politiques, économiques et religieuses sont nombreuses. De plus, notre organisation caritative est laïque et apolitique donc sans soutiens ou relais. Les politiques sont toujours prêts à se bouger pour faire plaisir à des groupes de pression, les lobbies, mais nous ne pesons rien dans la balance. Ou si peu…
-          Et il n’y a aucun relais sur place ?
-          Il y a bien un agent consulaire à cent-cinquante kilomètres de là et il a d’autres chats à fouetter. La police locale fait certainement ce qu’elle peut. Reste José, l’infirmier du centre de santé, et les responsables locaux. José est un français qui fait partie de notre organisation caritative et les autres, c’est des africains mais faut pas croire qu’ils sont nés de la dernière pluie. Je te dirais que j’ai plus confiance en eux que dans tout le reste.
-          Et alors ? questionné-je avec un à propos déconcertant.
-          Et alors ? Hé hé, on attend que Zorro arrive, bien sûr. Il faut que quelqu’un aille là-bas, quelqu’un d’extérieur pour rassembler toute l’info possible.
-          Donc quelqu’un de C.L. est prêt à partir ? Toi, je suppose…
-          Impossible, je dois rester ici au cas où il y aurait une revendication ou une demande de rançon. Et dans notre conseil d’administration, il n’y a personne qui ait les couilles d’y aller. Mais à mon avis, il n’y a qu’un gars assez motivé et courageux pour cette mission.
-          Ah ! Et qui ça ? demandé-je ingénument.
-          Toi, Fortunio, maçon sans peur sinon sans reproche, chevalier-servant de ma frangine, sorti des égouts de Toulouse[1] comme la vérité qui sort du puits. Tu ne peux pas refuser cela, on a besoin de toi…
-          Qui cela, on ?
-          L’association.
-          Je n’en fais même pas partie, rétorqué-je vertement.
-          Comment cela ? Avec tout le fric que tu as filé, tu es membre honoris causa, in partibus et ad aeternam de l’ONG Caridat Laicica. Et puis, pas de chichis, tu sais bien qu’Eliane est en danger. J’ai besoin de toi, elle a besoin de toi et tu vas tout de même pas nous laisser tomber…
-          Imaginons un instant que je me retrouve là-bas, en pleine cambrousse : je fais quoi ? Je ne sais rien de ce pays, je ne sais même pas quelle langue on y cause, je vais arriver comme un cheveu dans le tajine…
-          Ah bais tu vois, tu connais déjà la cuisine locale. Bon, sérieusement, faut que tu fasses quelque chose. On va te fournir un billet d’avion, des contacts sur place. Tu sais, là-bas, si tu parles français et un peu d’anglais, tu arriveras à te faire comprendre. Il faut que tu sois prêt à partir en début de semaine prochaine. Je m’occupe de la logistique, tu prendras le zinc à Toulouse, on se verra, je t’amènerai à l’aéroport. Allez, je dois raccrocher, réfléchis à tout ça, on se rappelle.
Il a raccroché, le bougre. Bien sûr, il le sait, je suis prêt à tout pour retrouver Eliane. Mais tout de même !
*
(à suivre...)




[1] Voir « Le magot de Fortunio ».