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dimanche 28 avril 2013



Chronique du temps exigu (52)
Aujourd’hui, un extrait d’un prochain bouquin : « Le temps de l’éternité ».
(…) Pijm repart. Le chemin descend, cela l’inquiète un peu, mais soit, il continue et tombe sur un imprévu : un autre chemin qui part sur la droite. Il décide de le prendre. Il descend encore et finit par arriver dans un vallon où le chemin part à nouveau sur la droite en remontant. Un nouvel éclair illumine toute la vallée et Pijm voit devant lui, au bord d’un profond fossé, un pan de mur en ruine.
 A côté du pan de mur, un petit homme lui fait face, un tout petit homme, pas un enfant, mais un très petit homme. Cinquante ou soixante centimètres de haut. Il porte un manteau sombre et un chapeau noir tout simple, juste un court cylindre avec un rebord large.
Pijm garde sa lampe braquée sur le petit homme, mais celui-ci ne semble ni gêné, ni ébloui.

-         Qui êtes-vous ? demande Pijm.
-         Je suis un occupant de ces lieux, mon nom ne te dirait rien, répond l’homoncule.
-         Excusez-moi, je ne veux pas vous déranger, je veux retourner à ma voiture.
-         Tu ne me déranges pas, reste ici, la pluie commence à tomber très fort.
-         Mais ici je vais me mouiller…
-         Suis-moi, dit le petit homme.

Il entre dans une petite église que Pijm aperçoit tout à coup, comme sortie du pan de mur.

-         Mais où est-ce qu’on est ? Demande Pijm.
-         Dans l’église de La Furetière, c’est ici que j’habite et on y est à l’abri de la pluie, répond le petit homme.

Dehors, il pleut bruyamment et l’orage gronde de plus belle. Pijm balaye de sa lampe l’intérieur de l’église. Elle est très simple, les murs sont crépis et chaulés, un autel dans le chœur, deux prie-Dieu, quelques chaises paillées. Le sol est fait de pierres calcaires un peu disjointes.

-         Mais cette église n’est pas sur la carte, objecte Pijm.
-         Bien sûr, puisqu’elle n’existe plus à ton époque, dit le petit homme.
-         Mais vous, alors, qui êtes vous ? Moi je suis Pijm, Pijm van Zwartkluut, je suis hollandais.
-         Disons que je m’appelle Tin Quiète, si cela te rassure.
-         Mais vous vivez ici ?
-         A ma manière, oui. Mais je ne suis pas comme toi. Je suis ce que les gens ici appellent un drac. Ou si tu préfères un lutin. Je suis ici, ou ailleurs. Il est très rare que des gens comme toi puissent me voir. Je me suis mis sur ton chemin pour éviter que tu te mettes en danger. On dit que les dracs sont des malfaisants ou des malicieux, mais c’est rarement vrai.
-         Mais qu’est-ce que vous faites ici ?
-         Je ne fais rien, je suis là, c’est tout. Je ne suis pas comme toi, je ne suis pas un humain, je n’ai pas besoin de m’occuper, de faire, de boire, de manger. Je suis présent là où je suis, c’est tout, répond Tin Quiète.
-         Mais alors tu es un esprit ?
-         Oui, on peut dire que je suis un pur esprit mais pour autant je suis là, je m’occupe si je veux, je fais, je bois, je mange ce que je veux, quand je veux. Et cette nuit, je veux m’occuper à t’aider.
-         Mais alors, tu sais ce que je viens de faire ? Dit Pijm.
-         Je peux savoir qui tu es, ce que tu viens de faire, n’oublie pas que je suis un drac…
-         Tu sais que je viens de voir des fantômes ? Dans la maison, là-haut ?
-         Ce que tu as vu en bas dans la maison, ce ne sont pas des fantômes, tu as juste vu une scène du passé se refléter devant toi. Quand tu es monté dans la tour, tu as vu des esprits, pas des fantômes.
-         Et pourquoi la scène s’est-elle arrêtée ?
-         Parce que tu as bougé et que tu n’étais plus en état de la voir, la scène ne s’est pas arrêtée.
-         Et cela s’est passé dans cette maison il y a longtemps ?
-         Oui, il y a plus d’un siècle, autour des années 1870, dit le drac.
-         Et tu étais déjà là ? Demande Pijm.
-         J’étais là et je n’étais pas là, je n’ai pas connu ces gens, mais je sais qui ils sont. Tu ne sais pas ce que c’est qu’un drac. Je remonte à la nuit des temps. Je n’ai que peu de mémoire, mais j’ai un accès direct à toute l’information de l’univers. Il suffit que je pense à ces gens que tu as vus et je peux savoir qui ils sont, ce qu’ils ont vécu, où ils sont allés. Tout cela est trop difficile à comprendre pour toi. Est-ce que tu peux me dire en quelle langue je te parle ?
-         En néerlandais, tu parles la même langue que moi, répond Pijm.
-         Eh bien, si un français écoutait ce que je dis en ce moment, il dirait que je parle en français, et un russe dirait que je parle le russe. N’essaye pas de tout comprendre, tu n’es qu’un homme… Mais, assieds-toi, la pluie tombe encore trop fort pour que tu repartes. Je vais te raconter l’histoire de ces gens que tu as vus.

Effectivement, dehors la pluie tombe encore plus fort et Pijm entend l’eau qui coule dans le fossé. L’orage est toujours violent. Pijm s’assied sur une des chaises paillées, un peu surpris de se trouver sur une vraie chaise. (…)

dimanche 21 avril 2013



 Chronique du temps exigu (67)
De nos jours, tout se perd, tout se délocalise et les repères disparaissent. Il n’y a même plus de signes extérieurs de richesse. Maintenant n’importe qui peut arborer une opulence de contrefaçon et un apparat de deuxième démarque. Les gens vraiment fortunés tentent de passer pour presqu’impécunieux, les ministres étalent leur indigence au grand jour, les PDG rouleront bientôt en Solex® et les indigents arboreront des Rolex®.
Comment, dans ces conditions, reconnaître un riche ? Il ne reste plus qu’un seul signe extérieur et bien visible de richesse mais celui-ci est quasiment infaillible : le riche se plaint. Il se plaint un peu plus lorsque le gouvernement est malencontreusement de type social-démocrate et un peu moins lorsque les gouvernants ont un penchant avoué pour le capitalisme libéral. Mais la plainte est un privilège des nantis et les larmes de crocodile font pousser le capital plus surement  que les intérêts composés. Le riche préfère de loin se faire filouter par son banquier plutôt que de payer des impôts pour la collectivité.
Dans ce tableau édifiant, il y a bien un personnage qui mérite d’être pris en considération, un certain monsieur Tapie. En effet, celui-ci est riche par nécessité et pauvre par vocation, un peu comme un homme qui, sur le tard, serait devenu simple prêtre en sentant l’appel de la spiritualité et aurait ensuite, par dévouement, embrassé une carrière épiscopale sinon cardinalice. Apôtre des pauvres et hiérophante des mystères de la finance, cet homme est le levain qui fait monter la pâte de la réconciliation entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien.
Regardez deux hommes assis sur un banc : l’un est riche et l’autre est pauvre. Comment les reconnaître ? Regardez mieux : il y a en a un dont on voit bien qu’il se repose utilement et on voit tout aussi clairement que l’autre est la paresse même. Le premier prend un repos intelligent pendant que l’autre se laisse aller à une inactivité sans but valable. Le riche se détend et fait relâche pendant que son argent travaille ; même le loisir accroit son trésor et la fortune lui vient en dormant. Tandis que le pauvre, perdu dans son oisiveté, gaspille son temps et ne gagne donc pas son pain, comme il se devrait, à la sueur de son front.
On voit par là que si l’oisiveté est la mère de tous les vices, le repos n’est pas sans intérêts.

dimanche 14 avril 2013



Chronique du temps exigu (66)
(...)Au bout d’une heure, je demandai à l’un d’eux la direction de la Calle Jada. Mon informateur me demanda tout d’abord si j’étais bien sûr de vouloir me rendre dans cette rue. Après que j’eusse confirmé mon intention, il m’indiqua le chemin en concluant : « ne vous y attardez pas, señor, revenez vite… ». Je n’y fis guère attention et pris la direction indiquée. A mesure que j’avançais, le quartier devenait plus calme et les couleurs plus ternes. J’arrivai dans une rue aux petits immeubles gris et uniformes, ensuite vint une sorte de petit lotissement aux jardins exigus et sans végétation, clôturés, fermés de barrières automatiques. Je croisai un passant coiffé d’un chapeau sombre et qui avançait les yeux baissés. Lorsque je le saluai, il releva un peu la tête sans répondre et je crus voir dans ses yeux une tristesse infinie. Je n’osai l’interpeller plus et continuai mon chemin, sur des trottoirs immaculés et lisses, le ciel était devenu gris et je compris brusquement que j’arrivais dans un lieu où il n’y a ni beau ni mauvais temps, où tout est écrêté,  plat et morose. Je croisai un autre homme qui, appuyé sur sa canne et le regard fixe, me sembla terrassé par une constipation chronique et je passai une fois encore mon chemin. Enfin j’arrivai Calle Jada et trouvai la maison d’Ernesto Che Cussotile. Je sonnai à la barrière et un homme entre deux âges vêtu d’un complet gris sortit de la maison et se dirigea vers moi. Comme il me regardait d’un regard éteint, sans rien dire, je me présentai : « Bonjour, je suis PJRF, votre chroniqueur exigu… ». D’un geste, il me fit signe d’entrer et il me conduisit dans sa maison. Dès l’entrée, je fus saisi d’une torpeur triste en voyant le mobilier, certes coûteux mais impersonnel, propre mais sans lustre. Le salon où je pénétrai était à l’avenant, cossu et maussade, une télévision passait une série mélodramatique et désenchantée. Je m’assis sur le bord d’un fauteuil et mon hôte s’installa en face. Je craignais qu’il reste muet mais il murmura : « J’ai fait un gros effort pour oser vous écrire, j’espère que vous ne m’en voulez pas… ». Je lui dis que je ne pouvais lui en vouloir mais que j’aimerais qu’il me parle un peu de lui. Ce qu’il tenta de faire. Il était né dans cette ville, dans ce quartier et ses parents, de modestes petits commerçants, lui donnèrent un prénom qui leur parut original en espérant que cela lui permettrait de se tailler une réputation. Pas de chance, un nommé Guevara avait déjà déposé ce nom, le fils Cussotile ne put ainsi sortir de l’ombre et cette malédiction le poursuivit durant toute sa vie. Il ne sortit jamais de ce quartier inanimé, il fit une carrière moyenne, épousa une femme normale et ils eurent statistiquement 2,28 enfants ; une fille, un garçon et un basset artésien. Ils eurent quelques maladies plus ou moins bénignes dont ils guérirent tant bien que mal. Ils n’échouèrent jamais en rien, ne commirent jamais d’erreurs mais ne triomphèrent jamais non plus. Ils organisèrent des fêtes sans éclat, eurent des accidents sans gravité, n’intéressèrent jamais qui que ce soit et restèrent dans l’ombre jusqu’au jour où Ernesto Che m’écrivit. Mais maintenant, il était trop fatigué pour en dire plus, il s’en remettait à moi pour le faire sortir, une fois seulement, de l’anonymat statistique où il se trouve confiné. Je lui promis de faire ce que je pouvais pour le satisfaire et il voulut conclure notre entrevue en m’offrant un petit verre d’usquebac à notre dolente amitié. Ce breuvage se révéla fade et de peu de goût mais je le déclarai parfait, ce qui revigora quelque peu Ernesto Che. Puis, je le quittai pour reprendre goût à la vie dans les quartiers hauts où je croisai l’homme qui m’avait suggéré de revenir rapidement. « Muy, bien… » me déclara-t-il en faisant un large sourire. Je retraversai les quartiers hauts mais le cœur n’y était plus. Qu’est-il donc possible de faire pour Ernesto Che Cussotile ? Comme la vie est lente / Et comme l’espérance est violente… parlerais-je de lui dans mes prochaines chroniques ?
On voit par là que / Les jours s’en vont je demeure.

dimanche 7 avril 2013



Chronique du temps exigu (65)
Aujourd’hui, je vous livre tout d’abord un courrier qui m’a été envoyé, puis vous pourrez lire en deux épisodes la suite que j’ai donnée à cette missive.
« Cher PJRF, c’est avec une joie non feinte que je vois arriver votre feuilleton du jeudi et avec un plaisir non dissimulé que je consulte votre chronique dominicale.
Toutefois, je voudrais porter à votre attention une mienne constatation concernant vos géniales chroniques : en effet, vous vous gaussez tour à tour des riches, des sots, des agents du sévice public, des supporteurs de football et autres étrangers ; vous causez à l’envi du pape, des Roméos, d’hercule et des aréopages ; vous tancez à tour de bras tout ce qui grince, coince et tout ce qui dépasse ; mais vous ne parlez jamais, au grand jamais, de nous autres, les obscurs, les sans-grades, nous qui ne sommes ni beaux ni vilains, ni riches ni pauvres, ni sots ni esprits distingués, ni dieux ni maîtres et que sais-je encore ?
Pourriez-vous donc un jour pensez à nous, nous qui au bord du fleuve ne changeons jamais alors que l’eau du fleuve n’est jamais la même, nous pour qui les jours s’en vont et qui demeurons, les mal-aimés en quelque sorte. Nous, les médiocres, les sans-opinions, la cohorte  des invisibles…
Merci, merci, je sais que je peux compter sur vous, chroniqueur fidèle et exigu.
Ernesto Che Cussotile, de Caracapenata. »
Il y avait dans ce message une telle douleur, une telle détresse et un tel appel au secours que je me suis immédiatement senti interpellé. Après avoir été faire mes courses au supermarché et le plein de ma mobylette, je pris l’avion pour Gucheco. A l’aéroport, j’ai loué à une petite friponne une petite voiture nippone et je pris la route pour Caracapenata. Autant le dire tout de suite, les alentours de Gucheco sont semblables à ceux de nos aéroports, les mêmes zones industrielles et commerciales, les mêmes magasins de meubles et de voitures, les mêmes restaurants fast-food.  Je pris donc la route de Caracapenata, une morne voie à quatre bandes, giratoires ici et là, mornes aires autoroutières garnies de mornes touristes plurinationaux. C’est à vingt kilomètres du but que tout change. Plus de publicités au bord des fossés mais des prés avec des fleurs, des couleurs vives et renouvelées, des maisonnettes aguichantes et aussi la route qui devient folâtre, quelques nids de poule et quelques brebis errantes agrémentent le paysage. L’arrivée à Caracapenata est un régal de couleurs et de formes diverses, des enfants et des jeunes filles et le soleil éclairent le paysage de sourires éclatants et rieurs, de nuances bariolées et de parfums enivrants. Des poules bigarrées et des moutons ocrés flânent et émaillent le trottoir de fientes moulées et de petites billes d’un noir brillant, des lamas zains toisent les passants et des chevreaux capricieux bêlent en sautant. Du linge multicolore sèche devant les fenêtres, des charrettes chargées de fruits, de fleurs et de légumes circulent en cahotant. On s’interpelle, on se bouscule, toujours dans la bonne humeur et la convivialité. Les maisons sont anciennes et décrépies mais sentent la bonne cuisine et la joie de vivre. Les caniveaux ruissellent d’une eau douteuse qui rafraîchit l’atmosphère. Je m’assis à la terrasse d’un café où je dégustai une fraîche anisette en devisant avec des inconnus joyeux et débraillés.
(la suite dimanche prochain...)