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jeudi 30 septembre 2021

Dernier tableau (44)

 

 

*

 

Dimanche matin, il se réveille tard, la tête lourde et met du temps à sortir du brouillard. « Merci le Pacherenc… » se répète-t-il en se préparant un café. Il n’a pas le courage de descendre acheter du pain frais et se contente de croûtons pour son petit déjeuner. Il traîne longuement avant de faire sa toilette, allume son ordinateur, boit un autre café et finalement, il se décide à se laver et s’habiller. S’il veut avoir du pain, il faut quand même qu’il se secoue. Il descend, passe à la boulangerie et achète un journal dominical. Puis il se dirige vers le bout de la rue Équoignon jusqu’à un petit bistrot où il commande un café et s’installe à une table avec le journal. Il parcourt distraitement les pages principales puis les pages régionales lorsqu’il tombe sur un entrefilet qui attire son attention : « Ce dimanche aura lieu au 12 de la rue Camériau à Saint-Lambaire l’inauguration d’une plaque commémorative rappelant que cette maison fut la maison natale du peintre Artur Leyden (1915 – 1953). M. Le Blévec, maire de Saint-Lambaire dévoilera la plaque à 11 heures 30 en présence de M. Lepetiot, député, et de Mme Secondat, née Viquerosse, héritière d’Artur Leyden. Un vin d’honneur sera offert sur place à l’issue de la cérémonie. ».

Onze heures trente, se dit-il ! J’ai juste le temps de déposer mon pain et de m’y rendre à pied sans traîner…

Il n’a plus, d’un seul coup, la tête lourde et se dépêche de remonter chez lui, il enfile un manteau, met un chapeau et part en vitesse vers la ville intra muros.

 

*

 

Lorsqu’il arrive, il y a déjà du monde dans la rue Camériau, quelques tréteaux ont été installés avec des nappes en papier et deux personnes s’affairent à mettre en place des bouteilles, des gobelets et des petits biscuits. Sur la façade du numéro 12, un voile est accroché, masquant une plaque. Hervé ne reconnait personne, il reste un peu à l’écart et observe. Un officiel qu’il suppose être le maire est en grande discussion avec deux autres personnes, lorsqu’ils sont rejoints par une dame qu’il reconnaît, Madame Le Blévec. Il est heureux d’avoir pensé à mettre un chapeau, il préfère rester dans l’incognito.

Un autre personnage, grand, costard-cravate, arrive et est salué par les notables, il s’agit manifestement du député. Le maire s’agite, interpelle, puis voyant arriver une dame avec deux enfants, lève les bras :

 

– Madame Secondat, chère Antonia si vous permettez que je vous appelle ainsi, nous n’attendions que vous. Votre présence est un vrai bonheur, merci encore d’avoir eu la gentillesse de venir. Permettez que je vous présente Monsieur Lepetiot, notre député. Vous connaissez mon épouse, je pense ? Vous êtes venue avec vos enfants ? Que c’est bien, c’est vraiment bien de leur faire connaître le lieu où leur, leur… grand-oncle… arrière grand-oncle… a vécu...

– Bonjour Monsieur Le Blévec, bonjour madame, messieurs. Je suis la fille de la nièce de la mère d’Artur. Je suis donc sa petite cousine et mes enfants sont ses cousins à la mode de Bretagne, si je peux me permettre… Adeline, Victor, dites bonjour.

– Très bien, très bien, conclut le maire. Maintenant que vous êtes là, nous allons pouvoir commencer la cérémonie. Le temps est avec nous, il fait beau. Voudrez-vous dire quelque chose, Madame Secondat ?

– Non, je n’ai rien préparé, je dirai juste deux ou trois mots de remerciements après vous, si je peux.

– Je vous en prie. Monsieur Lepetiot prendra la parole en premier, puis je parlerai de votre petit cousin, Artur Leyden, et ensuite je vous demanderai de dévoiler vous-même la plaque. à moins qu’un de vos enfants…

– Adeline le fera. Tu le feras Dadilou ? demande Antonia.

– Je ne sais pas comment on fait, rougit la petite.

– Tu verras, c’est très simple, je t’aiderai, dit le maire. Allons, dit-il en claquant des mains, on y va !

– Mesdames, messieurs, chers Lambairiens, déclare le député en se dressant face à la petite foule autour de lui, je vous remercie d’être venus aujourd’hui pour assister à l’inauguration d’une plaque commémorant le fait que le grand peintre breton Artur Leyden est né et a vécu dans cette maison. Je vais laisser la parole à Monsieur Le Blévec, maire de votre ville, mais auparavant, je voudrais vous dire que j’ai particulièrement insisté pour qu’une rue de la communauté urbaine de Saint-Lambaire porte le nom d’Artur Leyden. La municipalité de Saint-Bélié, dont je suis aussi le maire, vient de prendre une délibération en ce sens. La rue principale du nouveau lotissement de Saint-Bélié s’appellera rue Artur Leyden, je suis fier de vous le confirmer. Il était temps que soit rendu cet hommage à notre grand concitoyen. à vous, monsieur le maire.

(à suivre...)

dimanche 26 septembre 2021

Contes et histoires de Pépé J II(2) bis

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Aujourd’hui, on nous demande - on exige, pourrait-on dire – que nous soyons tous vaccinés et en mesure de le prouver électroniquement. De quoi demain sera-t-il fait ? Nos petits mignons de macron nous obligeront-ils tous à bouffer les mêmes hamburgers sous prétexte de santé publique ? On peut le craindre !


Donc, tant qu’il en est encore temps, dégustons les bonnes nourritures de notre ruralité, laissant encore à ces êtres d’inculture leur malbouffe pour pourceaux néolibéraux.


Précisément, cet été, j’ai eu le loisir de lire dans un magazine mensuel une chronique sur les délices du shtetl. L’auteur y parle du savoir-faire culinaire d’un restaurant qui, à Paris, permet de déguster les perles de la gastronomie ashkénaze, ce qu’il appelle du grand art Mitteleuropa.


En effet, il décrit moult spécialités qui m’ont mis l’eau à la bouche et je me suis régalé de cet article jusqu’au moment où il décrit la pâte du strudel aux pommes : je bondis à la description qu’il en donna et surtout au fait qu’il déclarait avec autorité qu’aucun pâtissier français n’était capable d’étirer une telle pâte aussi fine que du papier. Moi, vous me connaissez, je bondis sur mon stylo et rédigeai à l’intention de ce crtique la missive suivante :

Monsieur Emmanuel Tresmontant,

Dans le numéro 92 du mensuel Causeur, vous publiez un article intitulé « Les délices du Shtetl » dont la lecture m’a mis l’eau à la bouche. Toutefois, vers la fin de l’article, je faillis avaler cette eau de travers en lisant votre commentaire sur le strudel aux pommes. En effet, peut-être avez-vous raison de dire qu’aucun pâtissier français ne sait faire une pâte telle que vous la décrivez mais je peux vous dire qu’il y a des cuisinières dans le Lot-et-Garonne qui savent faire et étirer une telle pâte pour réaliser ce qui, traditionnellement, s’appelle tourtière et qui est une pâtisserie aux pommes aromatisée d’eau-de-vie locale. Bien sûr, cela n’est pas aussi huppé qu’un strudel mais existe dans notre pays, loin des grands restaurants et de la gastronomie parisienne ou viennoise. Je ne peux que vous conseiller de vous bien chausser pour visiter les campagnes où subsistent encore un art de vivre et de bien manger simples et peut-être méconnus. Mon épouse qui pratique l’art de faire des tourtières me prie de joindre deux photographies à l’appui de mes dires. Avec mes cordiales salutations. Pierre Jooris


Or, si j’ai la plume alerte, je dispose aussi d’une bonne réserve de patience. En effet, il m’est souvent arrivé d’écrire à nos élus locaux ou départementaux sans recevoir nulle réponse. Et, quand ils me répondent, c’est pour noyer le poisson dans un galimatias de leur cru. Toutefois, ce monsieur, critique culinaire de son état, semble n’avoir aucune idée de la langue de boa politique puisqu’il me répondit en ces termes :


Cher Monsieur, merci pour votre sympathique message ! Avec plaisir je viendrai dans votre belle région déguster vos merveilles, j’ai d’ailleurs programmé un reportage sur les armagnacs à la rentrée…Merci encore pour votre fidélité et votre lecture attentive. Très cordialement. Emmanuel Tresmontant PS : en fait, j’avais il y a quelques années lancé un défi au Pâtissier de l’hôtel Meurice Cedric Grolet devenu une célébrité depuis : faire un strudel … j’ai pu alors constater qu’effectivement ce champion de la pâtisserie n’était pas capable de réaliser une pâte à strudel digne de ce nom.


On voit par-là qu’il ne faut pas avoir peur de fréquenter les petits chemins et de marcher dans la boue.

 

jeudi 23 septembre 2021

Dernier tableau (43)

 Ils partent donc à pied jusqu’au restaurant, Sara est d’une gaîté qui semble à Hervé assez surfaite et il comprend en partie la raison de son amusement en voyant l’enseigne du restaurant qui s’appelle simplement « Au Jardin des Muses ». Ils entrent et s’installent à une table agréablement placée près de la fenêtre donnant sur le jardin. Hervé veut rester sobre et commande une viande grillée avec une salade alors que Sara n’en finit pas de tergiverser, prenant une salade landaise suivie d’une bavette à l’échalote largement pourvue de frites. Hervé se contente d’un petit bout de fromage mais il voit que Sara attaque de larges morceaux de Cantal, de chèvre et autres Salers sur de bonnes tranches de pain. Il finit sur un sorbet au citron, Sara par un généreux Triomphe à la chantilly. Il avait commandé, pour arroser cela, un Médoc fort agréable mais comprend que le dessert nécessite un vin blanc, un Pacherenc, pour faire passer tout cela. Il se rend compte aussi qu’il fait à lui tout seul les frais de la conversation, Sara étant fort occupée par l’absorption des mets commandés. La deuxième bouteille mise à mal, il commande un café pour Sara qui semble repue et joyeuse.

 

– Venir à pied n’était rien, mais c’est le retour qui sera plus difficile, déclare-t-elle.

– Je vous soutiendrai si c’est nécessaire.

– J’espère ne jamais oublier le verger de vos muses, Hervé, dit-elle en pouffant.

– C’était un jardin, ne vous moquez pas de moi, j’ai confondu.

– Ah, si les « confondent » maintenant, dit-elle en sortant et en s’accrochant à son bras.

 

Hervé ne comprend pas les allusions et continue à parler de tout comme de rien. Le temps est beau et la lune éclaire généreusement les rues. Ils mettent plus de temps pour revenir qu’à l’aller. En passant devant une porte cochère, Sara se tourne vers lui et le regarde en souriant. Ils s’embrassent, se réfugiant dans l’ombre de la porte cochère.

 

– C’est comme si j’avais trente ans de moins, dit Sara. Merci le Pacherenc…

– Il y a trente ans, tu ne passais tout de même pas la nuit sous une porte cochère ? demande-t-il, pragmatique.

– Ah ! Vous les hommes, vous êtes toujours pressés de passer à l’action. Allons, reconduis-moi à la maison en tout bien tout honneur. Et pas trop d’effusions devant ma porte, j’ai une réputation à sauvegarder dans le quartier

 

Ils repartent en riant et, arrivée devant chez elle, Sara lui fait un baiser furtif sur la joue.

 

– Bon retour et merci pour le restau, dit-elle. On s’appelle lundi ou mardi…

– Bonne nuit, j’attendrai ton appel, répond-il.

– Bien, tu peux y compter. Bon retour.

 

La vie est étrange et les femmes sont bizarres, se dit-il en la voyant entrer chez elle. Il repart lentement et remonte le boulevard sans se presser. Il a passé une excellente soirée et il croyait pouvoir conclure alors que la belle l’a laissé sur le pas de la porte. Qu’importe, le temps est doux pour la saison et la marche à pied calme ses ardeurs.

 

*

              

Revenu chez lui, il hésite à se coucher. Il a un léger mal de tête et prend une aspirine. Puis il se met devant son tableau, son nouveau tableau, le regardant jusqu’à s’y perdre. Ce portrait en pied est presqu’uniquement en noir et blanc. Dans sa robe d’organdi, la jeune fille aurait l’air d’une future épousée si elle n’avait un sourire d’une infinie tristesse. Comme ces fiancées dont le promis est parti sans retour à la guerre. Et les deux mains croisées sur le bas du ventre qui semblent soutenir... Hervé sursaute, cela lui parait évident maintenant. Ce teint, cette attitude, ces mains qui paraissent vouloir soutenir le ventre, la jeune fille est enceinte, bien sûr. Était enceinte, rajoute-t-il en lui-même. Est-ce la jeune fille qui est morte noyée dans l’étang du Bussiau ? Et pourquoi Leyden a-t-il fait son portrait ?

Il se décide à aller dormir. Une fois couché, il a pourtant du mal à trouver le sommeil, il pense à Sara, il pense à ce qu’il appelle maintenant « le mystère Leyden ». Tout cela tourne et retourne dans sa tête. Sa nuit sera agitée.

(à suivre...)

dimanche 19 septembre 2021

Contes et histoires de Pépé J II(2)

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Aujourd’hui, on nous demande - on exige, pourrait-on dire – que nous soyons tous vaccinés et en mesure de le prouver électroniquement. De quoi demain sera-t-il fait ? Nos petits mignons de macron nous obligeront-ils tous à bouffer les mêmes hamburgers sous prétexte de santé publique ? On peut le craindre !


Donc, tant qu’il en est encore temps, dégustons les bonnes nourritures de notre ruralité, laissant encore à ces êtres d’inculture leur malbouffe pour pourceaux néolibéraux.


Précisément, cet été, j’ai eu le loisir de lire dans un magazine mensuel une chronique sur les délices du shtetl. L’auteur y parle du savoir-faire culinaire d’un restaurant qui, à Paris, permet de déguster les perles de la gastronomie ashkénaze, ce qu’il appelle du grand art Mitteleuropa.


En effet, il décrit moult spécialités qui m’ont mis l’eau à la bouche et je me suis régalé de cet article jusqu’au moment où il décrit la pâte du strudel aux pommes : je bondis à la description qu’il en donna et surtout au fait qu’il déclarait avec autorité qu’aucun pâtissier français n’était capable d’étirer une telle pâte aussi fine que du papier. Moi, vous me connaissez, je bondis sur mon stylo et rédigeai à l’intention de ce crtique la missive suivante :

Monsieur Emmanuel Tresmontant,

Dans le numéro 92 du mensuel Causeur, vous publiez un article intitulé « Les délices du Shtetl » dont la lecture m’a mis l’eau à la bouche. Toutefois, vers la fin de l’article, je faillis avaler cette eau de travers en lisant votre commentaire sur le strudel aux pommes. En effet, peut-être avez-vous raison de dire qu’aucun pâtissier français ne sait faire une pâte telle que vous la décrivez mais je peux vous dire qu’il y a des cuisinières dans le Lot-et-Garonne qui savent faire et étirer une telle pâte pour réaliser ce qui, traditionnellement, s’appelle tourtière et qui est une pâtisserie aux pommes aromatisée d’eau-de-vie locale. Bien sûr, cela n’est pas aussi huppé qu’un strudel mais existe dans notre pays, loin des grands restaurants et de la gastronomie parisienne ou viennoise. Je ne peux que vous conseiller de vous bien chausser pour visiter les campagnes où subsistent encore un art de vivre et de bien manger simples et peut-être méconnus. Mon épouse qui pratique l’art de faire des tourtières me prie de joindre deux photographies à l’appui de mes dires. Avec mes cordiales salutations. Pierre Jooris


Or, si j’ai la plume alerte, je dispose aussi d’une bonne réserve de patience. En effet, il m’est souvent arrivé d’écrire à nos élus locaux ou départementaux sans recevoir nulle réponse. Et, quand ils me répondent, c’est pour noyer le poisson dans un galimatias de leur cru. Toutefois, ce monsieur, critique culinaire de son état, semble n’avoir aucune idée de la langue de boa politique puisqu’il me répondit en ces termes :


Cher Monsieur, merci pour votre sympathique message ! Avec plaisir je viendrai dans votre belle région déguster vos merveilles, j’ai d’ailleurs programmé un reportage sur les armagnacs à la rentrée…Merci encore pour votre fidélité et votre lecture attentive. Très cordialement. Emmanuel Tresmontant PS : en fait, j’avais il y a quelques années lancé un défi au Pâtissier de l’hôtel Meurice Cedric Grolet devenu une célébrité depuis : faire un strudel … j’ai pu alors constater qu’effectivement ce champion de la pâtisserie n’était pas capable de réaliser une pâte à strudel digne de ce nom.


On voit par-là qu’il ne faut pas avoir peur de fréquenter les petits chemins et de marcher dans la boue.


jeudi 16 septembre 2021

Dernier tableau (42)

– Oui, c’est peut-être bien, ce cadre était un peu épais et assombrissait cette peinture. Mais je croyais que vous n’aviez ce tableau qu’en dépôt ?

– Je me suis un peu emmêlé les pinceaux avec cela, ce tableau m’appartient en propre, mais je l’ai acquis pour une somme modeste, ce qui fait que je m’en sens plus dépositaire que propriétaire. Disons que j’ai du mal à me l’approprier. Vous savez, j’ai vécu pendant pas mal d’années dans une caravane et je n’ai nullement eu pour habitude d’accrocher des œuvres originales à mes murs. Il faut du temps pour s’y faire…

– Rassurez-vous, je n’ai pas l’ambition de vous vendre une de mes toiles, vous êtes ici parce que je vous suis reconnaissante de m’avoir donné l’occasion de voir votre tableau. Je me suis informée sur Artur Leyden. Ce peintre a été, que dis-je est toujours, très prisé dans la région et même encore sur la place de Paris. Et vous possédez là une œuvre totalement atypique puisqu’il ne peignait que des marines. Un conservateur du musée de Saint-Lambaire a écrit une monographie sur Leyden, il va me la faire passer et je vous la prêterai si cela vous dit.

– Ah oui, volontiers. Mais laissons-là notre ami Artur et présentez-moi vos œuvres plus récentes si vous le voulez bien.

– Suivez-moi, dit-elle en se levant.

 

Elle lui fait visiter une pièce qui avait sans doute été le garage de la maison et qui actuellement sert de lieu d’exposition. Ils traversent le petit hall d’entrée laissant à leur droite un escalier au dessus duquel une pancarte indique « Privé » et ils entrent dans une vaste pièce lumineuse donnant sur une grande véranda. Des œuvres plus récentes sont exposées dans cette pièce et la véranda sert d’atelier.

 

– Voyez, dit Sara, tout mon rez-de-chaussée me sert de local professionnel, atelier et salles d’expo. Mon appartement est à l’étage et mon activité de peintre en bas.

– C’est très bien installé, dit Hervé. Et voici donc vos peintures les plus récentes. Je retrouve le style de ce que vous avez en exposition à Morlaix.

– Je vous laisse regarder seul pendant une dizaine de minutes puis je viendrai vous rejoindre.

 

Sara quitte la pièce, il l’entend monter dans son appartement. Il fait le tour des toiles exposées et, bien que n’ayant aucune connaissance particulière en peinture, quelques tableaux lui plaisent bien. Sara peint de fort jolies choses, se dit-il.

Elle revient et lui demande ce qu’il a préféré. Hervé lui dit assez franchement qu’il apprécie ce qu’il a vu mais qu’il reste sur cette forte impression qu’il a eue chez Lautort et que c’est l’étude de visages  qu’il préfère.

 

– Vous me faites assez plaisir, moi aussi je l’aime beaucoup. Mais mon jugement est d’une subjectivité évidente.

– Ce que j’ai vu ici me plait beaucoup.

– Eh bien tant mieux, je vous signale qu’il n’est pas loin de sept heures et que vous m’avez invitée à diner, vous n’avez pas oublié je suppose ?

– Je n’ai nullement oublié, je n’ai seulement pas vu passer l’heure en votre compagnie.

– Voilà qui s’appelle se raccrocher honnêtement aux branches. Où m’emmenez-vous donc manger ?

– Euh, en voilà une bonne question ! Il y a bien un drive-in de chez Mac’Ro dans le coin ?

– Mac’Ro vous-même mon cher Hervé, ne me faites pas croire que vous n’avez pas prévu le coup…

– En effet, il y a un restaurant bien connu, Le pavé des morues, mais je m’en voudrais de vous proposer d’y aller à pied…

– Vous êtes insupportable, Hervé…

– Alors je vous emmène au Verger des Muses, je crois que c’est à deux pas d’ici.

– Il y a un bon quart d’heure à pied, de quoi nous mettre en appétit. Mais c’est un excellent choix, je n’en attendais pas moins de vous.

– Eh bien, allons-y si vous êtes prête, conclut Hervé.

(à suivre...)

 

dimanche 12 septembre 2021

Contes et histoires de Pépé J II(1)

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. C’est la rentrée pour les radios et la plus belle de toutes est certainement CoolDirect. Les fleurs ne sont pas chères en ce moment, les fleurs des champs en particulier et je ne voudrais pas manquer une occasion de passer la brosse à reluire sur le crâne de notre modeste et génial directeur,


Sans que l’on s’en doute, il se passe des choses pendant l’été et, s’il en est une qui ne m’a pas échappé, c’est bien le projet de fusion entre l’agglomération d’Agen -que nous nommerons « Agglo »- et la communauté de communes Porte d’Aquitaine en Pays de Serres, que nous surnommerons PAPS ci-après.


Dans ma toute première chronique radiophonique, j’avais déjà eu l’occasion de dire tout le mal que je pensais de ce navrant acronyme PAPS dont je considérais qu’il bruissait comme une bouse s’écrasant au sol. Quant à la porte, faute de la voir, je pensais avoir entendu passer les gonds.


Toutefois, j’avais eu l’audace de proposer des noms plus proches des racines de nos territoires : un nom à la consonance bien républicaine tel que « Séoune et Escorneboeuf », reliant le territoire aux rivières le baignant. J’avais en outre proposé de se relier au passé glorieux de nos communes : Saint-Maurin fut décapité au VIème siècle et s’en fut portant sa tête sous le bras jusqu’à la source de l’abbaye, ce qui lui valut d’être qualifié de saint céphalophore. Cela n’est pas rien mais je craignais de voir sévir la cohorte des laïcisants, indignés par cette référence religieuse. Après mûre réflexion, je me tournai vers la réalité du relief géographique. Laissant la saillie de la serre à nos officiels, je proposai donc le nom de « Communauté de communes des belles combes », les combes étant les creux ou vallées entre les serres, vallons qui irriguent le pays. Et ce joli nom offrait aux gentes habitantes de ce petit pays le gentilé charmant de bellecombaises. Mais la beauté des noms n’enchante guère nos instances dirigeantes qui se délectent de barbarismes tels que « Nouvelle-Aquitaine », « Grand-Est » ou « Hauts de France ».


Foin de cette triste époque, voici qu’il est question d’une grande agglo qui engloberait jusqu’aux pétruques des coteaux de Beauville, les princes de l’agenais se précipitant pour asservir les petits culs-terreux de la campagne profonde. Je vous parle des princes de l’agenais car c’est ainsi que m’en parlait mon voisin il y a fort longtemps, me mettant en garde contre ces orgueilleux citadins qui ne parlaient pas notre patouès mais qui, à les écouter, parlaient la noble langue occitane, incompréhensible aux simples paysans de nos campagnes.


Foin de ces tristes sires, si j’évoque toutes ces choses c’est que, reconnaissons-le, vous et moi l’avons échappé belle. En effet, pendant cinq longues et belles années, mes chroniques se sont intitulées « de Serres et d’ailleurs ». J’avais donc anticipé le mouvement en changeant le nom d’icelles en 2020 et en les rattachant directement au chroniqueur fidèle. Imaginez la triste consonance si je m’étais vu contraint de les nommer chroniques d’agglo et d’ailleurs ! Et, de plus, ce nom d’agglo me ramène à mon métier de maçon où ce qu’on appelait agglo était une sorte de parpaing gris et triste fait d’un agglomérat de sable, gravier et ciment. Rien avoir avec la belle pierre blanche ou ocre du pays qui permet de bâtir des murs qui défient les siècles.


On voit par-là que nos élus se délecteront de plaisirs dionysiaques,


jeudi 9 septembre 2021

Dernier tableau (41)

 

4. Sara, Antonia, Frédéric

 

Le samedi matin, malgré un temps un peu menaçant, il décide de se rendre à Saint-Bélié. Il a entendu parler du fameux marché du samedi matin et a eu l’occasion de parler de Saint-Bélié avec tante Laure. Cela lui fait une bonne trotte à pied et, comme il revient un peu chargé, il prend un bus qui le rapproche de l’avenue Comédon. Revenu chez lui, il épluche carottes, pommes de terre, navets, poireaux pour se préparer un délicieux hochepot dans lequel il fait cuire queue de bœuf, oreilles de porc, plat de côte et un morceau de mouton. Le temps de cuisson lui laisse la possibilité de lire en écoutant de la musique et, avant d’attaquer ce plat, il se rappelle que sa jeune fille à la robe d’organdi, comme il l’a appelée, est toujours dans une valise. Il l’en ressort et la suspend à la place où il l’avait déjà accrochée. Il ne s’attarde pas à la contempler, il est en vacances de l’affaire Leyden pour le week-end et il déguste avec plaisir son hochepot. Rien ne l’empêchant de faire une sieste, il plonge avec délice dans un sommeil propice à la digestion.

 

*

 

Il se réveille vers seize heures, surpris de s’être ainsi laissé prendre par le sommeil. Pour émerger au mieux, il se prépare un café et après cela, il s’habille pour aller voir l’atelier de Sara. Il lui faut en effet une bonne demi-heure pour y aller et lorsqu’il arrive, Sara l’accueille avec joie, elle est habillée avec moins de décontraction que lors de leur première rencontre. Elle lui fait voir une première partie de ses peintures, après quoi elle lui propose de prendre un thé ou un café. Ils optent pour le thé.

 

– Vous avez vu la première partie de mes peintures, je dirais que c’est un peu le passé de ce que je fais, après nous verrons des choses plus récentes, dit-elle.

– Je vous avouerai que j’ai eu l’occasion d’aller à la galerie Lautort, à Morlaix et que j’ai vu les toiles que vous y exposez.

– Eh bien, vous me surprenez, Hervé. Seriez-vous allé à Morlaix uniquement pour voir mes tableaux ?

– Pourquoi non ? J’ai vu une étude de visages qui valait certainement le voyage, répond flatteusement Hervé. Mais je me rendais chez Dussieu, l’encadreur. Je voulais voir si je pouvais trouver un cadre plus approprié pour mon petit tableau. Et, comme j’avais du temps, je suis allé à la galerie Lautort. J’étais quand même allé voir auparavant sur internet dans quelle galerie se trouvaient vos peintures. Monsieur Lautort a une haute idée de votre peinture et il m’a dit que…

– Quand je passerai à l’abstrait, je trouverai ma voie, je sais. Je peins comme je le sens, je sais que je suis dans le figuratif et qu’il me verrait aller vers l’abstrait, mais je ne peux pas forcer les choses, répond vivement Sara.

– Je ne voulais pas vous blesser, excusez-moi, bien au contraire.

– Alors, parlez-moi de ce tableau, vous aller le faire mettre dans un nouveau cadre ?

– En effet, je retourne à Morlaix dans quelques jours et Monsieur Dussieu lui aura mis un cadre moins lourd, à mon goût en tout cas.

(à suivre...)