En vedette !

jeudi 31 décembre 2015

Le cabot de Fortunio (78)

-          Tu comprends, au niveau musique, il connait rien, Latik, c’est toujours la même ritournelle. Question paroles, sorti de : « la société, la société, nique ce que tu veux, nique ta société, nique tes keufs, nique machin, la société, la société… », il avait rien de plus comme paroles. Juste bon à attirer les filles en chaleur et les p’tits beurs qu’ont que d’la purée dans la tête. On disait qu’il enflammait les cités, bofff… Mais le fait est que les médias en bavaient pour lui, le genre : « Ah que c’est beau, ça c’est les nouveaux rebelles  ça c’est la révolte ! » Rebelle mon cul, oui, le Latik il pensait qu’à s’en mettre plein les fouilles, il se marrait de voir les bobos et les gauchos, les journaux, Liberté, Télémarla et les Improductibles se pâmer en causant de lui. Bon, le vent n’a pas vraiment tourné mais y’avait plus de concerts, pas de tournée en vue et Latik incapable de sortir une chanson, sec sec sec… J’ai dû me mettre à trouver des petits boulots, de ci, de là, j’le voyais plus. Il a eu c’t’idée d’enlèvement, il connaissait bien la région, Bak et Alouari aussi. Bak, lui, est de là-bas, il connait la région comme sa poche, je sais pas comment y fait pour s’y retrouver dans le désert. Et Latik, il m’a sifflé, il savait que je sais conduire une Jeep et il avait besoin de moi pour faire la bouffe et s’occuper de la gonzesse. Ah, j’te garantis, j’ai fait ce que j’ai pu pour lui rendre la vie pas trop dure, j’lui filais des clopes, la pauvre, elle avait arrêté et je lui faisais reprendre, mais bon… On était au bout d’un petit village, les gens venaient pas se mêler de nos affaires, y nous prenaient pour des militaires et là-bas, tu sais, les militaires, tu m’as compris… Eliane, la gonzesse, était enfermée dans un ancien poulailler, je te dis pas, il faisait une chaleur à crever… bon enfin. Ça a duré un bout de temps, c’te connerie, les mecs voulaient pas lâcher le fric comme ça, ils mégotaient, ces messieurs-dames, avec l’argent du contribuable…
Je me mordrais presque la langue : l’argent du contribuable, petit con va, me pensé-je… Je crois que ce gars a livré tout ce qu’il a d’intéressant en boutique. Je ne veux pas poser de questions précises, je suis censé en savoir pas mal par mon soi-disant Dunoyer. Une question néanmoins me taraude :
-          Parle-moi d’Eliane, dis-je. Qu’est-ce qu’ils lui ont fait subir ?
-          De quoi tu parles ? Elle était enfermée, c’est vrai que ce poulailler, c’était pas terrible, sinon, garanti qu’elle a rien subi. Les autres ont toujours fait la garde à tour de rôle mais c’est moi qui lui portais à manger, qui lui filais l’eau pour se laver. Et toujours correct, je te dis, quand elle se lavait je me barrais ou je me retournais. Bon, c’était pas bien grand et j’avais pas le droit de la laisser sortir. Quand on l’a sortie pour l’échange, heureusement qu’il faisait encore nuit pasqu’elle a eu un peu de mal à revenir à l’air libre. Bon, les journées devaient être longues pour elle, j’avais rien à lui filer comme lecture et j’avais pas le droit de rester discuter avec elle. Si je restais plus de dix minutes, Bak venait taper sur la porte. Bon, lui, c’est pas le pire mais je craignais plus ce salaud de Lefett. Sûr qu’y voulait s’la baiser mais j’avais très vite parlé à Latik que j’accepterais pas ce genre de connerie. Et pour Latik, un otage, on n’y touche pas, c’est la monnaie d’échange… y’a qu’à la fin des fins qu’il a dérapé, j’aurais dû m’en douter, y s’entraînait avec sa carabine tous les jours. Et faut dire qu’il était pas mauvais…
-          Et l’enlèvement, comment ça s’est passé ?

-          Ah ça ! Moi je suis resté au volant d’une Jeep, à l’extérieur du village. Les autres devaient faire deux otages blancs, un homme et une femme. Mais le mec, un infirmier, était pas là. Ils ont quand même enlevé la gonzesse, Eliane, ça a mal tourné, un noir a voulu la défendre et c’est Lefett qui l’a flingué. Y s’est fait engueuler – après – par Latik pasque ça allait mettre les Gondolais sur les dents. On avait une planque mais il a fallu aller dans un patelin près de la frontière, un vrai trou perdu mais à peu près à l’abri des militaires du Gondo. Par la faute à ce con de Lefett…
(à suivre...)

dimanche 27 décembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (15)

Comme le chantait Georges Brassens : « Y’a pas seulement à Paris/ Que le crime fleurit/ Nous au village aussi on a/ De beaux assassinats ».
En effet, pourquoi faudrait-il toujours que tout se passe à Paris et dans les grandes villes alors que l’on est capable de tant de choses étonnantes dans la profondeur de la ruralité. Et, comme me le disait un villageois l’autre jour : « On n’est pas plus bête que les citadins et on arrive même sans difficulté à être aussi stupides qu’eux ». Car à notre époque où l’on n’arrête pas le progrès, le véritable défi n’est plus d’être le meilleur mais plutôt d’être le moins pire - si l’on peut parler ainsi - tout en cherchant à n’être pas en reste. Les croquants ont les mêmes télévisions avec les mêmes programmes que les urbains ainsi que des politiciens et des journaleux de la même farine, les mêmes hyper ou super marchés, les mêmes fast-foods et les mêmes magasins franchisés. Ils jouissent d’une fonction publique aussi prospère qu’ailleurs. Que pourraient-ils vouloir de plus ? Toutefois, il est une chose que les Parisiens n’auront pas, enfin les franciliens ou franco-insulaires ferais-je mieux de dire, c’est la joie de donner un nouveau nom à leur région.
La réforme régionale bat son plein, des élections ont eu lieu et les nouveaux conseils élus auront pour tâche première de donner un nom à ces conglomérats quelquefois hétérogènes au goût de certains. Mais donner un nom, cela n’est pas rien même si on admet qu’on ne peut pas contenter tout le monde et son père. Et pour ce faire, il existe des consultants, des agences spécialisées et même des chercheurs, le tout en ce qui est appelé « marketing territorial ». Je ne citerai pas de définitions du marketing territorial car je ne suis nullement chargé de donner la migraine aux auditeurs. En résumé, il s’agirait d’une « boite à outils » comprenant des outils méthodologiques, des techniques et bonnes pratiques afin de permettre à un territoire de renforcer son attractivité. Il est à noter que lorsque des bureaucrates parlent de boîte à outils, il ne s’agit nullement pour eux de se mettre à un travail manuel. La boîte à outils est une boîte imaginaire avec des outils conceptuels et virtuels. La seule chose franchement matérielle dans toute cette affaire est le pognon qu’ils retireront de leurs ingénieuses élucubrations.
Donc, il existe des marketeurs territoriaux qui sont capables de proposer des noms pour nos futures régions. Bien sûr, auparavant on aura fait des référendums ou des consultations mais le propre des consultations de ce genre est de faire plaisir à ceux qui y participent afin de mieux leur faire avaler le contraire de ce qu’ils demandaient. On voit bien que bon nombre d’élus ont, en ce qui concerne les noms des communautés de communes, une imagination débridée qui aboutit à de surprenants amalgames permettant de créer de navrants acronymes. Désormais, ce seront des professionnels qui se chargeront, moyennant finances, de faire encore pire. L’argent est, parait-il, fait pour circuler. Mais pas n’importe comment et pas dans n’importe quelles poches.
Le pire est donc à craindre mais cela sera un pire estampillé, homologué et certifié. Nous aurons des noms de régions et notre seule maigre consolation sera qu’il y aura moins de régions qu’avant et donc moins de noms barbares à se coltiner que s’il y en avait eu plus.

Alors, pourquoi ne pas neutraliser provisoirement ces barbarismes nouveaux en attribuant simplement des numéros à nos régions comme on l’a fait pour nos départements ? On tirerait au sort les numéros sans devoir attribuer le numéro treize puisque l’ile de France gardera son nom.
On voit par-là qu’une île est toujours possible.

jeudi 24 décembre 2015

Le cabot de Fortunio (77)

-          C’est moi qui régale mais tu me racontes d’abord, en gros, l’histoire de la bande à Latik…
-          Ouais, mais j’les connais, au Brelan, si y’a personne, y sont cap’ de baisser le rideau…
-          T’ as raison, c’est pour ça que tu vas me raconter, fissa et en gros, ton histoire. Le résumé me suffit mais en vitesse, j’ai pas confiance au cas où tu deviendrais muet avec une clope au bec…
-          Ooooh oh, tu voudrais pas tout savoir et rien payer, toi ?
-          Je t’ai dit, raconte et on ira se jeter un godet. A force d’hésiter, c’est vrai que le bistro va fermer, c’est dommage, j’ai pas envie de galoper ailleurs.
Willy dodeline un peu du chef. Puis il se lance en essayant de faire rapide. Il a servi de chauffeur et de cuistot dans l’équipe sanglante de Latik. Il y était, sur la dune, là-bas, mais bien planqué. C’est pas lui qui a tiré, il le jure. Et il croyait que la gonzesse, Eliane qu’elle s’appelait, une chouette fille soit dit en passant, il croyait pas qu’elle soit morte. Bon, enfin, ils sont repartis, Lefett, celui qui a été chercher la valise, a été touché, on croyait que c’était pas trop grave mais lui aussi, il y est passé, bon, c’était un peu un fumier ce gars, mais la gonzesse, merde alors… Et mon Willy qui se fout à chialer. Je le prends par l’épaule, il me regarde.
-          Bon, dis-je, et Latik, il est passé où ?
-          Ben, Latik, il était dans l’autre Jeep avec Lefett et Alouari. Moi et Bak on filait avec l’autre, le plus vite possible vers la Mauritanie. On avait rendez-vous à El Baïda, on est arrivés les premiers et quand l’autre Jeep est arrivée, y’avait plus Lefett mais j’en sais pas plus, on est repartis à quatre, on a roulé encore pendant des heures, on est arrivés dans une bourgade, je crois qu’on était au Maroc, y’avait un petit aérodrome, un gars avec un vieux coucou nous a emmenés dans le nord de l’Espagne. Avec Alouari, on a volé une caisse, on a passé la frontière et on a lâché la tire à Bordeaux, on a pris le train tous les trois, Latik a dit qu’il nous rejoindrait plus tard. Et il est pas encore revenu. C’est lui qu’a le fric, bien sûr.
-          Mais à Arcueil, c’est chez Alouari, dis-je.
-          Ouais mais c’est leur quartier général. Latik va plus chez lui, au cas où… bon mais, on y va acheter des clopes ? Ah, ça m’fait du mal de penser à c’te môme Eliane, merde quoi, on devait simplement la relâcher. Mais Latik, au dernier moment, il a dit qu’elle allait parler, qu’il fallait pas la laisser revenir vivante, merde, merde, le con…
-          Allons, lève-toi et marche, on va aller voir si on trouve à fumer.

Il se lève et part d’un bon pas, j’ai presque du mal à le rattraper. Le chagrin lui passe vite à lui. Au bistro, je négocie deux doubles whiskies et deux paquets de Pinston. Willy rouspète que ce n’est pas sa marque mais je lui dis que c’est à prendre ou à laisser car, en moi-même, je me suis rappelé que c’est la marque que fume Eliane. Je lui offre une tige et, après avoir réglé, nous nous asseyons sur la terrasse. Le whiskard rend Willy encore plus loquace. J’apprends donc un tas de choses : il a connu Edkès quand ce dernier donnait des concerts. Willy lui servait de chauffeur, de factotum et de souffre-douleur. Mais il payait bien et on se marrait, sans compter les gonzesses qui tombaient comme des mouches. Puis, après deux CD, sa cote est retombée. Latik n’arrivait pas à se renouveler. Pour Willy, c’était carrément de la merde depuis le début. Mais de la merde qui se vend et qui attire les foules, pourquoi pas ?
(à suivre...)

lundi 21 décembre 2015

AUTOPROMOTION


VIENT DE PARAITRE

L'HISTOIRE DE LA FILLE QUI N'AVAIT PLUS DE NOM



Un nom pour la vie ?
Cette histoire peut vous paraître invraisemblable mais lisez Hérodote : lorsqu’il parle des Atarantes, il dit bien que c’est le seul peuple, à sa connaissance, chez qui les hommes n’aient pas de nom car ce sont les femmes qui le leur ont enlevés ; voyez aussi les populations aborigènes d’Australie chez lesquelles la pire des malédictions est de perdre son nom… nomen est numen disaient les Romains, le nom est la puissance ! Mais il est aussi une charge qui peut peser sur celle qui le porte, comment s’en défaire ?


18 pages avec illustrations
de Xavier CLAUDEL

Texte de Pierre JOORIS

Format 15cm x 15cm 

Prix : 6,15 Euros, port compris.
http://paypal.me/PierreJOORIS
pierre.jooris@orange.fr

dimanche 20 décembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (14)

La guerre contre le chômage est la priorité de nos hommes politiques, qu’ils soient de droite, de gauche, du centre ou de quelque extrême. Mais la lutte contre le chômage est-elle concomitante et complémentaire avec la lutte pour l’emploi ? Dans l’affirmative, on pourrait donc considérer l’emploi comme un allié pour qui ferait la guerre au chômage.
Mais, comme aurait pu le dire Joseph Staline : l’emploi, combien de divisions ? Car l’emploi, c’est bien quelque chose d’aussi singulier qu’un pape dans son Vatican. En effet, les vraies divisions du pape ne sont point dans les états pontificaux mais éparpillées dans un grand nombre de pays. Il en est de même pour l’emploi : qui a déjà vu l’emploi ? Un emploi, peut-être, des emplois aussi. Mais l’Emploi avec un grand E ? Qui nous dira qu’il l’a vu se battant contre le chômage ?
En outre, il ne faut pas confondre emploi et travail. Comme le disait très judicieusement Jean Amadou, nous sommes dans un pays où quelqu’un qui cherche un emploi ne cherche pas forcément du travail. Cela veut bien dire que c’est l’emploi qui lutte contre le chômage alors que le travail ne sert à rien dans la lutte contre le chômage, on voit bien par ailleurs bon nombre de salariés qui, luttant efficacement contre le travail, luttent de ce fait aussi contre le chômage. Enfin, ou inversement…
Dans cette guerre contre le chômage, il ne manque pas de maréchaux, de généraux, de colonels et officiers subalternes puisés dans le vivier des hommes politiques, des fonctionnaires et des bénévoles associatifs. Il y a même une agence pour l’emploi qui permet de donner de l’emploi à des gens qui autrement n’auraient peut-être su trouver à se faire employer alors que là, ils créent des statistiques, lustrent des sièges de bureau, bouchonnent devant les machines à café et brillent devant les photocopieuses. Car la photocopieuse est à la guerre contre l’emploi ce que le bouton de guêtre est à la guerre franco-allemande : une seule photocopieuse nous manque et tout est dépeuplé car une photocopieuse rapide, en couleur et placée au bon endroit permet de faire reculer le chômage dans ses retranchements. Voyez-le trembler lorsqu’on le bombarde de chiffres, de tableaux et de diagrammes. Bien sûr, ce sont des victoires à la Pyrrhus car si le chômage perd des batailles, il ne perd jamais la guerre. Mais ô combien d’élus, combien de fonctionnaires sont partis confiants et revenus déconfits mais fiers, ils recevront les galons et les décorations qu’ils ont bien mérités pour leur bravoure et leur haute stature. Le chômage n’aura point reculé mais ils auront gagné leur retraite, cédant à leurs successeurs leurs sabres de bois pour terrasser le dragon tandis qu’ils sillonneront les routes en 4x4 et en camping-cars, modernes ulysses et pénélopes futuristes, auréolés de combats dans des décors de carton-pâte.
Ah, l’emploi ! Tarte à la crème des politiciens, marronnier des journalistes et patate chaude de l’administration : plus on en crée, moins on travaille et moins on travaille plus le nombre de salariés fatigués augmente et plus le nombre de fatigués augmente, plus les syndicats s’agitent. Et quand les syndicats s’agitent, ils fêtent le travail en chômant… mais alors, mais alors, Dimitri, si les syndicats sont les alliés du chômage, où allons-nous ?

Dernière inquiétude : étymologiquement, le mot chômage viendrait du grec ancien καυμα qui signifie « se reposer pendant la chaleur ». Le réchauffement climatique est donc bien un allié du chômage et on voit par-là que la politique a encore de l’avenir.

jeudi 17 décembre 2015

Le cabot de Fortunio (76)

Je l’entraîne de l’autre côté de la rue et je m’assois sur une murette. Willy fait de même.
-          Bon, dis-je, on va pas jouer aux devinettes. Je suis enquêteur privé. Tu sais ce que c’est, un enquêteur privé ?
-          Monsieur est détective ? me dit-il en me regardant par-dessous.
-          Si tu veux. J’ai un client qui m’a mis sur ta piste…
-          Tu s’rais pas un keuf, des fois ?
-          J’ai une gueule de keuf, moi ?
-          Pas vraiment, mais un poulet, ça trompe énormément…
-          Bon, je reconnais que tu m’as eu. Alors, tu travailles pour Edkès en ce moment ?
-          Qu’est-ce tu racontes ? De qui tu causes encore ? Je suis chômeur, moi m’sieur ! Et fier de l’être !
-          On a la fierté qu’on peut, mon gars. Allons, t’as bien vu que je te suivais depuis Arcueil…
-          Ouais, peut-être, mais bon, je suis pas allé voir un gars… comment tu l’appelles ?
-          Te fous pas de moi, Bak t’a viré et il t’a dit d’attendre qu’il te siffle. T’as fait un boulot pour Latik et tu voudrais être payé.
-          Non mais, d’abord, toi tu travailles pour qui, c’est qui ton client à la noix ?
-          Ah tu le connais alors ?
-          Comment ça, je l’connais ?
-          Bah, il s’appelle Dunoyer le client à la noix !
Là, je reconnais que je pousse un peu mais, baste, je ne suis pas du métier et le mieux c’est de balancer au hasard, parfois plus c’est gros, plus ça passe.
-          C’est vrai, c’te connerie ? Un nommé Dunoyer ? Je connais pas de Dunoyer, moi…
-          Mais lui, il te connait. Et il a bien l’impression que tu faisais partie de la bande qui a empoché un million deux d’argent frais sous le soleil du Gondo. Alors, il faut bien remonter le fil, mon gars…
Le Willy passe du rouge au pâle, je crois bien que j’ai touché une corde sensible.
-          Le Gondo, c’est quoi ce truc, dit-il en chevrotant.
-          Dunoyer, il te connait, dis-je en le prenant par le col. Dunoyer te connait et si tu me donnes pas des raisons d’espérer, il risque de parler de toi en haut lieu… pour qu’ils te mettent en basse fosse.
-          Tu m’embrouilles avec tes conneries, dit-il en roulant des gobilles comme la Fadela.
-          Je t’embrouille pas, mon gars, dis-je en resserrant ma prise sur son encolure, tu sais très bien de quoi je parle et tu tournes autour du pot. Mais tant va le pot à l’eau qu’à la fin y s’retrouve en taule. Je ne suis qu’un petit enquêteur mais derrière moi, il y a des gens puissants. Et c’est pas toi qui les intéresses, tu comprends ça ? Ça me plairait pas, à ta place, de casquer pour les autres… Si y’avait eu que le fric, encore, mais vous l’avez flinguée, la gonzesse. C’est ça l’erreur, t’as une mort sur la conscience !
-          Oh oh ! Pas si vite, Toto, tu m’prends pour qui ?
Là, je me tais sans cesser de le regarder. Un flic célèbre a dit : « …le dernier mot, chose paradoxale, appartient à celui qui se tait… » . Je sens que mon silence marque un point. Il finit par craquer :
-          T’as pas une clope ? biaise-t-il.
-          T’es passé devant un troquet y’a deux minutes, y z’en avaient peut-être…, réponds-je.
-          Yes sir, mais y vendent qu’aux consommateurs, y font pas crédit et je suis raide…
-          Allons, on va y aller, ça fera coup double. Tu boiras bien un ouiskard avec une cibiche ? Je m’en fumerais bien une moi aussi.

-          Si c’est toi qui régales, d’accord.
(à suivre...)

dimanche 13 décembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (13)

Bientôt la fin de l’année et après, comme il se doit, le début d’une année nouvelle avec son cortèges de vœux : bonne année, meilleurs vœux, et surtout, surtout…la santé. Ah, la santé, bien sûr, on ne saurait s’en passer surtout si elle est bonne. Et, s’il est une chose qui est au cœur des préoccupations du gouvernement, c’est bien la santé. Il y a même un ministère pour cela au même titre que pour l’agriculture, les finances ou les affaires étrangères. Elle doit néanmoins partager ce ministère avec les affaires sociales et les droits des femmes mais ce n’est pas le moindre de ces derniers que d’avoir le droit à une santé, bonne de préférence.
Toutefois, il n’y a pas que nos élus qui se préoccupent de notre santé car cette dernière n’est pas sans enjeux financiers. En effet, les mutuelles et autres organismes chargés du remboursement des soins médicaux sont particulièrement désireux de nous conserver en bonne santé. A cette nuance près qu’il n’est pas souhaitable, pour eux, que nous soyons en trop bonne santé car nous n’aurions plus besoin de leurs services. Donc, dans le souhait de nous garder en bonne santé mais sans plus, ces organismes font de l’information sous forme ludique dans leurs journaux. Je me suis particulièrement intéressé à un article sur l’usage des médicaments, présenté sous forme de questionnaire vrai/faux, pensant y trouver matière, non à améliorer ma santé, mais à aiguiser mon humeur primesautière.
Première affirmation : « Les français sont les champions de la consommation d’antidépresseurs et de somnifères ». La réponse est que cela est vrai. Voilà qui me donne du tonus, docteur. Deuxième affirmation : « On peut acheter tous les médicaments sur Internet ». La réponse est que cela est faux et, au tréfonds de moi-même, je me dis que le coup de pied au cul indispensable pour se sentir mieux ne s’achète pas encore par correspondance. Troisième affirmation : « on peut donner ses médicaments à un proche ». Là, je dis vrai, on peut les lui donner pour qu’il les flanque à la poubelle mais ce n’est pas la réponse du magazine car les réponses sont rédigées par un éminent professeur de pharmacologie dont on peut supposer qu’il a des intérêts composés dans la fabrication de médicaments. Je vous fais grâce de quelques autres affirmations, entre autres sur les antibiotiques pas zautomatiques, pour passer à celles dont je me régale le plus comme celle-ci : « Quand on voyage, on peut acheter des médicaments à l’étranger. » La bonne réponse est bien sûr vrai et faux car il vaut mieux se faire empoisonner français, les étrangers ne le font pas aussi bien que nous ne savons le faire. Autre affirmation qui vaut son pesant d’excipient : « Un médicament est déremboursé parce qu’il est inefficace. » Là, l’éminent professeur se surpasse et je vous donne sa réponse in extenso : «  Vrai. Sauf si cette situation résulte d’un choix de l’industriel : Viagra, Cialis… » Je me demande ce que comprenne les disciples de ce bon maître en pharmacologie : le médicament est-il déremboursé, ce qui voudrait dire qu’il fut remboursé en son temps, ou est-il inefficace ? Mystère et boules… de Viagra. Evidemment, je terminerai par la plus amusante de ces affirmations : « Lorsqu’un médicament est retiré précipitamment du fait de complications, cela signifie-t-il que la recherche a été insuffisante ? » La réponse est, bien sûr, que cela est faux car qui peut dire que la recherche est insuffisante, qui peut dire que les chercheurs qui cherchent ne sont pas compétents et qui peut dire qu’un médicament homologués par des savants sachant chercher, mis sur le marché par des marchands sachant ensacher et prescrit par des soignants sachant ordonner, qui donc peut dire que ce médicament doit être retiré précipitamment ? Il ne sera retiré qu’avec une rapidité calculée en fonction du nombre de morts ou d’intoxiqués constaté. Et s’il y a complications, cela n’est pas du fait du médicament mais du fait de malades manquant de bonne volonté.

On voit par-là que la santé est une affaire trop sérieuse pour la confier aux patients.

jeudi 10 décembre 2015

Le cabot de Fortunio (75)

Tout cela est bel et bien mais ne m’avance guère. Je décide d’aller me coucher quand je vois un gars entrer dans l’impasse et sonner au 18. Le black se penche à la fenêtre :
-          C’est toi, Willy ? Qu’est-ce tu veux encore ?
-          Oh, Bak, tu sais bien pourquoi je viens…
-          Attends, je viens.
Le black descend ouvrir la porte et commence à parlementer avec de grands gestes.
-          Tu m’fous l’camp, toi, casse toi, tu viendras quand on t’appellera !
-          Mais, Bak, on m’avait promis…
-          On t’avait rien promis. C’est Latik qui décide, tu viendras quand on te sonnera et terminé, conclut le black en repoussant l’autre.
-          Bak, ça se finira mal si ça continue…
-          Ta gueule !
Le nommé Willy arrive toutefois à taxer une clope au nommé Bak puis fait demi-tour et repart. Mon intuition me pousse à descendre et suivre ce gars. Il revient sur la nationale et rejoint la rue qui va vers mon hôtel. Il y a heureusement quelques passants, je peux le suivre sans paraître incongru. Le gars monte vers la station de RER et j’en fais autant. Je m’assieds sur un banc où traîne un journal qui tombe à pic. Une rame arrive, direction Paris, le gars monte et moi aussi. Il parle tout seul sans me remarquer. Je m’installe assez loin de lui, toujours armé de mon journal.
Laplace, Gentilly, le gars descend à Denfert-Rochereau puis il prend le métro, Place d’Italie et encore une correspondance jusqu’à Tolbiac. Il prend la rue de Tolbiac puis il m’entraîne dans un tas de petites rues. J’essaye de garder mes distances tout en gardant le contact et, après un tournant, je ne le vois plus, comme s’il avait disparu dans une maison. Je m’avance et il sort d’une porte cochère avec un cran d’arrêt pointé dans ma direction. Il n’y a personne dans la rue, j’ai bien mon flingue à portée de main ou presque mais je sens qu’il vaut mieux ne pas le sortir.
-          Toi, je t’ai repéré, ça fait un bout de temps que tu m’suis… qu’est-ce tu cherches ? me dit-il à voix basse.
-          Range ça, t’as rien à gagner à jouer avec ça, dis-je peu rassuré.
Un couple arrive opportunément et nous regarde avec curiosité. Le gars Willy plie son schlass et je lui mets la main gauche sur l’épaule, ce qui a un petit effet lénifiant pour tous.

-          Viens, lui dis-je, on va discuter.
(à suivre...)

dimanche 6 décembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (12)

Lectrices et lecteurs, bonjour. L’Ecole Nationale d’Administration, dite ENA, vient de fêter ses soixante-dix ans d’existence. En effet, l’ENA a été créée en 1945 non par Charlemagne mais par une ordonnance concoctée par Michel Debré. Cette institution était investie de deux missions : la professionnalisation de la haute fonction publique et sa démocratisation. S’il semble que la première de ces missions lui convienne bien, il parait toutefois que la seconde passe régulièrement à l’as. Mais où irions-nous si les pauvres devenaient énarques ? Je vous le demande.
A cette occasion, le journal « Le Figaro » du 9 octobre publie un article sur le sujet et donne aussi la parole à la présidente de l’ENA. Cette diplomate rappelle donc les deux missions citées ci-dessus en reconnaissant que la mission de diversification n’est guère remplie. Notons bien qu’en bon énarque, elle n’utilise pas le mot démocratisation mais le mot diversification qui est bien plus poétique. Néanmoins, si elle reconnait donc ce manque, elle promet de faire mieux à l’avenir. Voilà qui est rassurant. Interrogée sur la formation dispensée par cette grande école, elle déclare qu’elle trouve ceux qui disent « je n’ai rien appris à l’ENA » plutôt arrogants. Voilà aussi qui est intéressant car, si je comprends bien, les énarques arrogants sont donc ceux qui n’ont rien appris et rien compris. Mais alors, qui sont les autres ?
Cela dit, le gouvernement vient de valider une nouvelle réforme de la scolarité qui sera mise en œuvre en janvier 2016. Et il vaut certainement mieux une nouvelle réforme qu’une ancienne réforme, cela permet à coup sûr de faire du neuf avec du neuf, à moins que cela ne soit l’inverse. Cette réforme nouvelle donne une importance accrue au numérique, au management public, à la relation entre la fonction publique et le citoyen et insiste sur l’éthique et la déontologie. Voilà qui n’est pas de la réformette mais le meilleur est pour la fin, à savoir que l’on consacrera du temps pour que les apprentis énarques connaissent la réalité du terrain : ce n’est plus une réforme, sire, ce sera une révolution !
La dernière question du journaliste porte sur l’image de l’école qu’il dit être dégradée dans l’opinion publique. La réponse de la présidente vaut son pesant de cacahuètes et je vous la livre telle que j’ai pu la lire dans le journal : « Lors de périodes difficiles, on cherche toujours des boucs émissaires et l’ENA en est un. Cette mauvaise image se transmet également par certains tics de langage chez les politiques ou les journalistes. C’est un réflexe populiste ou démagogique. » Allons donc, je pensais qu’une image, bonne ou mauvaise, dépendait avant tout de ce que je donne à voir mais de nos jours, il est si simple de parler de populisme et de démagogie, surtout lorsqu’on leur préfère l’élitisme et l’oligarchie. Il est si simple de se faire passer pour une victime et il est si simple de dire « c’est pas moi c’est l’autre ». Mais ça, c’est un réflexe de cour de récréation, bien peu digne d’une grande école. Mais ces hauts fonctionnaires ert ces élites pensantes et dépensantes supportent mal la critique qui, venant d’en bas, vient donc du peuple, populus et démos sont les racines de ces mots. Allons, allons, madame la présidente, sachez que « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur », cette phrase du « Mariage de Figaro » est en exergue du journal qui vous donne la parole et si, comme vous le dites : « Historiquement, la fonction publique est restée très silencieuse sur son action à cause du devoir de réserve », je crains pour ma part que cela soit plus à cause du droit qu’elle s’est arrogée de ne pas communiquer.

On voit par-là que l’avenir est à la perpétuation de la réforme.

jeudi 3 décembre 2015

Le cabot de Fortunio (74)

Un bon coup de nationale 20 et j’entre dans la ville du bon maître d’Arcueil sur un air de tyrolienne turque. Je n’ai pas l’habitude d’une telle circulation et j’ai un peu de mal à trouver l’impasse Halfon-Sallait. Je me gare assez loin, inutile de se faire repérer. L’impasse donne dans une artère importante et très passante. Je fais une première reconnaissance, ça n’est pas simple de passer innocemment dans une impasse, force est de rebrousser chemin. Il y a fort heureusement un chantier important dans cette impasse, un immeuble en construction. Je reviens à ma fourgonnette pour enfiler un bleu de travail par-dessus mes vêtements. Ainsi habillé, je vais me balader dans l’impasse. Le 18 est une ancienne maison à deux étages, un peu plus loin que le chantier et de l’autre côté de la rue. En passant, je vois que la fenêtre du rez-de chaussée est à moitié ouverte. Je vais jusqu’au bout de l’impasse où je fais semblant de ramasser et de mettre en poche quelque chose puis je reviens vers le chantier. J’écarte une barrière et je pénètre tranquillement dans le chantier. Deux ouvriers sont en train de poser des croisées, ils répondent distraitement à mon salut. L’immeuble fait six étages, j’arrive au pied de l’escalier et me rends directement au second. Il n’y a personne et ça me convient bien car l’endroit est parfait pour observer le 18.

Je reste un bout de temps sur place, vers cinq heures, j’entends partir les deux ouvriers que j’avais croisés en entrant. Je reste encore une heure puis, comme rien ne bouge, je redescends et quitte les lieux. Je vais devoir trouver une solution pour promener mon chien et pour passer la nuit. Le long de la nationale, il y a un chinois où j’envisage d’aller manger et, bien qu’il soit trop tôt, j’entre. Un solide chinois à la carrure de rugbyman me toise avec un sourire ironique. Je lui demande si je pourrai manger ce soir, il me répond qu’il est là pour ça mais que je revienne plus tard si je ne veux pas finir en raviolis. Comme ce n’est pas dans mes intentions, je le rassure à ce sujet mais je lui demande s’il me connaîtrait un hôtel dans mes cordes. Il m’envoie à un hôtel dans une rue adjacente en me promettant de me garder une table. L’hôtel en question, c’est le genre qui a vu des jours meilleurs mais il y a quelques décennies. Je suis reçu par un pépère moustachu qui a lui aussi pris de la bouteille et de la culotte. Il me bredouille d’un air méprisant qu’à cette heure… Il me conseille néanmoins d’aller me faire voir dans un truc, un chose, enfin faut descendre la rue jusqu’à la ligne puis à droite, enfin je trouverai quoi. Je sors de là, je vais chercher mon chien et nous descendons de conserve jusqu’à ce qu’il appelle la ligne, en fait c’est une butte de quatre à cinq mètres de haut où passe le RER. Ça tombe bien, il y a quelques terrains vagues judicieusement offerts aux nécessités de ma Flèche. Une fois qu’elle s’est bien dégourdie, nous allons vers la casbah dont m’a parlé pépère. En effet, le bâtiment ne paie pas de mine, la façade est lézardée, les corniches en béton pendantes et seule la porte semble presque neuve, style porte de prison. J’appuie sur une sonnette, un bourdonnement se fait entendre et je pousse la lourde. Un gars fort aimable, la trentaine, me reçoit. Il lui reste une chambre mais il me prévient, c’est au second, WC et salle de bains commune sur le palier et la fenêtre en prise directe sur la gare du RER. Et tout cela à un prix pour lequel j’aurais un palace à Marmande. Enfin, soit. Je paie avec ma carte, il me file le code et je sors dans la rue pour entendre arriver le train avec sa sonnerie d’ouverture des portes. Nous faisons encore un tour puis, après avoir ramené Flèche à la fourgonnette, je vais manger un sauté de bœuf épicé chez mon malabar chinois. Au moins, là, je me régale et je prends mon temps avant de retourner dans l’impasse. Discrètement, je me glisse à nouveau dans le chantier et je retourne à mon poste d’observation. La fenêtre du rez-de-chaussée est toujours ouverte et la lumière est allumée. On entend des voix, il me semble que c’est une télé. Je me déplace vers une autre pièce de laquelle j’ai une meilleure vue plongeante. Je vois un écran de télé et un canapé dans lequel un gars est affalé : on pourrait penser qu’il s’agit du beur à la Golf. Il boit directement à même une canette. Une silhouette circule dans la pièce sans que je puisse voir la personne. Il me vient une idée : appeler le numéro, comme l’autre jour, en masqué. Je vois le gars à la canette qui se trémousse et qui sort quelque chose de sa poche. Il regarde, hoche la tête et semble attendre en regardant son appareil. Le répondeur se déclenche et je raccroche. Pas besoin d’insister, c’est bien le gus Alouari. Il est en grande discussion avec la silhouette qui s’approche te se met à la fenêtre. Là, pas d’erreur, c’est bien le black de l’autre jour. 
(à suivre...)