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dimanche 25 août 2013

Chronique du temps exigu (74)




Le monde est petit…
Ainsi parlait Sara Toussetra, commerçante et philosophe urbaine. En effet, en vacances dans la Creuse, voilà qu’elle est tombée nez à nez avec la fille du cousin de sa concierge à la foire à la citrouille de Cucugnac sur Bouze. Bien sûr, comme le disait M. Perrichon : « Que l’homme est petit quand on le contemple du haut de la mère de Glace ! » mais que le monde est petit lorsque les mêmes gens se pressent autour d’une citrouille.
Cette courte phrase me donna l’idée de lire le journal éponyme, grand journal du soir dont la face cachée fut dévoilée il y a quelques années. Pour la saint Hyacinthe, ce journal a publié le numéro 100 de son supplément avec, en couverture, une photo du créateur de SAS accompagnée en pages intérieures d’un article sur le dit créateur. Je fus, dans ma jeunesse, un lecteur sinon assidu, du moins attentif, d’une vingtaine d’opus de ce romancier. On se lasse même des meilleures choses et la répétition roman après roman des mêmes mécanismes guerriers et sexuels fit que je passai à d’autres lectures. J’avoue avoir préféré dans un genre un peu différent genre les aventures de San-Antonio, c’était un garçon d’une verve infinie, d’une fantaisie exquise comme aurait pu dire Hamlet.
Revenons à notre romancier. Ses romans sont depuis des décennies en tête de gondole des relais de gare et figurent en bonne place dans bien des maisons de la presse et autres, plus de cent millions d’exemplaires ont été vendus. On pourrait penser que le père de ce héros récurrent est heureux de son succès. Que non pas ! Il souffrirait, d’après les auteurs de l’article, d’un manque de reconnaissance… Alors là, les bras m’en tombent et je ne résiste pas une fois de plus, avec cette immodestie qui est mienne, à m’auto-citer : « Mais aujourd’hui, il n’y a plus vainqueurs ni vaincus, il n’y a plus que des victimes. Il n’est plus nécessaire de se battre pour vaincre, il suffit de savoir se faire plaindre. » (Chronique du 7 juillet 2013). Et le journaliste de s’en donner à cœur joie, de passer la brosse à reluire sur ce Nostradamus des temps modernes et de plaindre ce pauvre hère. Quelques bémols ici ou là, manière de montrer qu’on est qu’à moitié dupe.
Bon, ils font leur sauce américaine à leur goût mais était-il utile de citer le triste mot de ce romancier au sujet de Jonathan Littell, l’auteur des Bienveillantes, roman que l’auteur de SAS aurait été bien en peine d’écrire car il se situe dans une qualité littéraire, une morale et une psychologie étrangères à l’univers de SAS et de son auteur ? Je ne citerai pas ce triste mot, pas plus que celui que j’aurais pu faire en retour, je n’ai aucun plaisir à vider les sentines de la presse écrite.
Le monde est petit en effet et on voit par là que les nouveaux bien-pensants ne verront pas la fin du monde.

dimanche 18 août 2013

Chronique du temps exigu (73)


Pendant que d’autres sont en vacances, il en est qui travaillent et, parmi ceux-ci, notre premier ministre qui est allé visiter un chantier afin de montrer qu’il se soucie de la pénibilité au travail, casque jaune sur le chef et accompagné d’éminents spécialistes. Un peu paresseux en ce mois d’août, je me permets de vous resservir ma 34ème chronique du 18 novembre 2012 qui reste d’une brûlante actualité :
« La pénibilité au travail, on en parle et on en reparle mais qu’en sait-on réellement ?
Il y a quelques années de cela, l’expression est devenue à la mode dans les milieux que j’appellerais compétents, à savoir les représentants du patronat, les syndicats, les spécialistes du ministère du travail et chez les politiciens. La liste n’en est pas exhaustive.
Donc, pendant que d’aucuns bossaient dur, d’autres parlaient de pénibilité au travail sans toujours savoir de quoi ils parlaient. Je n’ai pas dit qu’ils ne savaient pas ce qu’ils disaient car les gens compétents savent toujours ce qu’ils disent. Cela n’est pas pour autant qu’ils savent de quoi ils parlent. Mais ils sont dans les milieux autorisés et généralement bien informés, ainsi que le dirait un journaliste moyen.
Or, une personne compétente et qui sait ce qu’elle dit a parfois une étincelle de lucidité qui lui fait comprendre qu’elle ignore un peu de quoi elle parle. Donc, dans les milieux compétents, on a jugé nécessaire d’aller sur le terrain pour recueillir des informations sur la pénibilité au travail. Un corps d’inspecteurs de la pénibilité au travail a donc été créé dans ce but. Hélas, ces personnels étaient formés au travail de la fonction publique et n’étaient nullement préparés à affronter la pénibilité réelle au travail. Ce fut une hécatombe, à juste titre, car la centaine de ces inspecteurs envoyée sur le terrain a disparu corps et biens, les uns purement et simplement détruits par le travail, Moloch insatiable, les autres brutalement happés par la retraite anticipée, hydre aux mille têtes.
Il fallut bien se rendre à l’évidence, on n'y arriverait pas ainsi. On choisit alors un certain nombre d’ouvriers et d’ouvrières travaillant dans des conditions sordides, bruyantes et dures. On leur proposa la possibilité de partir plus tôt à la retraite mais, fort avisés, celles-ci et ceux-ci refusèrent cette proposition. Non qu’ils fussent désireux de continuer à travailler dans des conditions pénibles mais parce qu’ils et elles préféraient encore leur maigre salaire, même pour un labeur pénible, à leur encore plus mince retraite.
Cela ne perturba pas l’aréopage de têtes pensantes des milieux compétents. De l’argent avait été alloué pour compenser la pénibilité au travail et il fut unanimement attribué aux membres de cette commission qui purent prendre une retraite bien méritée après s’être si durement penchés sur une telle question. Qui acheta une villa sur la côte, qui se fit construire une piscine et qui fit l’acquisition d’un camping-car.
On voit par là qu’il n’est pas simple de faire le bonheur des autres et que gratitude bien ordonnée commence par soi-même. »

dimanche 11 août 2013

Chronique du temps exigu (72)



Après avoir évoqué ou pratiqué maintes figures de style, le zeugme ou la verbigération, la litote, le psittacisme, l’hypotypose et l’hystérologie, je voudrais vous parler aujourd’hui d’un procédé littéraire que Bernard Dupriez dans son Gradus classe à l’article humour. Le Gradus (abrégé de Gradus ad Parnassum) recense les procédés littéraires sous forme d’une taxinomie classée dans l’ordre alphabétique.
Dans sa remarque 5 de l’article précité, il parle d’une forme particulière d’humour qu’il nomme « zwanze » (prononcer zouanze) dont il dit que c’est un humour typiquement bruxellois à base de pseudo-simulation et de truisme. Ce dernier est en quelque sorte une lapalissade et la pseudo-simulation une simulation qui ne se cache pas, ce qui la rend aussi réfutable qu’irréfutable tout en ayant tout de même été exprimée. On n’est pas loin du psittacisme…
Les grandes langues sont comme les grands fleuves, elles ont leur existence propre mais ne seraient rien sans les affluents qui les alimentent et en font ces cours majestueux que nous admirons. Que serait la Garonne si elle n’était abondée par la Dordogne, le Lot, le Gers, le Tarn…, que serait la langue française si on lui retirait ses racines latines et grecques ? Mais de même, les petits dialectes sont comme ces gentils fleuves côtiers abreuvés par de petits ruisseaux qui font les belles rivières. Le brusseleir, dialecte bruxellois, se nourrit des deux langues qui l’entourent mais il a sa vie propre, ses chantres et ses poètes.
Pour illustrer valablement mon propos et surtout pour rendre hommage à Roger Kervyn, fabuleux fabuliste brusseleir pratiquant le zwanze avec hardiesse et sans façons, je citerai in extenso une de ses « Fables de Pitje Schramouille » que j’ai eu le plaisir d’entendre de sa bouche même :

« In petit ketje des Marolles
Etait malade au lit de la pécole.
- Vous savez, ça est quand tu as la peau du cul qui se décolle.
Et y savait pa' aller à l'école
Et chez les boy-scouts non plus pas
Et il avait d' chaghrin avec ça !!!
Seulma, plus qu'y pleurait,
Plus que la peau d'son pett' se décollait !
Et sa mouma allait partout d'mandeïe consel
L'in disait : "Madam' te faut l' donneïe in lav'ment avec du miel."

Mo in ôter' ripondait :
"Dis lui plitôt qu'y doit se mett'
Avec son pett'
Dans ine assiett'
Avec du lait.
Alours te fermeïe les fernett' :
Comm' ça y va 'n fois bein transpireïe,
Et la peau de son pett' va se recolleïe."

"A moins seulma qu'ell' crolle
Et alours ça s'ra pas drolle !
Ca s'ra comm' avec le petit Alphonse
De la Cité Van Mons :
çuilà sa peau a tout à fait crollé
Et pui' elle a tombé
Et ell' a dû avoir sept ans pour répousser
Moi je dis qu'y faut contrair'
Le laisseïe da des coulants d'air."

In voisin
Croyait qu'ça venait de l'instintin :
Il apportait 'n klachke huil' de raisin.
C'était gentil mo c'était pas malin !

Et l'menonkel qu'était gharçon d'courses
Cheïe le droghiss' près de la Bourse
Disait : "Pour moi ça est de trop alleïe.
C'est plitôt de bismuth que tu duvrais donneïe."

Et la matante qui r'loq't les salles
Trois fois da l' s'main à l'hôpital
Criait : "On duvrait fair' in lavag' d'estouma
Avec in long tuyau en caïoutchou comm' ça ;
On aval' ça comm' si ça s'rait d' macaroni
ça yet pas très plaisant, mo on est vit' ghèri !"

On avait comm' ça d'ja parlé beaucoup des jours
Et le pett' du p'tit men se décollait toujours !
Alours on a 'n fois 'té chez Mossieù le docteur
- çuilà qu'avait da l' temps soigné sa petit' soeur,-
Et il lui a donné des spèc' de pilul' Pink
Et quans qu'il en avait pris cinq,
-ça est qua mêm' in bon mèdicament !-
Voilà qu' la peau d'son pett' collait meilleur qu'avant.

Que chaquin tient son èspécialité
Et les vach' seront bien ghardé. »

(Roger Kervyn de Marcke ten Driessche, La pécole)

Haut les cœurs, labbekaks, zivereirs et autres kiekefretters : entonnons après lui ce laaifstuk !




dimanche 4 août 2013

Chronique du temps exigu (71)




Une bien triste chronique en ce début du mois d’août. Je viens de tomber des nues ainsi que sur un billet d’humeur qui aurait été publié par Jean d’Ormesson en décembre 2012[1].
Il est étrange d’avoir pitié des gens que l’on admire. J’ai aimé Jean d’Ormesson pour son style, sa langue et son esprit. Sans avoir tout lu de ce qu’il a écrit et sans avoir tout entendu de ce qu’il a dit. Sans être toujours d’accord avec ses chroniques, il était de ces gens de l’autre camp que l’on respecte car ils nous obligent à donner le meilleur de nous-mêmes.
Hélas, nous le voyons maintenant réduit à faire le buzz pour des blogs de droite à court d’idées et de valeurs. Ces blogs se passent et se repassent la soupe ormessonnienne depuis plus de six mois. Tel un vieux cabotin réduit à faire des animations dans les supermarchés, il étale ainsi les troubles de son humeur.
Son beau regard bleu a gardé toute sa clarté mais son esprit pétillant est devenu spumeux. Le voilà réduit à citer… Margaret Thatcher. Le voilà qui fait de ces billets-chaussettes en forme de pps que l’on voit circuler dans les poubelles du net. Billets-chaussettes car on peut les retourner dès que le vent et l’électorat ont tourné : tel qui brocardait Sarkozy hier fustige Hollande aujourd’hui.
Bien sûr Monsieur d’Ormesson, vous avanciez dans la vie le front levé, comblé par la fortune et les biens et vous faites bien peu de cas de ceux qui ont courbé le dos sous le travail. Pour vous, ceux qui produisent, ce sont bien souvent des bétonneurs, des pollueurs ou des empoisonneurs. Ceux qui travaillent de leurs mains ne produiraient-ils donc rien, celles qui font les travaux les plus humbles seraient donc improductives ?

Quant à ceux qui ramassent au passage leur dîme sans se souiller les mains, seraient-ils les seuls à avoir votre considération ?

Bien sûr, Monsieur d’Ormesson, vous avancez dans votre existence avec une espérance de vie alors que nous ne comptons que sur une probabilité de survie. Nous ne sommes pas égaux dans la vie et le serons encore moins dans la mort. Mais s’il faut se perdre pour perdurer, à quoi bon ?
Et, arrivé au bout, que direz-vous si les Mauriac, Bernanos, Barrès et Châteaubriant vous demandent : « Qu’as-tu fait de ton talent, Jean ? ». Oserez-vous leur répondre, baissant pour une fois le front : « J’ai fait le buzz… ».
Mon dernier cauchemar aura donc été pour vous, Monsieur Jean  car je ne peux croire que vous acceptiez de tremper votre plume dans de tels effluents.

[1] Pour lire le billet en question, tapez « inaptocratie d’Ormesson » dans votre navigateur.