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dimanche 28 novembre 2021

Contes et histoires de Pépé J II (10) Jean Amadou

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Que l’on parle de littérature ou de politique, il est toujours bon de se reporter vers nos glorieux ancêtres dont nous n’avons pas toujours pu écouter les judicieuses leçons. Je vais donc maintenant citer Jean Amadou qui, sans se considérer comme un littéraire ou un politique, se qualifiait plutôt d’amuseur. C’est lui qui, dans une surprenante analyse sur le travail en France, avait dit que dans notre pays quelqu’un qui cherchait un emploi ne cherchait pas forcément du travail.

Donc, il a publié en 1978 un livre intitulé « Il était une mauvaise foi » dans lequel il fait une intéressante autopsie de la technocratie européenne. J’ai bien dit autopsie car cette engeance est toujours cliniquement vivante. J’en cite un extrait :

« Quelques vieux humanistes, derniers représentants de la race qui domina le monde, du Congrès de Vienne à la guerre de 40, imaginèrent l’Europe, dans les années 50. Puis, ils confièrent aux technocrates le soin de l’élaborer. Vingt ans leur ont suffi pour la rater. Et, en vingt ans, ces messieurs n’ont réussi qu’à arrêter régulièrement la pendule de Bruxelles – comment n’est-elle pas encore détraquée ? On se le demande. Les aiguilles bloquées sur minuit, alors que dehors il fait grand jour, les rassurent. Ils s’imaginent avoir arrêté le temps et se prennent pour Josué. Quand ils sortent, les traits tirés, les yeux cernés, c’est pour annoncer devant les caméras de télévision, aux peuples enthousiastes, que la planification du radis est résolue. Le vieux rêve de Schuman, de Monnet, de De Gasperi s’achève en marchandage de fruits et légumes. On part pour les États-Unis d’Europe ; on finit sur le carreau des Halles.

Une des séances les plus amusantes eut lieu lorsque les Émirs dispensateurs de pétrole punirent la Hollande, coupable de soutenir Israël. Les Hollandais se tournèrent vers leurs huit associés et leur parlèrent d’un sentiment tout à fait inconnu : la solidarité.

On vit alors les huit autres, habitués à parler monnaie ou pommes de terre, anxieux et déconcertés. Ce que les Hollandais ramenaient là, sur le tapis vert, n’était pas tangible. On ne pouvait ni l’additionner, ni le répartir, ni même arriver à un compromis, le propre même d’un sentiment étant d’être éprouvé, et non pas d’être divisé.

-Messieurs, déclara le Président de séance, nous avons à parler de la solidarité. Qui veut prendre la parole ?

Il y eut un très long moment de silence. L’un des représentants demanda timidement, par la force de l’habitude :

- Si je donne un peu de solidarité, qu’est-ce que je recevrai à la place ?

- Rien, répondit le Président.

Les technocrates de Bruxelles sont des gens réalistes et habiles, accoutumés à établir des prévisions à long terme, ils savent qu’on peut céder sur la carotte si on se rattrape sur le chou-fleur. Ils ont travaillé sur l’Europe agricole, peiné sur l’Europe monétaire, transpiré sur l’Europe de l’atome. Ils calculent de tête, sans effort apparent, combien font en florins 121 marks plus 285 lires, moins 74 francs. Mais devant la solidarité, ils se trouvaient tout bêtes, comme un ordinateur dont on attendrait une déclaration d’amour.

Quant au délégué hollandais, il faisait figure d’accusé. On semblait lui dire : « C’est à cause de vous qu’on est là, obligés de discuter de problèmes qui nous dépassent ! »

Quelle mouche les avait donc piqués, ces Hollandais, de faire de l’idéalisme et non de la politique  comme tout le monde ? Avec leur solidarité au milieu de la table, les technocrates se sentaient embarrassés et confus. Le Hollandais, lui, était conscient d’avoir commis une faute de goût. Il baissait la tête. Il avait trahi ses frères… »

On voit par-là que, depuis le temps, l’Europe a beaucoup évolué…




jeudi 25 novembre 2021

Dernier tableau (52)

Ne croyez pas cela. Quoi qu’il en soit, vous aurez déjà compris que Liberté n’était pas pour moi, j’aurais dû avoir au moins une licence de quelque chose et être appointé ici ou là. Être simplement un prolo, cela va deux minutes, mais un vrai prolo cela pue de la gueule et cela risque d’écrire des choses dérangeantes. Alors, j’ai continué mon errance et ma galère jusqu’à ce que je tombe sur le Courrier d’Émeraude. Cette feuille de chou avait été créée par un politicien un peu poujadiste, plutôt à droite, mais avec pour objectif de dire du mal de tout le monde, de critiquer tout le monde et partout. Il a trouvé son lectorat, puis peu à peu est devenu un journal vraiment local, plus détendu, avec une info souvent différente des journaux régionaux, spécialisés dans l’information calibrée, aseptisée et régionalisée dans le plus triste sens du terme. Le Courrier n’est pas un grand journal mais c’est un journal qui sait parfois déranger et surprendre. J’y suis bien, je suis mal payé, ma retraite sera minable mais je n’ai pas honte de ce que j’écris. C’est tout. Je me suis fait piétiner par ceux qui étaient censés être de mon côté mais je suis resté sincère envers moi-même comme envers les autres. Je n’aurai fait que de petites choses mais je les aurai faites proprement. Alors à vous de voir.

– Je suis peut-être bon public, mais votre histoire me touche, nos parcours sont certes bien différents mais nous nous retrouvons quelque part, ne serait-ce qu’ici autour de cette table…

– Et un des rares avantages du métier, c’est d’une part que je connais le seul restau de la ville qui ait un menu à un prix raisonnable le dimanche midi et que d’autre part je peux faire passer ma royale invitation en note de frais au journal.

– J’espère bien, répond Hervé qui se ressert une large part de crudités et un bon morceau de pain.

– Je vous signale que les crudités sont « maison » et non pas sorties d’une maxi-boite de chez Termo… Vous avez vu la serveuse ? dit Tucaume en baissant le ton.

– Oui, elle est très mignonne cette blondinette, répond Hervé.

– Eh bien, je vous déconseille de lui toucher les fesses. J’ai vu un gars qui a cru bon de s’y amuser, la serveuse ne s’est pas choquée pour autant mais la patronne, enfin la cuisinière, l’a vu. Elle est arrivée, a chopé le mec par le colback et l’a collé contre le mur. Le gus n’en menait pas large. Vous avez vu les épaules de la serveuse ? Elle a la taille fluette et les jambes minces mais c’est une sportive. Et Mady, la patronne, c’est un camionneur. C’est des gouines ces deux gonzesses, mais attention à elles, ça ne rigole pas sur le sujet. Par contre, ici on mange parfait. Ah ! Ce n’est pas du trois étoiles au Michelin, c’est mieux : c’est de la cuisine faite en cuisine avec des légumes, des viandes et tout ce qu’il faut. Bon, je digresse, le bordeaux me rend un peu trop lyrique, je devrais me concentrer sur mon sujet : le rombier qui est en train de se régaler au compte du Courrier, vous !

– C’est vrai, je trouve que vous vous laissez un peu aller alors que je suis prêt à causer dans votre micro, cher monsieur !


Ils éclatent de rire et Tucaume ressert une rasade de bordeaux dans les verres.


– Bon, il faut que je me calme, en moins de deux minutes j’ai eu le temps de vilipender quelques millions de personnes et de faire dans la discrimination sexuelle. Vous allez avoir une assez piètre opinion de moi.

– Disons qu’avant de vous entendre, j’avais un préjugé défavorable envers les journalistes et les journaux de province et que maintenant ce préjugé s’est fortement atténué.

– Quelle était donc votre opinion sur les journalistes des journaux régionaux ?

– Disons que je les prenais pour des « couyemols » juste capables de passer la brosse à reluire…

– Mais ce n’est pas un préjugé, cher monsieur, c’est la vérité toute nue ! Je suis cette exception dont tant de gens parlent, l’exception qui confirme la règle ! Les journaux régionaux sont aux ordres et leurs journalistes ont raison quand ils se targuent de ne recevoir aucun ordre. Ils sucent la bite des potentats locaux sans que ceux-ci le leur demandent. Ils anticipent, prévenir vaut mieux que guérir !

– Je croyais vous avoir entendu dire : « il faut que je me calme » ?

– Oh oui, mais vous m’avez entraîné sur un terrain glissant et j’ai encore dérapé. Revenons donc à nos moutons, c’est moi qui pose les questions maintenant. Nom, prénom, âge et profession ? Et qu’ça saute !

– Magre, Hervé, soixante et un an, retraité.

(à suivre...)


dimanche 21 novembre 2021

Contes et histoires de Pépé J II (10) Jean Amadou

 Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Que l’on parle de littérature ou de politique, il est toujours bon de se reporter vers nos glorieux ancêtres dont nous n’avons pas toujours pu écouter les judicieuses leçons. Je vais donc maintenant citer Jean Amadou qui, sans se considérer comme un littéraire ou un politique, se qualifiait plutôt d’amuseur. C’est lui qui, dans une surprenante analyse sur le travail en France, avait dit que dans notre pays quelqu’un qui cherchait un emploi ne cherchait pas forcément du travail.

Donc, il a publié en 1978 un livre intitulé « Il était une mauvaise foi » dans lequel il fait une intéressante autopsie de la technocratie européenne. J’ai bien dit autopsie car cette engeance est toujours cliniquement vivante. J’en cite un extrait :

« Quelques vieux humanistes, derniers représentants de la race qui domina le monde, du Congrès de Vienne à la guerre de 40, imaginèrent l’Europe, dans les années 50. Puis, ils confièrent aux technocrates le soin de l’élaborer. Vingt ans leur ont suffi pour la rater. Et, en vingt ans, ces messieurs n’ont réussi qu’à arrêter régulièrement la pendule de Bruxelles – comment n’est-elle pas encore détraquée ? On se le demande. Les aiguilles bloquées sur minuit, alors que dehors il fait grand jour, les rassurent. Ils s’imaginent avoir arrêté le temps et se prennent pour Josué. Quand ils sortent, les traits tirés, les yeux cernés, c’est pour annoncer devant les caméras de télévision, aux peuples enthousiastes, que la planification du radis est résolue. Le vieux rêve de Schuman, de Monnet, de De Gasperi s’achève en marchandage de fruits et légumes. On part pour les États-Unis d’Europe ; on finit sur le carreau des Halles.

Une des séances les plus amusantes eut lieu lorsque les Émirs dispensateurs de pétrole punirent la Hollande, coupable de soutenir Israël. Les Hollandais se tournèrent vers leurs huit associés et leur parlèrent d’un sentiment tout à fait inconnu : la solidarité.

On vit alors les huit autres, habitués à parler monnaie ou pommes de terre, anxieux et déconcertés. Ce que les Hollandais ramenaient là, sur le tapis vert, n’était pas tangible. On ne pouvait ni l’additionner, ni le répartir, ni même arriver à un compromis, le propre même d’un sentiment étant d’être éprouvé, et non pas d’être divisé.

-Messieurs, déclara le Président de séance, nous avons à parler de la solidarité. Qui veut prendre la parole ?

Il y eut un très long moment de silence. L’un des représentants demanda timidement, par la force de l’habitude :

- Si je donne un peu de solidarité, qu’est-ce que je recevrai à la place ?

- Rien, répondit le Président.

Les technocrates de Bruxelles sont des gens réalistes et habiles, accoutumés à établir des prévisions à long terme, ils savent qu’on peut céder sur la carotte si on se rattrape sur le chou-fleur. Ils ont travaillé sur l’Europe agricole, peiné sur l’Europe monétaire, transpiré sur l’Europe de l’atome. Ils calculent de tête, sans effort apparent, combien font en florins 121 marks plus 285 lires, moins 74 francs. Mais devant la solidarité, ils se trouvaient tout bêtes, comme un ordinateur dont on attendrait une déclaration d’amour.

Quant au délégué hollandais, il faisait figure d’accusé. On semblait lui dire : « C’est à cause de vous qu’on est là, obligés de discuter de problèmes qui nous dépassent ! »

Quelle mouche les avait donc piqués, ces Hollandais, de faire de l’idéalisme et non de la politique  comme tout le monde ? Avec leur solidarité au milieu de la table, les technocrates se sentaient embarrassés et confus. Le Hollandais, lui, était conscient d’avoir commis une faute de goût. Il baissait la tête. Il avait trahi ses frères… »

On voit par-là que, depuis le temps, l’Europe a beaucoup évolué…



jeudi 18 novembre 2021

Dernier tableau (51)

En banlieue ?

– Un peu plus loin que la banlieue proprement dite, Surmilliers si cela vous dit quelque chose.

– Je vois, j’avais une copine dans ce coin-là, j’y allais régulièrement. Mais je ne vous parle pas d’hier, c’était au début des années soixante-dix. Donc vous êtes commerçant à la retraite ?

– Je préfère que vous disiez artisan.

– Bien, artisan à la retraite. Et vous habitez où maintenant ?

– Saint-Lambaire, extra-muros. Je me suis rapproché de la mer, j’aime marcher et j’aime l’air salin.

– Vous êtes donc venu prendre votre retraite ici. Vous connaissiez Artur Leyden ?

– Pas du tout, mais j’ai eu l’occasion d’en entendre parler et ce matin en lisant un journal local, pas le vôtre je suis désolé, je suis tombé sur un entrefilet qui annonçait cette cérémonie.

– Et qu’est ce qui vous motivait pour assister à cette inauguration ? Le whisky ou les cacahuètes ?

– Les deux, mon général, répond Hervé qui commence à se détendre.


Les entrées arrivent avec la carafe d’eau. Hervé s’en sert un grand verre qu’il avale d’un trait et ils attaquent les crudités. La serveuse ramène ensuite la bouteille de bordeaux et sert les deux hommes. Tucaume lève son verre.


à la vôtre !

– Merci, répond Hervé en levant aussi son verre. à votre santé !

– Donc, vous étiez bassement motivé par la boisson et les croquettes pour singe. Et vous ne vous intéressiez pas à Artur Leyden. Et je vais vous croire, bien sûr. Quand je suis arrivé, vous parliez avec la Viquerosse et après avoir bavardé avec moi, vous avez encore discuté avec un couple. Ne croyez pas que je ne vous aie pas vu, je suis journaliste, non pas un viédaze bayant aux coquecigrues…

– Bien, dit Hervé en prenant une tranche de pain. En tout cas, j’avais grand faim et votre invitation est tombée fort à propos.

– Et vous êtes tout disposé à éviter de donner des réponses à mes questions. Je pourrais vous dire que j’ai une grande habitude de la langue de bois mais je ne vous le dirai pas. Puisque vous aimez vous faire prier, je vais vous raconter pourquoi, moi, j’assistais à cette inauguration. Bien entendu, c’est mon métier que d’en être, que de suivre tous ces évènements sans grand intérêt, c’est mon métier de faire, avec bien peu de viande, beaucoup de bouillon. Je suis tombé dans ce petit journal, comme je l’ai dit, il y a trente ans, après bien des années de galère. La place n’est pas extraordinaire, mais au moins je fais le métier que je voulais faire, même si je ne suis ni un grand reporter ni un chroniqueur célèbre. Je suis tout en bas de l’échelle, mais je suis sur mon échelle. Mon verre est petit, mais je bois dans mon verre. J’ai passé le bac en 1972 et j’ai fait une sorte de formation au métier de journaliste. J’ai zoné un peu partout, j’ai fait des reportages dans des usines en grève, chez des producteurs de lait, dans des communautés des Cévennes ou de banlieue parisienne. Puis il y a eu la période Liberté. Avec une figure de proue comme Tayeur, ce nouveau quotidien devait parler des gens, de la base, de la vérité du travail et de la production. Il nous semblait qu’un vent inédit se levait, qu’un vrai journal du peuple était en train d’apparaître. L’équipe du nouveau journal allait recruter des gens à la base, l’info allait enfin être vraie. Eh bien vite cela a été la déception. Ils ont fait travailler ces gens qui allaient devenir les futurs bourgeois de gauche, des gens qui écrivaient dans Liberté et qui avaient en même temps un poste dans la fonction publique, des gens qui habitaient l’étroit village parisien et qui allaient faire de Liberté un canard illisible pour les gens du peuple, qui ont fait de Liberté le journal de la bourgeoisie socialement bien-pensante, le journal de la collaboration avec les puissances d’argent, le journal de la nouvelle classe dominante.

– Ce n’est pas le seul journal qui collabore avec les puissances d’argent, intervient Hervé.

– Mais si, les autres sont les émanations des puissances d’argent. Alors que Liberté est le journal qui se pense être la voix de la gauche et qui est en réalité la voix des nouveaux capitalistes, à savoir tous ces épargnants prébendés par le code du travail ou par les titres divers de la fonction publique. Tous ces gens qui se disent travailleurs et qui sont tout le contraire. Tous ces gens qui donnent des leçons de civisme et d’écologie à ceux qui se traînent dans la misère. Ce sont les nouveaux collabos et Liberté est leur Je suis partout.

– Là, vous y allez fort !

(à suivre...)


dimanche 14 novembre 2021

Contes et histoires de Pépé J II (9) Le vampire

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Je vais vous conter une histoire du siècle passé mais qui pourrait tout aussi bien se passer maintenant. La seule chose qui fait que, de nos jours, nul ne voudrait plus croire à ce genre de chose, c’est l’existence de l’éclairage public, de la télévision et de toutes les sortes d’écrans. Cela fait que bien des gens ne sont plus capables de regarder la nature et de voir dans la pénombre ce qu’il s’y passe.

Comme vous le savez, mon métier de maçon me portait à bâtir des maisons et des granges pour abriter les humains et le bétail ainsi que les fourrages, les outils et toutes autres réserves. Mais ce que je faisais pour les vivants, j’avais aussi à le faire pour les trépassés et, plus d’une fois, je fus amené à réaliser des entourages de tombes et des stèles à la demande des famille des défunts.

Un jour du mois d’octobre, le matin dès huit heures, je me trouvais ainsi dans le cimetière de B* afin de réaliser une stèle sur la tombe d’un ancien du village afin que sa mémoire persiste dans la pierre. Le jour avait commencé à poindre fort timidement et j’amenais mon outillage sur place lorsque je vis comme une ombre s’approcher. Je reconnus une silhouette familière, une de mes voisines pour qui j’avais une grande estime et je dirais que, de sa part, c’était réciproque.,

- Bonjour Elyette, m’écriai-je ! Alors, on n’a pas peur des fantômes à c’t’heure ?

- Ah ! C’est toi, Piéril, j’avais entendu un bruit d’outils et je me demandai qui était là. Qué fas tu aqui ? Tu n’as pourtant pas de morts ici, que je sache !

- Hé non, Elyette, je viens finir pour le pépé Ladoumègue,,,

- Fernand, lou pobré ca ! Et c’est toi qu’ils ont commandé pour sa tombe, je comprends…

- Ben oui, mais moi je viens commencer ma journée alors que toi, tu viens draguer les fantômes ?

- Ecouto mé, povrot ! Si tu savais, tu te tairais. Té, je vais t’en conter une mais tu promets de pas la répéter ou alors tu parles pas de moi, je passerais pour une pégotte… et toi aussi !

- Ah, Elyette, tu peux me faire confiance, tu le sais bien !

- Allez, oui, que je te fais confiance ! Alors, voilà, écoute bien : j’étais encore bien jeunette, tout juste quinze ans, que mon pauvre père m’avait donné un petit chat, tout joli, un petit siamois. Faut dire que j’en rêvais, d’avoir un petit chat. Et voilà que mon père, il va au marché aux chiens, à Valence. Il voulait trouver un chien courant mais il y avait rien de rien, que des brêles. Tu sais comme c’était, ce marché aux chiens, du côté des lavoirs. Il y avait les chiens et puis, vers le bout, en dessous le Tout va bien, il y avait toujours quelque furet à vendre, pour la chasse, pardi ! Et voilà t’il pas qu’il se trouvait une femme avec une portée de petits chats. Mon père avait pas trouvé de chien, il achète un chaton pour moi ! La fête que j’ai faite à son retour, je te dis pas. Et je me l’aimais mon petit Calinou, il me suivait partout, il dormait avec moi. Bon, tout allait bien mais voilà qu’il devient plus hardi, à se promener et c’est comme ça qu’une nuit, plus de Calinou ! Sorti par la fenêtre et je me réveille vers cinq heures, j’appelle doucement – Calinou, Calinou – rien ! Je te dis pas comme j’étais inquiète ! Je me couvre un peu et je sors dehors, toujours j’appelais mais pas de Calinou. Et me voilà à galoper dans le noir, je cherche partout et je finis par arriver à la grille du cimetière, il me semblait avoir entendu un miaou par-là. J’allais entrer et un homme arrive. Mais pas un paysou que j’aurais connu, non pas. Un monsieur, un vrai, en complet veston tout noir. Et il me dit qu’il va me le retrouver mon chat, mademoiselle et tout ! Moi je le trouvais beau, j’étais comme envoûtée. Il vient près de moi, en face, et je vois d’un coup qu’il a les yeux rouges ! Il me tient par les épaules et là je vois son sourire avec deux grandes dents pointues. Je sens qu’il va me mordre dans le cou mais je ne peux pas bouger, je sens son souffle froid, il se penche vers moi !

- Et alors ?

- C’est là que le coq à Desbats pousse un cocorico, un mince filet d’aube apparaît au loin, le monsieur se redresse brusquement et il s’encourt dans le cimetière, je n’ai jamais su où… Tu vois, le point du jour m’a sauvée, j’ai retrouvé mon Calinou et je suis revenue à la maison. Cette histoire, tu es le premier en plus de 50 ans à qui je la raconte. Mais tu vois, pôvrot, ne plaisante plus jamais avec ces choses-là.

C’est tout et c’est une vraie histoire.




jeudi 11 novembre 2021

Dernier tableau (50)

 – Et depuis que vous êtes ici, vous n’avez pas essayé de retrouver Achille ?

– Non, je suis un vieux monsieur aujourd’hui. Je regrette seulement de n’avoir pu rencontrer Monsieur Estrade, lui aussi est un vieux monsieur bien sûr mais il est le biographe d’Artur Leyden. Si j’avais pu parler avec lui, j’aurais essayé de le mettre sur une piste différente. Monsieur Estrade, au sujet de la mort de Leyden, pose la question : accident ou suicide ? Moi je dirais : accident ou meurtre ?

à ce point-là ? Vous pensez qu’il aurait pu être assassiné ?

– Je ne vous raconterai pas ce que le petit Achille m’a dit. Tout ce que je peux dire, c’est que, pour moi qui ai bien écouté son histoire, il y a un doute plus que sérieux. Quoi qu’il en soit, j’ai consigné par écrit le soir même la conversation avec Achille. Et je me demande s’il reste une trace de l’entretien du gendarme avec lui. Mais, excusez-moi monsieur, je dois vous importuner avec mes vieilles histoires…

– Pas du tout, je m’intéresse à l’œuvre de Leyden et aussi à sa vie par conséquent.

– Bien, bien, mais nous devons rentrer maintenant. Enchanté, monsieur.

 

Et le couple s’en va, laissant Hervé rêveur. Ce sacré Leyden, se dit-il, me prend à la gorge depuis que j’ai passé le seuil de ce satané Marondeau… Le mort saisit le vif, dit un adage judiciaire.

Il se trouve perdu dans ses pensées, dans un brouillard auquel le whisky n’est pas étranger. à ce moment, le journaliste revient vers lui.

 

– Vous êtes toujours là ? Cette fois, je vais essayer de vous interviewer un peu, je n’ai rien trouvé à me mettre sous la dent. à ce propos, que diriez-vous si je vous invitais à parler autour d’une table ? Autrement dit, échange de bons procédés, je vous invite à manger et vous répondez à mes questions, juste de quoi donner du corps à mon article.

– Vous ne citerez pas mon nom ? Je ne serai pas en photo ? s’inquiète Hervé.

– Mais non, le photographe est déjà parti, je ne cite un nom que si on me le propose, parfois le prénom et en général un prénom d’emprunt. Alors, vous n’allez tout de même pas refuser mon invitation ?

 

Le cerveau un peu ankylosé, il accepte et suit le journaliste dans les rues de St-Lambaire. Ils arrivent à un petit restaurant-crêperie, chez Lassie. Le journaliste pousse la porte, entre et choisit une table. Une serveuse arrive.

 

– Bonjour, monsieur Tucaume, comment allez-vous ?

– Bien, Marie, bien. Comme tu vois, nous mangerons à deux, qu’as-tu à nous proposer aujourd’hui ?

– La suggestion du jour : canard à l’orange, frites. Une petite entrée crudités avant si vous voulez.

– Qu’en pensez-vous ? dit Tucaume en s’adressant à Hervé.

– Ça marche, crudités et canard à l’orange.

– Et comme boisson ? demande la serveuse.

– Aimez-vous le vin rouge ? Un petit bordeaux ? Ils ont quelque chose de très bien. Cela vous dit ?

– Volontiers, mais avec une carafe d’eau et un deuxième verre. Je ne sais déjà plus si j’ai bu deux ou trois whiskies, je voudrais tenir debout tout de même…

– En attendant, restez assis, coupe Tucaume. C’est dimanche, j’espère que vous n’êtes pas pressé ?

– Non, non, tout va bien. Mais un peu d’eau ne me fera pas de mal.

– Vous n’avez pas peur de rouiller ! Enfin, cela vous regarde, dit Tucaume en riant. Bon, je crois que je ne me suis même pas présenté : Frédéric Tucaume, Fred pour les intimes. Je suis journaliste au Courrier d’Émeraude comme vous le savez. Et depuis trente ans dans ce canard. Je fais parfois des piges pour d’autres canards…

à l’orange par exemple, souffle Hervé.

– Bien vu, je n’y avais pas pensé. Et vous, vous faites des piges pour l’almanach Vermot ?

– Vous me donnez une idée, si vous pouviez me pistonner, ça arrondirait ma retraite…

– Donc, vous êtes retraité. Vous étiez dans quoi ?

– Mécanique générale automobile. Garagiste, si vous préférez. à mon compte. J’avais un garage dans la région parisienne.

(à suivre...)

dimanche 7 novembre 2021

Contes et histoires de Pépé J II (8) Le bois des serments

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Il y a encore, malgré les mesures dites sanitaires, des vide greniers qui sont organisés ça et là dans nos départements. Les enmarchistes essayeront bien de les interdire un jour sous des prétextes divers comme ils savent si bien les imaginer mais c’est une pratique qui perdure encore dans nos villages. Et, précisément, j’en visitais un le dimanche matin de bonne heure lorsque j’arrivai au stand d’une aimable dame qui non seulement vendait des livres présentables mais encore savait ce qu’elle avait dans ses caisses. Et pour une somme minime je fis l’acquisition d’un beau roman régional « Le bois des serments » dont l’auteur est Alain Paraillous.


Je connaissais déjà cet auteur pour son « Dictionnaire drôlatique du parler gascon » que je garde volontiers sous le coude pour me récréer un peu de ses amusantes illustrations. Je l’avais trouvé en librairie et ne peux que vous le recommander.


Mais revenons au « Bois des serments » : c’est un roman bien ancré dans l’histoire post napoléonnienne, je ne sais pas si elle est authentique mais le personnage principal, Aurélien Delproux, est un des acteurs de la fin du Premier Empire, on le trouve dans la neige et la glace de la Bérézina et il est laissé pour mort sur le champ de bataille de Waterloo. Il sort de son coma en sentant qu’un pilleur de cadavres est en train de lui voler sa bourse. Il récupère sa bourse mais le voleur a réussi à lui subtiliser un précieux rasoir à manche d’ivoire, cadeau d’un colonel qu’il avait sauvé lors de la retraite de Russie.


Aurélien a pris un coup à la tête mais il s’en sort et retourne au pays, dans son village de Ponvieil, près de Xaintrailles en Lot-et-Garonne. Là-bas, il avait laissé il y a trois ans la douce Sylvette avec laquelle ils se sont jurés fidélité jusqu’à son retour, ils devront se retrouver aux pierres de Cabeil, le lieu des serments. Et le même soir, ils avaient passé le pas, comme s’ils étaient déjà mari et femme.

Mais, trois ans ont passé et Sylvette s’est mariée à un riche négociant local qui fait principalement commerce du bois. Et ils ont un enfant.


Apprendre cela lui porte un coup aussi terrible que celui qu’il avait pris à Waterloo mais c’est un paysan qui a la trempe des aciers dont on fait les faux, il se relève et repart au travail. Sur son modeste héritage, il y a peu à espérer, sa terre est maigre et peine à nourrir son homme. Sauf si… sauf si on regarde bien, si on voit où vont les choses et Aurélien a ce don de voir ce qui peut advenir. Il découvre une richesse qui est celle des chênes liège et il se lance dans l’aventure avec comme associé et bailleur de fonds le mari de Sylvette. Et l’avenir leur sourit, Aurélien sait tirer parti de ces arbres qui étaient considérés comme du mauvais bois mais qui peuvent fournir du bon liège à bouchons. Tout ne sera pas rose, un hiver terrible fera geler et mourir les arbres mais la volonté des hommes ne faillira pas.


Et pour finir… ah mais ne croyez pas que je vais tout vous raconter, courez plutôt acheter le livre, édité aux éditions de Borée !


On voit par-là qu’il faut toujours en garder pour la bonne bouche.




jeudi 4 novembre 2021

Dernier tableau (49)

à mon avis, il n’était pas là, pas que je sache en tout cas. Madame Secondat a pris la parole et a parlé du travail de monsieur Estrade sur Artur Leyden.

– Qui est cette dame ? s’écrient en chœur le vieux monsieur et son épouse.

– Madame Secondat, née Antonia Viquerosse, la fille de la cousine d’Artur Leyden.

– Ah ! Vous m’en direz tant, s’exclame le monsieur. Le dragon qui garde l’entrée de la caverne du souvenir d’Artur Leyden ! Elle serait mariée à présent ?

– Oui et elle a deux beaux enfants, ma foi, répond Hervé.

– J’aurais aimé rencontrer monsieur Estrade, je l’avais bien connu du temps où il était conservateur ici. J’ai eu l’occasion de lire ce qu’il a écrit sur Artur Leyden, c’est très intéressant au point de vue artistique, mais il y a quelques approximations biographiques tout de même !

– Vous avez bien connu Artur Leyden ?

– Personnellement, non. Mais j’étais jeune instituteur à l’époque de sa mort. Son corps avait été retrouvé un matin sur des rochers au pied d’une falaise entre Cancale et St-Lambaire, bien des rumeurs ont circulé, on a parlé de suicide, de meurtre… Sous la pression des autorités, les gendarmes et le procureur ont rapidement conclu à un accident. Vous comprenez, un suicide, à l’époque, c’était impensable, rendez vous compte, il n’aurait pu être inhumé religieusement ! Quant à la thèse du crime, cela faisait désordre dans la petite société lambairienne. Cela arrangeait bien les choses que cela soit classé comme accident car cela permettait de classer une autre affaire en cours.

– Vous me paraissez bien au courant !

– Oui, j’ai suivi l’affaire d’assez près à l’époque. J’étais enseignant dans une petite école, à La Brémarde, non loin d’ici.

– Je connais un peu, intervient Hervé.

– Dans ma classe, il y avait un gamin, un gosse de l’assistance placé chez des fermiers du coin. J’avais remarqué ce garçon qui, de prime abord, semblait un peu simplet. En réalité, il était lent mais intelligent. Et très renfermé. Au moment de la mort d’Artur Leyden, mort qui fut suivie de peu par la mort d’une jeune fille qui était la fille des gens chez qui était placé le gamin dont je vous parle, je remarquai qu’Achille – c’était son prénom – Achille donc, était très perturbé. Il s’était mis à parler tout seul, même parfois pendant la classe, ce qui lui valait des moqueries de la part des autres garçons. Il partait en marmonnant et un soir je réussis à l’intercepter avant qu’il ne s’en aille. Ce gamin avait, me semblait-il, quelque peu confiance en moi et je réussis à lui faire dire ce qui le préoccupait tant. Il avait perdu les deux seules personnes pour lesquelles il avait de l’affection : Artur Leyden puis la petite Juliette Veudenne, morte noyée peu après comme je vous l’ai dit. Ce qu’il m’a raconté ensuite m’a fait dresser les cheveux sur la tête. Je ne peux pas vous dire tout ce qu’il m’a dit. Mais je pensais que je pouvais le croire. Les gosses sont capables d’inventer, d’affabuler, certes ! Mais il y a des moments où, avec un peu de sensibilité, on sent les choses et on arrive à démêler le vrai du faux. Ce que disait le gamin était grave et je me sentais dans l’obligation d’en référer à la justice. Que faire ? Je me suis rendu à la gendarmerie, j’ai rencontré un jeune gendarme qui m’a écouté. Il a essayé de prendre l’affaire en main avec un de ses collègues. Il s’est rendu au Bussiau, il a entendu le gamin et il a enquêté un peu plus. Très vite, on lui a donné l’ordre d’abandonner cette affaire et il a été déplacé dans une brigade du département du Nord. L’affaire a donc été classée, le petit Achille a été retiré de chez les Veudenne et a été envoyé dans un foyer du côté de Rennes. Je n’en sais pas plus, mais c’est une histoire qui m’a marqué.

– Ce que le petit Achille vous a raconté était donc si terrible ?

– Oui, répond le vieux monsieur.

– Et le gendarme, vous l’avez revu ?

– Jamais. Je suis retourné à la brigade, j’ai demandé à le voir et c’est ainsi que j’ai su qu’il avait été muté mais on n’a pas voulu me dire où. Je n’ai jamais su rien de plus.

– Et vous en avez parlé à d’autres personnes ?

– J’ai bien essayé d’aborder cette affaire avec mon supérieur direct mais il m’a conseillé d’attendre. Oui, d’attendre… attendre quoi, je vous le demande !

– Et vous avez eu des nouvelles d’Achille ?

– Aucune non plus, il faut dire que nous nous sommes mariés à cette époque et que j’avais demandé un poste sur Le Mans, d’où est originaire mon épouse. Je l’ai obtenu et nous sommes partis nous y installer. Nous ne sommes revenus sur la région que depuis que nous sommes tous les deux à la retraite, cela fait plus de dix ans. Le temps a passé mais je n’ai pas oublié cette histoire et c’est pour cela que je n’ai pas pu m’empêcher de passer par ici en revenant de la messe.

(à suivre...)