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dimanche 27 novembre 2016

Chronique de Serres et d’ailleurs II (10)

Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. La pénibilité au travail, on en parle et on en reparle mais qu’en sait-on réellement ?
Il y a quelques années de cela, l’expression est devenue à la mode dans les milieux que j’appellerais compétents, à savoir les représentants du patronat, les syndicats, les spécialistes du ministère du travail et les politiciens. La liste n’en est pas exhaustive.
Donc, pendant que d’aucuns bossaient dur, d’autres parlaient de pénibilité au travail sans toujours savoir de quoi ils parlaient. Je n’ai pas dit qu’ils ne savaient pas ce qu’ils disaient car les gens compétents savent toujours ce qu’ils disent. Cela n’est pas pour autant qu’ils savent de quoi ils parlent. Mais ils sont dans les milieux autorisés et généralement bien informés, ainsi que le dirait un journaliste moyen.
Or, une personne compétente et qui sait ce qu’elle dit a parfois une étincelle de lucidité qui lui fait comprendre qu’elle ignore un peu de quoi elle parle. Donc, dans les milieux compétents on a jugé nécessaire d’aller sur le terrain pour recueillir des informations sur la pénibilité au travail. Un corps d’inspecteurs de la pénibilité au travail a donc été créé dans ce but. Hélas, ces personnels étaient formés au travail de la fonction publique et n’étaient donc nullement préparés à affronter la pénibilité réelle au travail. Ce fut subséquemment une hécatombe, à juste titre, car la centaine de ces inspecteurs envoyée sur le terrain a disparu corps et biens, les uns purement et simplement détruits par le travail, Moloch insatiable, les autres brutalement happés par la retraite anticipée, hydre aux mille têtes.
Il fallut bien se rendre à l’évidence, on n’y arriverait pas ainsi. On choisit donc un certain nombre d’ouvriers et d’ouvrières travaillant dans des conditions sordides, bruyantes et dures. On leur proposa la possibilité de partir plus tôt à la retraite mais, fort avisés, celles-ci et ceux-ci refusèrent cette proposition. Non qu’ils fussent désireux de continuer à travailler dans des conditions pénibles mais parce qu’ils et elles préféraient encore leur maigre salaire, même pour un labeur pénible, à leur encore plus mince retraite.
Cela ne perturba pas l’aréopage de têtes pensantes des milieux compétents. De l’argent avait été alloué pour compenser la pénibilité au travail et il fut donc unanimement attribué aux membres de cette commission qui purent prendre une retraite bien méritée après s’être si durement penchés sur une telle question. Qui acheta une villa sur la côte, qui se fit construire une piscine et qui fit l’acquisition d’un camping-car.
On voit par là qu’il n’est pas simple de faire le bonheur des autres et que gratitude bien ordonnée commence par soi-même.

jeudi 24 novembre 2016

René-la-Science (25)



Et nous allâmes jusqu’à l’endroit où nous prévoyions de creuser, déchargeâmes les outils et les bidons. Nous traçâmes avec de la chaux la direction à prendre pour creuser. Le temps de discuter un peu, il fut quatre heures et demie et nous entendîmes arriver le camion avec la mini pelle. Nous redescendîmes à pied pour l’accueillir. Le gars déchargea l’engin, il aurait bien voulu discuter, regarder le chantier de la bergerie, mais Michel le rembarra assez sèchement au prétexte qu’on n’avait pas le temps. Le chauffeur me montra rapidement le fonctionnement de la machine, il salua, remonta dans son camion et s’en alla.
— Ouvre ton portail, maintenant, que je rentre avec mon char dans ta forteresse, je criai assis sur la machine.
Il ouvrit le portail et je partis en direction de la colline. Une fois arrivé sur place, je me mis à creuser. La pelle fonctionnait bien et j’arrivai à peu près à m’en sortir : creuser, puis déblayer. J’entamai le pied de la colline et en effet, la terre ressemblait assez à du remblai, une fois passée la mince couche de terre végétale. Je continuai ainsi et à six heures passées, j’arrêtai la machine.
— Qu’est-ce que tu fais, tu vas pas t’arrêter maintenant ? Me dit Michel.
— Si, j’ai invité mes amis du Blédard au restaurant, je ne vais pas continuer toute la nuit, je lui répondis. Je vis bien qu’il faisait la gueule, mais je descendis de la pelle, je mis l’antivol et je mis la clé dans ma poche.
— T’as peur que je m’en serve cette nuit ? me dit Michel.
— Je ne sais pas, mais je suis responsable de l’engin, c’est moi qui ai fait le chèque de caution, c’est moi qui garde la clé. Allez, je vais y aller, descend-moi jusqu’au portail en voiture et tu m’ouvres.
Nous repartîmes donc et nous donnâmes rendez-vous pour le lendemain à huit heures ici-même. Evidemment, en arrivant chez René et Colette, je trouvai mon René dehors, aux nouvelles. Je ne passerai pas à côté, me dis-je. Je le mis donc au courant de tout. Il était quand même assez étonné de constater que je m’étais embringué dans une drôle d’affaire. Et qu’en plus, j’avançais des fonds sur un résultat sinon hasardeux, tout au moins spéculatif. Mais nous ne pûmes épiloguer longtemps car après un brin de toilette, nous partîmes pour Villeneuve où j’avais réservé une table pour nous trois au restaurant « A la gigogne ». Le nom m’avait plu, et je m’étais fixé sur cela. René et Colette me brocardèrent un peu, car c’était le restaurant le plus coté de Villeneuve. Nous y arrivâmes et prîmes place La carte était en effet intéressante et les prix étaient en conséquence. Je précisai bien à mes amis que je connaissais le niveau de l’établissement et que nous n’étions pas ici pour faire des économies, mais que je souhaitais vraiment leur offrir un repas de qualité. Nous en étions à regarder la carte quand entrèrent quatre personnes, je reconnus Sylvie et je supposai que le malabar aux cheveux noirs était son Roger de mari. Ils étaient avec un autre couple. Ils passèrent à côté de nous et Sylvie, un peu surprise, me salua.
— Bonjour Monsieur, dit-elle, bonjour madame, monsieur, ajouta-t-elle à l’intention de mes amis.
— Bonjour Madame, répondîmes-nous en choeur.
— Tu connais ? Demanda son mari.
— Un client du magasin, lui répondit Sylvie en s’éloignant.
(à suivre...)

dimanche 20 novembre 2016

Chronique de Serres et d’ailleurs II (9)

Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Il n’y a pas que la ponctuation qui souffre, il y a aussi les tortures infligées aux mots ; en effet, il suffit d’écouter les présentateurs de radio ou de télévision pour le constater. Je prendrai pour premier exemple le mot périple qui, au départ et par étymologie, signifie circumnavigation et qui est couramment utilisé pour parler de voyages terrestres. Même d’éminents lexicologues tolèrent cette acception, il faut bien vendre du dictionnaire que diable ! Le mot « télévision » est déjà un barbarisme puisque composé d’une tête grecque et d’une queue latine et ceci prouve que ce média était condamné à la médiocrité dès le départ mais je m’en voudrais de fustiger les seuls audiovisuels alors que les scribouillards ne sont pas en reste envers leurs collègues babillards. La presse de province, en particulier dans ses pages sportives, est une mine d’utilisations abusives de notre malheureux lexique.
Je vous propose donc un mot en ce jour de repos et ce mot est : mogigraphie. Je n’ai pas dit : mogilialisme, non, cela est bien différent car il s’agit une manière élégante de nommer le bégaiement. Je ne vais pas proposer une pinte de bière tiède au premier ou à la première qui aura trouvé la signification de ce mot car il n’est pas simple de faire parvenir ce genre de lot par la poste. La mogigraphie est, en réalité, la crampe de l’écrivain et vous aurez compris que c’est ce qui m’affecte, d’autant plus que ce genre de crampe pourrait atteindre le cerveau. Etre trahi par son poignet est une chose, avoir sa pensée au bord du claquage en est une autre.
Ne pouvant soulager mes maux dans les brumes septentrionales, j’ai consulté le bon docteur V. (ce dernier tient à rester anonyme) qui soigne par les plantes. En effet, il soigne les malades par les plantes des pieds ; c'est-à-dire qu’il introduit dans les chaussettes du patient un fin broyat dynamisé selon une méthode analogue à celle du Dr Hahnemann, inventeur de l’homéopathie. Le traitement qui m’a été administré par le bon docteur V. fut un traitement expérimental. En effet, le traitement de la mogigraphie n’avait jamais été tenté par cette méthode, cela pour la bonne raison que le bon docteur V. est diplômé de l’Ecole vétérinaire et que l’on connaît fort peu d’animaux souffrant de mogigraphie. Mais je dirai que l’essai fut concluant. Le bon docteur a donc garni l’intérieur de mes chaussettes avec de la plume d’oie en poudre mélangée à de la seiche broyée. Le postulat de départ étant que « similia similibus curentur », il fallait traiter le mal de l’écriture par ce qui permet l’écriture. Or, si l’écriture a beaucoup évolué depuis le stylobille jusqu’à l’imprimante multifonctions, il n’en reste pas moins qu’elle s’est longtemps pratiquée avec une plume d’oie finement taillée. Un traitement à la plume d’oie ne peut qu’affiner et rendre plus légère une écriture parfois un peu lourde par exemple. Pour ce qui est du broyat de seiche, nous n’ignorons pas que cet animal, joliment appelé chipiron par les basques, est l’inventeur de l’encre. Donc, suite à une seule application de douze heures dans des chaussettes de qualité, je me suis vu reprendre mon activité écrivante sans douleur ni difficulté. A la fin de la journée, j’ai retiré un mulching honorable du fond de mes chaussettes et je l’ai ajouté sur mon tas de compost. Certains pourraient penser que cela peut se fumer mais j’ai abandonné la pratique du tabac depuis quelque temps et plutôt que de pétuner, je préfère maintenant fumer mon potager.
Cela dit, je m’en tiens à l’écriture au clavier mais je ne dédaignerais pas de tenter l’écriture à la plume d’oie. J’attendrai le retour des oies sauvages pour ne pas déplumer les gardiennes du Capitole et la migration des chipirons hors du port de Ciboure pour ne pas dégarnir la carte des restaurants locaux
On voit par là qu’il faut du poignet pour sauver les mots.