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dimanche 30 juillet 2017

Six semaines à bord du Jamaïca (4)



4. L’océan Atlantique. Du 3 au 10 octobre.
Auditrices et auditeurs de CoolDirect bonjour. Plus de doute, nous sommes dans l’océan Atlantique. Cette étendue d’eau est infinie, que le regard se porte à tribord, bâbord, avant ou arrière. Sans oublier la troisième dimension, la hauteur et son pendant, la profondeur car nous voguons au-dessus d’abysses. La carte marine affichée dans le mess indique actuellement une profondeur de quatre à cinq mille mètres. Maintenant on sent bien que les vagues sont plus soutenues et plus amples. Notre cabine dispose de deux hublots, presque des fenêtres et, comme elles sont à l’avant-dernier étage du château, nous avons une bonne vue sur l’océan, nettement au-dessus des plus hauts conteneurs. Pour avoir vraiment le contact avec l’air marin, il y a de chaque côté, au bout de notre couloir, un pont sur lequel nous pouvons aller. Suivant le vent, il y a un choix à faire car le vent rabat l’odeur fade et écœurante des fumées. Il est aussi judicieux de passer à son cou la courroie de l’appareil photographique ou des jumelles car, quand le vent souffle en rafales, il n’est pas impensable de se les faire arracher. Tous les 2 jours, on nous avertira d’un changement d’heure, C’est fou les heures de sommeil qu’on gagnera !
Nous voilà partis pour 10 jours d’océan à perte de vue, le moindre bateau à l’horizon est presque un évènement. Avec près de cinq kilomètres d’eau sous les pieds, c’est peut-être le moment de parler des procédures d’urgence à bord. Trois éventualités sont prévues en ce qui nous concerne : l’alarme générale pour laquelle la sirène émet sept signaux courts suivis d’un long, l’alarme au feu donnée par deux signaux longs, et l’alarme en cas d’abandon du navire signalée par un signal court suivi d’un signal long. Dans les deux premiers cas, les passagers doivent se rendre d’urgence sur le Pont supérieur et dans le cas d’abandon du navire à l’étage B où se trouvent les radeaux et les canots de survie. Dans notre cabine, nous avons en outre chacun une life jacket et une combinaison d’immersion. J’ai eu l’occasion d’entrer dans un des canots de survie, rien à voir avec les chaloupes d’antan. Ce sont des canots fermés, en principe insubmersibles où l’on est serré comme des sardines. Des bouées sont prévues sur tous les ponts.
Le guidage par satellite (GPS) de mon téléphone portable continue à fonctionner. Cela m’avait permis d’identifier les côtes et Clarke m’indique comment afficher les coordonnées géographiques du bateau que nous reportons sur la carte marine épinglée dans le mess des officiers. À l’aide de ce point régulier nous pouvons voir notre avancement dans cet océan où nous avons à parcourir quelques 6 600 kilomètres pour atteindre le port de Charleston.
Bien que la mer soit calme, les conversations sont agitées à table entre les passagers car un ouragan appelé Matthew remonte des Bahamas vers la côte est des Etats-Unis. Comme les passagers américains ont une connexion satellite, nous avons donc un grand nombre d’information sur ce Matthew. A onze heures, la sirène retentit pour une alarme générale. Le haut-parleur de cabine envoie un message signalant un damage, soit une avarie et se termine en demandant aux passagers de ne pas réagir. Nous constatons que le navire est, sinon arrêté, tout au moins à vitesse très réduite. Nous n’aurons aucune précision sur cet incident mais quoiqu’il en soit le navire repart. Dans l’après-midi, nous entrons dans un brouillard assez dense. À 17 heures 20, la corne de brume est mise en route, au rythme de six secondes toutes les deux minutes.
Nous sommes au-dessus de la plaine abyssale de Suhm, à une profondeur de 6 000 mètres. Le port de Charleston sera fermé jusqu’à mardi à cause de l’ouragan, le navire va ralentir sa vitesse pour rejoindre le port au plus tôt mardi 11. Le  planning prendra certainement du retard, car les bateaux qui n’auront pas pu aborder dimanche et lundi aborderont mardi. De plus, voilà qu’une tempête tropicale appelée Nicole souffle sur les Bermudes en remontant vers notre route. Le capitaine (master) nous affiche maintenant les informations sur l’ouragan et la tempête. Ces informations sont en anglais, bien sûr, car, si l’armateur du bateau est une compagnie française, la seule langue officielle à bord est l’anglais, tant pour les relations avec l’équipage que pour tous les documents écrits.
Les repas sont servis selon un horaire strict et un officier a demandé au steward de nous le rappeler. Nous avons une demi-heure pour manger et, pour être bien surs que nous n’abuserons pas, le plat chaud est servi tiède sinon presque froid : il est certain que cela fait gagner du temps. A moins qu’on ne repasse son assiette au four à micro-ondes, ce qui évidemment rallonge le temps… Il est difficile de savoir ainsi par quoi commencer puisque la soupe n’est guère plus chaude…. Et la viande a eu le temps de dessécher aussi dans l’assiette… Que faire ? Il y a chaque jour les mêmes crudités : rondelles de carottes, de concombre (à moins que cela ne soit de la courgette), oignon… au bout de quelques jours, on s’en lasse… j’ai déjà trop parlé, une demi-heure est bien vite passée !
Le dimanche, nous passons au large des Bermudes. Nous sommes toujours dans l’océan et au ralenti pour laisser passer Matthew. Le capitaine a expliqué brièvement qu’un bateau, l’année dernière, a voulu braver un ouragan. C’était un grand bateau aussi mais il a été perdu avec tout son équipage. De quoi inciter à la prudence...
C’est l’occasion pour parler un peu de la vie à bord. Dimanche est ici un jour comme les autres pour des marins qui travaillent sept jours sur sept. On avait entendu dire que les passagers mangeaient à la table du capitaine, billevesées ! On ne le voit que rarement, ce capitaine et quand on a l’occasion de le voir il s’est bien souvent déjà courtoisement éclipsé. On le voit parfois finir son repas en vitesse, partir avec son dessert et pfouittt !
Pendant la matinée, un message par haut-parleur nous avertit d’une inspection des cabines et en effet un groupe passe dans le couloir avec le capitaine. Notre porte étant presque toujours ouverte, nous les voyons passer mais il ne s’agit que d’un survol, le master nous demande si tout va bien, oui, c’est tout. Et de plus, tel l’éternel malchanceux qui s’enrhume jusque sous les tropiques, me voilà pourvu d’un rhume ou d’une petite crève due à la climatisation excessive. Il me faudra bien deux jours pour m’en défaire et dix minutes pour trouver comment bloquer les bouches d’arrivée d’air.
On se rapproche des côtes, les oiseaux viennent nous l’apprendre, ils sont trois ou quatre à tourner autour du bateau. Parmi eux, une sorte de petite mouette grise et blanche, apparemment très fatiguée qui s’installe sur un conteneur devant nos fenêtres et qui y restera plus d’une heure.

jeudi 27 juillet 2017

René-la-Science (60)



— Oui et je t’en suis reconnaissant mon cher René.
— Et c’est tout pour cette nuit ?
— Eh bien, pour cette nuit en effet, oui. Madame me soutirait au bois cette nuit et Monsieur faisait la mise en boîte au château ce matin.
— Abrège, Fortunio, tu me lasses et on va arriver au Clézeau.
— En bref, Roger Fauchet, espaces verts et accessoirement cul et chemise avec Vitteaux maçonnerie et BTP, est venu me trouver sur mon chantier du château. Il a débarqué avec deux gusses chargés, d’après moi, de faire de la figuration en élaguant dans le parc et il est venu me trouver. Aimable et tout, pas de problème…
— Il est venu te remercier d’avoir baisé sa femme ?
— Je ne pense pas qu’il soit au courant. Il venait me signaler que je marchais sur les plates-bandes de Vitteaux et me proposer de ne répondre à l’appel d’offres qu’après concertation avec lui et Vitteaux.
— Oui, c’est la grosse boîte du coin. Et en contrepartie ?
— Des cacahuètes, éventuellement. De toute façon, j’ai accepté, je ne vais pas aller chercher les emmerdes alors que je ne suis même pas de taille à prendre le chantier. Mais il y a une question que je me pose : qui a récupéré la clé de la cave et comment a-t-il su ?
— Et tu as la réponse ? Me demanda René.
— Peut-être. Il y a un traître dans cette ténébreuse affaire et ce traître…
— Ah, tu ne vas pas encore me soupçonner ! Dit René en tapant du plat de la main sur la planche de bord du fourgon.
— Voyons, voyons, toi René dit La Science. Un ami de trente ans ! Pas toi quand même, dis-je en me garant devant le restaurant. Je me suis mal exprimé, j’aurais du dire : une traîtresse, et non point un traître !
— Sylvie ?
— Non pas, mon cher ! Magali, la charmante Magali qui s’est servie de mon portable pour appeler ce gros ours de Fauchet, elle a récupéré les clés du fourgon dans la poche de mon pantalon pendant que je dormais encore, hier matin. Elle a sans doute cherché mon identité dans mes papiers et a appelé avec mon portable le Fauchet.
— Comment le sais-tu ?
— Déduction, mon cher Watson, élémentaire déduction. Ou plutôt, c’est mon seul commencement de début d’explication… Mais allons manger, j’en ai vraiment besoin.
Et nous entrâmes dans le bistrot restau. Je retrouvai les deux tronches lumineuses de la veille avec trois autres techniciens en distillation quotidienne, tous les cinq accoudés au bar et branchés sur l’apéro de midi. Nous prîmes place dans un angle un peu au fond de la pièce, à une petite table avec deux couverts. Le patron arriva et nous proposa la formule du jour que nous acceptâmes illico. Nous déclinâmes sa proposition d’apéros, mais acceptâmes de prendre une petite carafe de rouge, histoire de ne pas nous singulariser tout de même.
(à suivre...)

dimanche 23 juillet 2017

Six semaines à bord du Jamaïca (3)



3. Retour en mer du Nord, Manche puis mer Celtique. 1 et 2 octobre.
Auditrices et auditeurs de CoolDirect bonjour. Une fois que nous avons quitté Bremerhaven, nous longeons à nouveau la côte nord de l’Allemagne puis des Pays-Bas en passant à côté des îles de la Frise. Depuis notre premier jour de navigation, j’ai découvert incidemment que mon téléphone cellulaire, qui ne capte plus les réseaux téléphoniques et internet, capte toutefois les signaux GPS. Je peux donc suivre notre navigation et identifier les côtes. J’apprends aussi à me servir valablement de mes jumelles et du zoom de mon appareil photographique. Ce qui peut paraître simple sur la terre ferme l’est bien moins sur un navire avec les mouvements du bateau et un vent puissant. On aperçoit les plateformes pétrolières en mer du Nord. Je les avais prises, au premier abord, et vues de loin, pour des baraques de frites. Mais qui achèterait un cornet de frites en pleine mer ? Je vous le demande. Dans la nuit de samedi à dimanche, nous avons notre premier changement d’heure. En reculant nos montres, nous nous mettons ce jour à l’heure de Greenwich (GMT) et gagnons donc une heure de sommeil. Le changement d’heure est annoncé par haut-parleur en fin d’après-midi et il est utile d’y être attentif pour ne pas arriver trop tôt à la cantine le matin.
Après la Manche en direction de l’Amérique, ce n’est pas encore l’océan mais la mer Celtique. Je ne la connaissais que par la litanie du bulletin de la météo marine sur France Inter, le dimanche soir. Il y avait des noms de mers et de lieux à faire rêver : Dogger, Fisher, Celtic, German, mer d’Iroise… maintenant, c’est pour de vrai ! Nous longeons les côtes de Cornouailles, encore un nom musical et biscornu, d’où vient-il ? Pas d’internet sur le bateau pour vérifier : quel plaisir car en pleine mer on a ainsi le droit de ne pas tout savoir.                    Cela fait plusieurs jours que nous sommes partis et il est temps de décrire notre espace de vie, le château.  En montant l’échelle de coupée pour accéder au navire, on accède au niveau « upp » du bateau : l’entrée dans le couloir intérieur se fait par des portes étanches avec sas et rebords. Chaque niveau du château comporte un couloir qui fait toute la longueur avec une porte à chaque bout qui permet d’accéder aux coursives ou ponts extérieurs. Le niveau U (upp) comporte la salle de contrôle du navire, la salle de conférence, la salle de contrôle incendie, des toilettes, la chambre froide, le lieu de stockage des provisions et des boissons ainsi que le local des poubelles. Un escalier et un ascenseur desservent dix différents niveaux et sous le niveau U, il y a encore la salle de contrôle des machines. L’ascenseur dessert uniquement les niveaux U à G, donc huit niveaux, l’accès au niveau des machines et du pont supérieur se faisant uniquement par l’escalier (stairway). Les marches de l’escalier sont d’une hauteur de vingt centimètres et chaque étage est desservi par deux volées de sept marches, je compte donc quelques 2,8 mètres par niveau ce qui pourrait représenter une hauteur de château (hors antennes et radar) de 25 mètres au-dessus du niveau de la ligne de flottaison. Le niveau A comporte l’office et le mess de l’équipage, ceux des officiers, la cuisine et deux plonges. Les passagers prennent leur repas au mess des officiers. Au niveau B, il y a les cabines des membres de l’équipage, une buanderie, une sècherie et une chambre de repos. Sur le pont, à l’extérieur, se trouvent les bateaux de survie. Au niveau C, les cabines des marins qualifiés, les salles de récréation de l’équipage et des officiers, le gymnasium, le sauna et la piscine intérieure. Au niveau D, les cabines des mécaniciens, du subrécargue, du cuisinier et du bosun (le maître d’équipage ou bosco) ainsi que la salle d’air conditionné et la salle des archives. Au niveau E, les cabines du propriétaire, des second et troisième ingénieurs, du chef officier, du quatrième officier, de l’électricien et d’un marin qualifié G. Au niveau F, les cabines du pilote, de l’ingénieur en chef, du capitaine et des second et troisième officiers ainsi que la buanderie pour les officiers. Le niveau G est le niveau où nous logeons avec les cabines dites « cabines des représentants du propriétaire A et B». Il y a aussi des locaux techniques et deux salles de musculation. Le dernier niveau est le niveau du pont supérieur (bridge) avec la passerelle vitrée que l’on voit tout en haut du château et où se situent la timonerie et la carterie. C’est donc par le niveau U que nous sommes entrés dans le navire. Nous y avions été présenté au troisième officier, un philippin aimable mais toujours pressé. C’est lui qui avait pris note de nos identités et la garde de nos passeports en échange de quoi il nous avait remis un badge pour le contrôle par les autorités américaines ou mexicaines.