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jeudi 28 avril 2022

Dernier tableau (74)

 

7. Printemps






Le jeudi midi suivant, il va déjeuner chez Sara. Lorsque celle-ci descend pour ses cours, il trouve un prétexte pour rester un peu et en profite pour remettre les billets en place dans la mallette.

Cela fait, il rentre chez lui juste à temps pour éviter de prendre une averse sur le dos. Au moment où il entre dans son appartement, le téléphone sonne. Il décroche.


– Monsieur Hervé Magre ?

– Oui, c’est bien moi. Que voulez-vous ?

– Je vous passe monsieur Trouvé, il désire vous parler.

– Monsieur ?

– Monsieur Trouvé, à la maison de retraite de Lamallieu.

– Oh oui, bien sûr, monsieur Trouvé, oui oui, passez le moi.

– Monsieur Magre ?

– Oui, monsieur Trouvé. Comment allez-vous ?

– Ça va, ça va. Vous savez, j’ai mis du temps, j’ai réfléchi…

– Oui ?...

– Vous pouvez venir me voir, on parlera, venez un après-midi, en début de semaine prochaine.

– Lundi, si vous voulez. Vers trois heures, enfin quinze heures, cela vous irait ?

– Lundi, oui, c’est bien. Vous pouvez même venir à deux heures, je pourrai vous offrir un café.

– Volontiers, je viendrai à deux heures. Je porterai un gâteau. Vous aimez les pâtisseries ?

– Oh, monsieur Magre, c’est mon péché mignon. Mais vous n’êtes pas obligé…

– Alors à lundi quatorze heures, vous aurez le café et je porterai le gâteau. à lundi ?

à lundi. Au revoir, monsieur.


Il raccroche, tout tourneboulé. Il ne s’y attendait plus, il n’y croyait plus. Il aurait voulu y aller tout de suite, demain. Mais attendre jusqu’à lundi ! Il est trop excité par cette nouvelle pour tenir en place. Il part à pied, malgré la pluie, et suit le bord de mer pendant deux bonnes heures.


*

Le lundi matin, il va dans une pâtisserie et choisit un Paris-brest, un baba au rhum, une religieuse et un chou à la crème. Chargé de son paquet, il se rend à Lamallieu pour revoir Achille Trouvé. Celui-ci semble en bonne forme et invite Hervé à s’asseoir à la table où il y a déjà deux tasses, deux assiettes et une cafetière.


– Vous êtes ponctuel, monsieur Magre, c’est fort heureux car le café est chaud, dit Achille en souriant.

– Chose promise, chose due, voici les gâteaux, monsieur Trouvé.

– Pas de manières entre nous, s’il vous plaît, appelez-moi Achille et je vous appelle Hervé.

– Avec plaisir, je préfère aussi.

– Installez-vous. D’abord, que je vous dise une chose. Votre première visite m’a pris de court, c’est vrai. D’une certaine manière, je l’attendais mais « Je ne savais ni le jour, ni l’heure ». J’ai pris le temps de réfléchir, puis de remettre mes souvenirs en ordre. Tenez, voyez, j’ai écrit des notes sur ce carnet. Je ne sais pas si vous pouvez imaginer, plus de cinquante années qui passent sur des faits, sur des souvenirs. La première chose que vous devez savoir, c’est que vous avez en face de vous un homme qui est très différent du gosse que j’étais. Cela peut paraître une évidence, mais il faut vraiment avoir cela en tête en entendant ce que je vais vous raconter. J’étais un gamin de l’assistance, j’avais été placé d’abord dans une ferme, je m’en souviens à peine, jusqu’à neuf ans. Je ne sais même plus dans quelle région de France. Chez des gens brutaux, exigeants et misérables qui ne m’ont laissé que deux souvenirs, celui des coups que j’ai reçus et un juron que je proférais à tout bout de champ, « vindiou ». Les gamins de La Brémarde m’avaient surnommé « le vindiou » à cause de cette habitude. J’ai été enlevé de cette famille et j’ai été placé chez les Veudenne. Eux aussi étaient exigeants, mais à côté de ce que j’avais vécu, je me serais cru au paradis… et puis, il y avait Madeleine, Mady, la fille des Veudenne, mon ainée de trois ans. Elle a été une sœur pour moi, ma grande sœur. Je ne valais rien à l’école, elle m’a aidé. J’étais toujours sale comme un peigne, elle m’a appris à me laver. Elle me racontait des histoires, j’avais l’impression d’exister parce que quelqu’un s’intéressait à moi. Je n’étais plus seul. Les parents Veudenne étaient durs à la tâche, pour eux comme pour nous, les enfants, mais ce n’était rien que du travail à faire. Quand on est né avec le travail, ce n’est rien d’être à la tâche et les rares moments de détente sont pain béni. Donc, il faut bien avoir dans l’idée que j’étais un gamin mal dégrossi, sans famille et sans racines. à la maison, les vieux, les Veudenne, c’étaient des gens qui ne pensaient qu’à l’argent, au bétail, aux récoltes. à l’école, j’étais le plus péquenot de tous les péquenots, fils de personne, simplet sur les bords. Je ne vais pas raconter toute mon existence, mais j’ai eu une grande chance dans ma vie, c’est de tomber au bon moment sur les bonnes personnes. Après les évènements au Bussiau, on m’a sorti de là. Quand je dis on, c’est les services sociaux. Ils n’ont rien demandé, ni à moi ni à personne, ils m’ont balancé dans un centre, du côté de Rennes.

– Oui, à l’époque, ils ne faisaient pas dans la dentelle, je suppose, intervint Hervé.

(à suivre...)

dimanche 24 avril 2022

Contes et histoires de Pépé J II (31) voter blanc ou noir

Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Je vais vous lire aujourd’hui ma chronique du 7 mai 2017. Cette lecture vous permettra de voir si, à défaut de se répéter, l’histoire bégaie. Les élections sont là, depuis le temps qu’on les attendait il n’est pas trop tôt. Hélas, on nous a fait la promotion de onze candidats comme des savonnettes mais nul ne pense à parler des autres possibilités, à savoir le vote blanc, l’abstention et le vote nul.

L’abstention est brandie à chaque élection comme un épouvantail qui va avantager certains candidats au détriment des autres, comme un non-geste irresponsable, une démission, un abandon de la démocratie et comme étant une attitude de mécréant laïc. Tout électeur potentiel qui ne se déplace pas pour voter représente, d’après les média compétents, un danger pour la démocratie et, pour tout dire, il se voit noyé dans la lie du fond du tonneau républicain. Mais lorsque cet abstentionniste sort de sa réserve et vote non au TCE (traité constitutionnel européen), il est soupçonné de mal voter. L’abstention, si elle est le fait d’étourdis, de j’menfoutistes et de pêcheurs à la ligne, est aussi le fait de gens qui, délibérément, refusent d’exprimer un vote, quel qu’il soit. Je citerai ces quelques lignes du géographe Elisée Reclus publiées en 1885 : « Voter, c'est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c'est renoncer à sa propre souveraineté. (…)N'abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d'autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d'action futur, agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, c'est manquer de vaillance. » Il y a donc aussi une abstention active et peut-être même citoyenne et celle-ci fait l’objet d’un livre récent dont le titre reprend le début de la phrase d’Elisée Reclus. L’auteur y appelle au boycott des scrutins et à la politisation de l’abstention.

Le vote blanc est le fait de participer au scrutin, il indique une volonté de participer au débat démocratique mais marque un refus des choix proposés. Le vote blanc est maintenant décompté, en France, à part des votes nuls mais il n’est toujours pas reconnu comme un vote exprimé. Il n’a donc aucun pouvoir réel sur le scrutin alors qu’il pourrait, s’il était massif, avoir un pouvoir révocatoire.

Reste aussi le vote dit nul ; Il paraît que le vote nul est souvent le résultat d’une erreur de manipulation, que les bulletins soient déchirés, raturés, griffonnés ou raturés, qu’ils n’aient pas la présentation officielle ou encore que l’enveloppe contienne plusieurs bulletins à des noms différents. Et il arrive également que l’électeur ait volontairement déposé un bulletin nul pour manifester son opposition aux différents choix présentés, ce qui rejoint ainsi, dans l’intention, ce qu’exprime un vote blanc. En outre, il exprime parfois aussi par écrit une opinion à l’égard d’une ou plusieurs personnes présentes ou non au moment du dépouillement, ce que bien souvent les dépouilleurs passent sous silence : l’électeur n’a droit qu’à la parole calibrée par les notables.

Tous ces modes d’expression ne sont pas reconnus alors que, contrairement à ce que l’on entend parfois et même souvent, ils ne sont pas forcément la marque d’une démission de la part des électeurs. Il faut ajouter que lors des scrutins entre notables, assemblée nationale, conseils municipaux et autres, l’abstention est prise en compte.

On voit par-là que ce qui est bon pour les notables ne l’est pas pour le commun des mortels.


jeudi 21 avril 2022

Dernier tableau (73)

 

Attends, je vais te la montrer, elle est ici.


Sara ouvre une penderie. Tout en bas à gauche, un peu cachée sous du linge plié, il y a une petite mallette brune. Elle la sort et regarde, apparemment elle est fermée à clé. Il la prend et essaye de l’ouvrir, sans succès.


– On peut faire sauter la serrure, dit Sara.

– Pas question, ne cherchons pas les embrouilles. Demain matin, tu fais le point sur ce que tu aurais éventuellement pu oublier de balancer par la fenêtre. On en fera un paquet et on le lui envoie par la poste. Tu as son adresse au moins ?

– Eh non, il ne m’a jamais donné d’adresse. Je crois qu’il a un point de chute à Arcueil ou dans les environs, mais je n’en sais pas plus. Deux fois il m’a emmenée à Paris et deux fois nous avons logé à l’hôtel. Pas des trois étoiles, d’ailleurs, des espèces de coupe-gorges. Je crois qu’il était copain avec le propriétaire.

– Donc, il n’est pas joignable ?

– Il a un portable, j’ai le numéro. Sinon, j’ai aussi un numéro de fixe, mais c’est celui d’un bistrot à Saint-Denis. On lui fait la commission. Je dois dire que j’appelle pour Monsieur Charles, ou Carlo. C’est tout.

– Dis donc, c’est un peu interlope tout cela. Et cette mallette, qu’est-ce qu’elle faisait dans le bas d’une armoire ? C’est là qu’il avait ses vêtements ?

– Pas du tout. Il voulait qu’elle reste planquée là. Il m’avait dit que s’il en avait besoin et qu’il ne pouvait pas venir la chercher, je devrais la lui faire passer, il me donnerait des instructions au téléphone. Cela semblait important.

– Remets-la là où elle était, on va dormir et on verra demain.


*


Le lendemain matin, Sara a des courses à faire. Elle dépose Hervé rue Équoignon. Il monte jusqu’à son appartement. Dans le fond d’un placard de la cuisine, il a lui aussi une sacoche discrètement cachée. Il la sort, l’ouvre et puise dedans. Il en sort un jeu de rossignols, une petite pince et une paire de gants fins. Il met le tout dans sa poche. Après avoir remis soigneusement la sacoche en place, il ressort et part en direction de la rue Onfray. Il sait que Sara en sera absente jusqu’en fin de matinée. Arrivé chez elle, il ouvre avec la clé de Renato qu’il a gardée. Il monte et va directement à la penderie. Il enfile les gants, sort la mallette, la pose sur une table et fait chanter ses rossignols. En moins de cinq minutes, la mallette est ouverte, proprement et sans avoir laissé de traces. Il en inspecte le contenu. Il sort une grosse pochette dans laquelle il trouve un passeport européen émis en Italie au nom de Gian-Marco Cobrizzi. Il reconnaît Renato sur la photo. Il trouve aussi une liasse de billets de 200 euros, une autre de billets de 5000 guaranis paraguayens et une dernière de billets de 100 colones du Salvador. Dans une des poches latérales, il trouve une carte d’identité en mauvais état, au nom de René Luruquin, 17 rue des escargots à La Garenne-Bédat dans la Somme. Il y a aussi un pantalon léger, une chemise, des sous-vêtements, une paire de lunettes de soleil et une autre, de vue, fumées. Et enfin un sachet dans lequel se trouve une perruque. Il note soigneusement les noms et adresses et extrait un billet de chaque liasse. Il remet tout soigneusement en place et referme la mallette avec la même application, avant de la remettre en place. Il quitte rapidement la maison de Sara et remonte le boulevard. Il s’arrête à l’agence bancaire où il a ouvert son compte. Il demande à voir le chef d’agence, un homme jovial avec lequel il avait sympathisé. Celui-ci le reçoit rapidement et Hervé lui explique qu’il voudrait vérifier des billets qu’un acheteur lui a remis en acompte sur une vente, dit-il, de véhicule. Il voudrait pouvoir s’assurer qu’il ne s’agit pas de fausse monnaie. Le chef d’agence sourit, histoire de montrer qu’il n’est pas dupe, et comprend en tout cas qu’Hervé veut récupérer les billets quoi qu’il en soit.


– Je vais passer les euros dans la machine, ce sera une indication fiable. Pour les billets étrangers, c’est une autre paire de manches, je vais faire un contrôle visuel, c’est tout ce que je peux faire.

– Je ne vous en demande pas plus. S’il y a un doute, je refuse la transaction.

– Go, je vais vérifier votre 200 euros, je reviens.


Deux minutes après, il le rejoint :


– Vous avez bien fait de vérifier, c’est un faux. Voilà, je vous le rends, pas de cérémonies… Voyons les autres. Le paraguayen n’a pas l’air mauvais, sans garantie car je n’ai pas trop l’habitude. Le salvadorien, on dirait une belle photocopie, je dirais que c’est un faux de chez faux. Voilà, je vous les rends. Je ne peux pas vous en dire plus, considérez que ces billets ne sont jamais entrés dans ce bureau. Pour le reste, à vous de voir !

– Merci beaucoup, vous m’évitez bien des déboires.

– Et surtout, évitez de vous faire payer en monnaies exotiques. Bonne chance.

– Au revoir et encore merci, dit Hervé en repartant.


Il rentre chez lui. Il ne sait que penser du bonhomme. Une chose est sûre, c’est que c’est un petit trafiquant qui fait un peu dans la fausse monnaie, qui a des faux papiers au cas où. La mallette n’est pas le genre d’outil qu’il va laisser trainer derrière lui, il voudra certainement la récupérer.

Il regarde son courrier électronique, il a un message d’Antonia Secondat avec en fichier attaché, un fatras de documents scannés, peu lisibles. Il y a même un dossier médical sur Artur Leyden, tout en termes médicaux peu compréhensibles au commun des mortels. Il croit comprendre qu’Artur a subi certaines séquelles d’une parotidite à l’âge adulte. Mais l’ensemble est assez vague et il remet à un autre moment l’étude de ce dossier.


(à suivre...)

dimanche 17 avril 2022

Contes et histoires de Pépé J II (30) Le pain de mémoire

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. J’aime à partager avec vous certaines de mes lectures, principalement des récits régionaux et des livres écrits par des personnes vivant ou ayant vécu dans le sud-ouest. Une fois encore un roman régional a retenu mon attention, à savoir « Le pain de mémoire » de Jean-Louis Perrier, publié en 1999 chez Albin-Michel.


C’est une chronique villageoise, l’histoire d’une boulangerie sur la période de l’entre-deux guerres et jusqu’à la fin de la seconde. Autant dire que les personnages étaient restés marqués par la sauvagerie de la première guerre et que pour la population du Haut-Quercy, cette période n’a rien à voir avec ce qui a été appelé les années folles. Les paysans vivent rudement sur les causses du Haut-Quercy et, si le boulanger s’en sort assez bien, c’est au prix d’un travail opiniâtre de tous, Félicien le patron boulanger, Amélie son épouse, Giuseppe l’ouvrier italien qui a fui le fascisme mussolinien. Travailler dur n’est pas tout, il y a aussi un savoir-faire dans le travail de la pâte, la chauffe du four, les temps de cuisson… mais aussi le boulanger doit connaître sa farine. Et les blés du causse ne sont pas toujours d’une qualité boulangère suffisante, il faut souvent additionner une dose de farine de ces blés qui viennent de la Beauce pour avoir une belle farine panifiable. Et, si le boulanger vend son pain dans le bourg, il fait aussi les tournées dans la campagne, là où les paysans produisent du blé et font, avec le boulanger, un échange blé/pain. Il faut aussi savoir parler avec ces paysans, négocier et trouver le terrain d’entente. Discussions qui se font en général en patois, la langue quotidienne. Et, suite à cela, il y a toute une comptabilité de cet échange, avec la tenue des petits carnets des clients échangeurs.


Et, dans les acteurs de ce livre, je n’ai pas encore cité les enfants du couple, Rique, l’ainé, et Cyprien qui est le narrateur. Puis naîtra un troisième, René. Cyprien raconte cette histoire car c’est lui qui est appelé à reprendre la boulangerie, Rique étant de constitution plus fragile. Car il faut une sacrée carcasse pour être au four et au pétrin et pour vivre dans la poussière de farine qui s’infiltre dans les poumons. Félicien n’y résistera pas.


On voit donc passer les moments de misère dus à la crise puis les affrontements entre les « croix de feu » et les communistes qui se finiront par le lâche assassinat de Giuseppe. Puis vient la guerre avec son cortège de soumissions et de vexations mais aussi avec ceux qui n’acceptaient pas la domination totalitaire. La vision de l’auteur sur la résistance est un peu simpliste et limitée mais on ne peut la lui reprocher puisqu’il se met au niveau du narrateur.


Pour terminer, je vais parler de ce passage où Félicien donne à une pauvre veuve trois tourtes rassies. Après, Cyprien, encore jeune, demande à son père pourquoi il lui avait donné du pain rassis à cette pauvre femme. Je cite la réponse dans le livre: « c’est à sa demande, me répondit-il sans hésiter. Le pain rassis lui fait plus longtemps. Quand on a huit bouches à nourrir avec une pension de veuve, il vaut mieux que le pain ne soit pas trop savoureux. » Dure leçon mais qui touche ceux qui ont vécu cela.


Et puis, plus pittoresque est le passage où il parle du chambrou, lieu qui « avait dû jadis abriter le cochon que l’on appelait lou téchou, avec une nuance de tendresse comme s’il se fût agi d’un enfant (d’ailleurs on appelait également le plus jeune enfant lou téchou). S’il était tout petit et s’était couronné les genoux en tombant, pour le consoler, on lui disait lou paouvre téchouno, le pauvre petit cochon.Le cochon familial du chambrou de La Martinie était entouré d’une affection qui ne se démentait pas jusques et y compris à l’instant de son égorgement. »


Cric crac, mon histoire est finie et il vaut mieux ne pas en rajouter.




jeudi 14 avril 2022

Dernier tableau (72)

Renato est face à Hervé, à peine à cinquante centimètres. Ce dernier lui balance une paire de calottes à lui dévisser la tête, Renato titube. Hervé l’attrape sous un bras et l’entraîne jusqu’à la porte de la chambre. Il le charrie dans l’escalier, descendu quatre à quatre, ouvre la porte d’entrée, avise le petit cabriolet rouge. Il n’est pas fermé à clef. Hervé ouvre la portière et fourre Renato à l’intérieur, dans le style des policiers américains, en appuyant sur sa tête. Lorsque celui-ci est au volant, il lui dit :


– Écoute-moi bien. Ici, c’est chez moi. Sara, maintenant, elle est à moi. Si je te revois dans les parages, je te casse la tête. Aujourd’hui j’ai été gentil, je te mets même ta voiture en mains. Mais demain, c’est fini les soldes, je fais payer plein pot. Tu me comprends, Toto ?

– Jé suis pas Toto, gémit le Toto en question.

– Tu veux encore une calotte ou cela te suffit ? Et donne-moi la clé de la baraque, j’aime pas être dérangé pendant la nuit. Allons, la clé, vite, dit-il en faisant mine de ressortir Renato de la petite Fiat.

– Bon, bon, la voilà dit-il en sortant une clé qu’il donne à Hervé.


à ce moment, il entend la fenêtre de l’étage s’ouvrir et un paquet de vêtements atterrit sur le trottoir, accompagnés d’un sac dont le contenu s’étale en partie sur le trottoir : brosse à dents et autres affaires de toilette s’éparpillent. Il fait le tour de la voiture, ouvre la portière du passager et fourre le tout sur le siège. Il revient à la porte du conducteur restée ouverte, l’empoigne et s’adresse à Renato :

– Et maintenant, tu sais ce qu’il te reste à faire si tu ne veux pas ta petite calotte ?

– Je m’en vais, dit Renato en reniflant. Il cherche sa clé de contact dans sa poche et démarre le moteur.

– Allez, fiche le camp, trou du cul ! Et que je ne te revoie pas !


Ce faisant, Hervé lui balance un petit revers, moitié sur la joue, moitié sur la lèvre. Renato passe une vitesse, Hervé claque la portière et l’autre file sans demander son reste. C’est alors qu’Hervé se rend compte que non seulement il est en chaussettes dans la rue mais qu’il est toujours en slip puisque l’arrivée de Renato ne lui a pas laissé le temps de mettre son pantalon. Quelques curieux se sont penchés à leur fenêtre et il se hâte de rentrer, mais avec dignité, les cuisses à l’air. Sara est descendue le retrouver.


– Au moins, ce coup-ci, il est au courant, il ne pourra pas dire je ne savais pas, dit Hervé. Mais tu devrais perdre cette habitude ridicule de jeter les vêtements par les fenêtres, cela fait tout de même deux fois que je te vois faire cela.

– Plus de Renato, plus besoin de jeter de vêtements ! Bravo, quelle maestria, tu as bien débarrassé le plancher ! répond-elle en souriant.

– Ne sois pas si sûre d’en être débarrassée, il a juste été pris à froid cette nuit. Il pourrait réfléchir et tenter quelque chose. Le seul truc positif, c’est qu’il sait que je suis dans la place.

– Tu ne crois pas que tu l’as mouché pour de bon ?

– Je ne sais pas, mais ce type s’est laissé faire comme un « couyemol », un peu trop facilement, je le sens mal, ce gonze. Ça peut être le genre de gars à revenir avec des copains.

– En tout cas, tu l’as bien eu, car il est ceinture je ne sais plus de quelle couleur de karaté.

– Ça, tu peux l’oublier, c’est un karatéka des lundis de Pentecôte, il doit connaître un ou deux trucs et se faire passer pour un grand maître…

– Pourtant, il m’avait dit que…

– Si je devais compter sur les doigts toutes les soi-disant ceintures noires, marron ou autres que j’ai croisées dans ma vie, il me faudrait plusieurs centaines de mains. Les mecs, ils te font deux heures de karaté par semaine pendant six mois et ils te racontent toute leur vie qu’ils étaient vice-champions de France de Trifouillé-les-oies catégorie plume de coq. Si ton Renato est karatéka, moi je suis évêque de Cuguron-les-Olivettes !

– Peu importe, monseigneur, tu vas prendre froid, repartons nous coucher, conclut Sara.


Ils remontent à l’étage où toutes les portes sont restées ouvertes.


– Eh merde ! dit Sara. J’ai oublié de balancer sa petite sacoche, il est foutu de revenir rien que pour cela.

– C’est quoi comme petite sacoche ?

(à suivre...)

dimanche 10 avril 2022

Contes et histoires de Pépé J II (29) Dico Paraillous

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Encore un livre, me dira-t-on ! Cette fois, pas un roman mais un dictionnaire drôlatique, celui du parler gascon et dont l’auteur est Alain Paraillous. Je l’avais acheté il y a une quinzaine d’année pour, de temps à autre, me régaler de quelques expressions du pays. Et, de même, j’avais acquis aussi le dictionnaire Vavassori dont le parlerai une autre fois. Ces dictionnaires ne sont nullement de langue occitane, ils parlent du lexique de la vie courante du sud-ouest et, comme le dit Paraillous, certains mots cités ne sont parfois plus guère utilisés. Avant de commencer, je prendrai la précaution de vous dire que,j’ai gardé cet accent pointu que l’on a quand on est né dans au nord de la Loire et même déjà au nord de Périgueux. Si je vous disais « hil de puta macareou, vous verriez tout de suite que je suis du pays » aurait dit Coudouy ! Je ne chercherai donc pas à tricher avec mon accent.


Le premier mot que je citerai parlera aux Agenais fervents de rugby, la matole. Bien sûr, dans ce dico il n’est question ni de la mascotte du SUA ni de la nouvelle tribune d’Armandie mais seulement du piège dans lequel on attirait, par quelques grains de blé, des petits oiseaux afin de les capturer en vue de s’en régaler. Ce type de chasse demandait une grande patience.

J’ai été heureux de voir le mot bigos, bien oublié de nos jours. Le bigos était cet outil, que d’aucuns nommaient croc ou crochet, sorte de fourche aux dents repliées en bout et qui servait à tirer le foin en vrac de la charrette ou qui servait aussi à à tirer le fumier du tombereau afin d’en répartir le contenu en petits tuquets dans les parcelles de terre.

Et, tant qu’on est dans les outils, il y avait aussi la plane, ou plaine, qui servait à travailler le bois pour créer des manches ou pour équarrir quelque tiges de bois. J’en possède toujours un exemplaire, bien affûté, qui me sert encore et qui n’est pas près d’être mis au musée.


Mais il y a aussi l’expression Tripote et Mascagne, toujours en usage de nos jours. « Façon plaisante de désigner deux ouvriers maladroits » dit Paraillous qui ajoute que si votre garagiste et son commis sont ainsi surnommés, il vaut mieux penser à changer de garagiste. Mais, personnellement, je serais plus modéré car ce sont parfois aussi les envieux et les jaloux qui taxent les autres ainsi. Moi-même et mon associé, quand nous avons débuté comme maçons, avons ainsi été surnommés ; nous étions, aux dires de certains,Tripote et Mascagne. Mais nous, sûrs de notre valeur, avions pris ce surnom à notre compte en mettant sur notre belle fourgonnette Renault 4L l’affichage suivant : « TME – Tripote – Mascagne - Engineering ». Et, à la fin des années 70 autant que 80, nous sillonnâmes la campagne avec cette belle raison sociale. Ensuite vinrent des véhicules plus importants, nos affaires prospérèrent et, il faut le dire, ce que nous avons bâti il y a quarante ans tient toujours debout… il faut se méfier car les apparences sont souvent trompeuses !


Un autre mot qui désignait un objet de la vie courante en hiver, c’est le moine. Ce nom masculin désigne un « instrument ressemblant vaguement à une luge, destiné à chauffer le lit grâce à un poêlon de braises. Sa forme galbée, aplatie aux extrémités, lui permettant d’être glissé facilement entre les draps. Qui n’a jamais fait l’expérience, dans une chambre glaciale, de se blottir entre des draps de lin parfumés et chauffés par les braises du moine, reste vierge d’une des plus subtiles voluptés de l’existence. Dans les années 60, des ampoules électriques ont remplacé la braise, puis la couverture chauffante a détrôné le moine. De toute façon, nos sociétés gaspilleuses ont à ce point fait grimper la température des maisons que le problème, maintenant, est de ne pas avoir trop chaud la nuit ! »


Alors, avant que vous vous retiriez sous la couette, je vais vous saluer par ce mot traditionnel : Adichats !





jeudi 7 avril 2022

Dernier tableau (71)

 

Le dimanche suivant est printanier et c’est un plaisir de voir la nature se réveiller à La Brémarde, chez les Tucaume. En effet, madame Tucaume est une cuisinière raffinée et le repas est un régal. Elle connaît Le Bussiau et propose de les y amener à pied. Ils y accèdent par l’intérieur des terres et non pas par le chemin de la ria, ce que regrette Hervé.

En arrivant, ils sont tous quatre sous le charme mystérieux de l’endroit. Hervé les entraîne immédiatement là où il suppose que Leyden a croqué la chaumière et son lac. Sara approuve et dit que c’est fort probable. Puis, ils visitent les lieux. Sara est emballée par cette fermette. Elle s’imagine achetant la fermette avec Hervé, ils auraient des poules, des lapins, un potager… Tucaume renchérit et suggère que l’appentis ferait un bon atelier.


– Là, tu vois Hervé, tu t’installes un atelier et tu fais de la mécanique au black. Ça marcherait, c’est moi qui te le dis ! Tu as déjà une meule à réparer, rien que pour t’entrainer, une vraie mobylette…

– Ouais, et mon cul c’est du poulet, si t’en veux une aile… Excusez-moi, Mesdames, c’est Fred qui a commencé dans la grossièreté !

– Mais moi, je ne plaisante pas, dit Sara. Je vends ma maison de la rue Onfray, on s’installe ici, on fait les travaux nous-mêmes. Je suis certaine que Fred viendra nous donner un coup de main…

– Pour ce qui est de parler, vous pouvez compter sur lui, mais ce n’est pas un manuel, dit Madame Tucaume.

– Je sais pousser une brouette, mais ne me demandez pas de la remplir, acquiesce Fred.


En fin d’après-midi, ils quittent la fermette et reviennent chez les Tucaume, puis retournent chez Sara, les yeux encore emplis de soleil. Ils font un repas léger, puis vont se coucher, heureux de leur journée.


Il n’est pas vingt-trois heures que, dans un premier sommeil, ils entendent claquer la porte d’entrée.


– Tu as entendu ? demande Sara.

– Oui, si c’est ton Renato, je ne risque plus mes cacahuètes sur ton grillage. Je suis ici par ta volonté et je n’en sortirai que par la force des baïonnettes !

– Ne rigole pas, on est dans la merde.

– On est pas dans la merde, je m’habille, je n’aime pas causer en état d’infériorité…


Il a juste eu le temps d’enfiler son slip, ses chaussettes et sa chemise que Renato ouvre la porte de la chambre.


– Ma c’est quoi ce bordel ? rugit Renato.

– Monsieur, j’étais ici avant vous, veuillez vous présenter, dit Hervé en se redressant en pans volants.

– Je vais te casser la gueule ! éclate Renato. Il s’avance et esquisse un mouvement de karaté, le pied en avant.


Hervé se saisit vivement du pied et le tient, fermement levé.


– Arrête, tu me fais mal imbécile, crétino !

– Bonne marque de chaussures, mais le tir manque de rapidité, rétorque Hervé.

– Tou fais du karaté toi aussi ? gémit Renato, toujours la jambe en l’air.

– Nullement, mais j’ai gardé les petits cochons, cela donne des réflexes avec les gros porcs comme toi, dit-il en relâchant le mocassin.

– Prends cela, éructe Renato en balançant un coup de poing qu’Hervé arrive à esquiver de justesse.

(à suivre...)

dimanche 3 avril 2022

Contes et histoires de Pépé J II (28) Un robinson de six ans

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Je vous parle souvent de mes lectures et ce sont généralement des ouvrages qui parlent du sud-ouest. Mais cette fois, je vais vous entraîner au Canada et au XIXème siècle. Le hasard heureux des boîtes à livre m’a permis de lire un livre publié pour la première fois en 1897 chez Hachette, dans une édition de 1929. Ce livre était encore avec ses feuilles non coupées et j’ai donc eu l’honneur de les couper en connaissant le « frisson du couteau d’ivoire dans les pages non coupées » comme le disait, paraît-il, Théophile Gauthier. A défaut de couteau d’ivoire, j’ai pu me servir d’un authentique coupe-papier.


Le titre du livre est : « Un Robinson de six ans » et l’auteur en est Constant Améro. Le titre m’avait intrigué et je pensais qu’il s’agissait de littérature enfantine avec une histoire imaginaire. Or il n’en n’est rien, il s’agirait, aux dires de l’auteur, d’une histoire vraie, l’histoire d’un gamin de six ans que son oncle avait emmené en bateau depuis la Normandie et qu’il a déposé en 1657 sur la côte du Canada. Pourquoi déposer ainsi un enfant de six ans dans une contrée peu habitée et dont les habitants autochtones, les indiens iroquois, sont fréquemment en guerre entre tribus. En outre, ils se méfient absolument de ces « blancs » qui veulent coloniser leurs régions et qui sont installés au Québec. Tout ceci sans oublier la concurrence entre français et anglais pour la prise de possession de ces territoires. La raison de l’abandon est simple : une marâtre qui a décidé de se débarrasser du fils de son mari. Et elle demande à son propre frère d’abandonner le gamin dans un lieu désert, au-delà de l’Atlantique.


Dans cet environnement difficile, l’enfant avait bien peu de chances de survivre et il s’en emparera, de ce « bien peu ». Car il cherchera toujours à retrouver Québec où se trouvent des français. Sa première rencontre sera décisive, celle avec la fille du sachem d’une tribu. Celle-ci le prend en affection et le défendra contre l’hostilité des autres membres de la tribu. Grâce à la tribu, il pourra manger et il verra comment les membres font pour chasser et se déplacer.


Il y a un seul mot que, au début, Gilles le petit Robinson a le malheur de prononcer, c’est le mot Québec car c’est la ville où sont basés les envahisseurs et dont il faut toujours se méfier. Il apprendra donc à cacher le but vers lequel il tend, à savoir rejoindre cette ville puis sa patrie.


Même si le livre présente les peaux-rouges comme des sauvages - il est écrit au 19ème siècle - l’auteur expose toute la qualité de la culture iroquoise et les capacités de survie de ce peuple dans un climat souvent rude. L’histoire en est prenante et je me suis bien intéressé à suivre le cheminement de ce gamin, son obstination à retrouver son pays et sa subtilité extraordinaire pour son âge.


Je ne vais pas raconter toute l’histoire car ce livre se trouve encore en bibliothèque ou d’occasion chez bien des libraires et bouquinistes. Je dirai simplement que Gilles arrivera à bon port et qu’il fera une longue carrière d’enseignant en France et décédera à l’âge de 77 ans.


Cric crac, mon histoire est finie et, pour un liard, dis m’en une plus jolie.